Aller directement au contenu

    Bernard Cazeneuve, un bon ministre de l'Intérieur, vraiment?

    Depuis que Bernard Cazeneuve a été nommé à Matignon, de nombreux responsables politiques encensent le bilan du ministre. C'est oublier les polémiques suscitées par son ministère.

    Pilier du gouvernement, Bernard Cazeneuve a été choisi pour remplacer Manuel Valls ce mardi à Matignon. À 53 ans, il quitte la place Beauvau qu'il a occupée presque trois ans, pour devenir pendant six mois le chef de la majorité. Depuis cette annonce, de nombreux élus se félicitent de cette promotion et saluent le travail accompli par l'ancien député socialiste.

    «Avec Bernard Cazeneuve, la France est entre de bonnes mains! Éthique, respect, ancrage et efficacité», s'est félicité le patron du PS Jean-Christophe Cambadélis. Et le président du groupe socialiste au Sénat, Didier Guillaume, de reconnaître au nouvel hôte de Matignon son «sens de l'État et la justesse de l'action». Même François Bayrou du Modem et Yves Jégo de l'UDI ont glissé leur compliment.

    Bernard Cazeneuve est nommé à Matignon. C'est un homme de qualité : rassurant pour le pays en ces temps troublés.

    Quelque élus d'extrême droite ou de droite ont, eux, dénoncé cette nomination en rappelant les attentats qui ont eu lieu et les manifestation de policiers en colère. Sur Twitter, d'autres ont également rappelé le bilan parfois controversé de Bernard Cazeneuve. Quelques polémiques nuancent en effet son bilan.

    En 2014, Bernard Cazeneuve doit gérer un drame: la mort de Rémi Fraisse, tué par la grenade d'un gendarme lors d’une manifestation sur le barrage de Sivens le 26 octobre.



    Très vite, le ministre est accusé d'avoir dissimulé la vérité dans cette affaire et d'avoir attendu 48 heures avant de s'exprimer sur les événements. Des enquêtes de Mediapart et du Monde ont en effet prouvé qu'il ne pouvait pas ignorer les causes de ce décès, contrairement a ce que le ministre avait indiqué dans son premier communiqué de presse. «Un corps a été découvert», s'était-il contenté d'écrire. Ce même jour, alors que l'enquête commençait à peine, l'hôte de la place Beauvau certifiait que cette mort n'était «pas une bavure». L'enquête est toujours en cours.

    Après les attentats de Charlie et du 13-novembre, de nombreuses enquêtes ont mis en lumière d'importants problèmes dans l'organisation de nos forces de sécurité et de renseignement. Un rapport de la commission d’enquête parlementaire sur ces différentes attaques terroristes préconisait notamment une refonte de la lutte antiterroriste après avoir constaté des «failles des services de renseignement». Mais Bernard Cazeneuve a balayé toute idée de «réorganiser les services de renseignement», craignant une «déstabilisation». Il avait également annulé sa participation à une émission de France 2 qui souhaitait justement l'interroger sur la responsabilité de ses services.



    Jamais l'ex-ministre de l'Intérieur n'a accepté ces remises en cause, relève d'ailleurs le site Slate dans un article très fourni et titré: «Bernard Cazeneuve, ministre du déni?»:

    «Moins d'un mois après les attentats du 13 novembre 2015, lors d'un colloque sur le terrorisme à l'échelle européenne, il s'en prend aux «experts» et au «discours éternel et réitéré sur les failles». Fin janvier 2016, lorsque Mediapart dévoile les conditions de l'offensive du Raid du 18 novembre 2015 à St-Denis, il reproche aux «commentateurs» de... ne jamais avoir pris place dans une «colonne d'assaut».

    Deux semaines après l'attentat du 14 juillet à Nice, Libération révèle des défaillances dans la sécurisation de la promenade des Anglais par la police. Contrairement à ce qu’a affirmé le ministère de l’Intérieur, l’entrée du périmètre piéton de la promenade des Anglais n’était pas protégée par la police nationale ce soir-là, révèle le quotidien. Bernard Cazeneuve répond et dément ces informations en allant jusqu'à reprocher au journal des «procédés qui empruntent au ressort du complotisme». Il martèle que le camion qui a foncé sur la foule a été arrêté grâce à l'intervention des policiers nationaux.

    Mais deux mois plus tard, Quotidien, l'émission présentée par Yann Barthès, vient contredire les propos du ministre. Le journaliste Azzeddine Ahmed-Chaouch révèle que c'est «un fait extérieur» qui a mis un terme à la course du camion. Le conducteur a calé et n'a pas, contrairement à la version officielle, été stoppé par les balles des policiers (qui arriveront 43 secondes plus tard). Le journaliste, document à l'appui, valide également les informations de Libération.

    🔴 Info #Quotidien - Attentat de Nice : la police judiciaire remet en question les versions officielles. À lire ici… https://t.co/0I2OACSYbw

    Pendant plus de quatre mois, Bernard Cazeneuve, via les différents préfets, doit gérer le déroulement des manifestations de protestation contre la loi Travail. Dès les premiers rassemblements, on constate des violences policières. En plus de la centaine d'enquêtes ouvertes par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), BuzzFeed News a recensé une cinquantaine de blessés graves au cours de toutes les manifestations contre la Loi travail. Parmi eux, un syndicaliste a perdu un œil à Paris, un manifestant avait dû être plongé dans le coma après un lancer de grenade, un autre étudiant a perdu l'usage de son œil...



    De nombreux journalistes ont également été malmenés, obligeant le Syndicat national des journalistes a tirer la sonnette d'alarme. D'autres graves entorses aux règles de la police avaient aussi été régulièrement dénoncées (absence de port du matricule, interpellations violentes, faux témoignages de policiers...), sans que le ministre ne s'exprime dessus.

    Interrogé sur le sujet, le ministre n'a jamais condamné ces violences, préférant défendre de manière systématique le travail des forces de l'ordre. «Moi j’ai donné des consignes très fermes aux forces de l’ordre pour que l’usage de la force soit proportionné (...) mais je veux aussi dire que pendant ces manifestations, des casseurs, dans les conditions que l’on sait, ont procédé à des violences inacceptables sur des biens et des policiers», disait-il sur France Inter en assurant, à tort, que des policiers avaient tout de même été sanctionnés.

    Libération relève d'ailleurs «qu'entre le ministre de l’Intérieur et de nombreux acteurs associatifs, syndicaux, citoyens, l’incompréhension est radicale». Notamment depuis que le ministre a balayé toutes les critiques du Défenseur des droits. Jacques Toubon souhaitait par exemple un moratoire sur l'usage du Flash-Ball qui a encore causé de nombreux blessés ou dénonçait les violences policières à Calais.

    Le 19 juillet dernier, Adama Traoré meurt lors de son interpellation par des gendarmes à Beaumont-sur-Oise (95). Dans un premier temps, le procureur assure que le jeune homme est décédé après avoir fait un malaise cardiaque. Mais très vite, il apparaît que la version livrée par le procureur de Pontoise, Yves Jannier, est partielle et qu'il a tu un élément capital: c'est un «syndrome asphyxique» qui a causé la mort d'Adama Traoré.

    Alors que le ministre de l'Intérieur refuse de s'exprimer sur le sujet ou de présenter ses condoléances à la famille, la presse révèle également que la version du procureur et des gendarmes mis en cause est contredite par plusieurs témoignages, dont ceux des pompiers intervenus ce jour-là. En novembre dernier, le député Pouria Amirshahi interroge le ministre sur les nombreux mensonges découverts dans cette affaire. L'ex-élu PS souhaite aussi savoir si le ministre a «adressé un mot, un message, à la famille de notre jeune compatriote décédé?», comme cela avait pu être le cas pour la famille Fraisse.

    Encore une fois, Bernard Cazeneuve a refusé de répondre à ces critiques, a refusé de prononcer le nom d'Adama Traoré et a tenu à rappeler:

    «Ce que je ne peux plus accepter (...) c'est la mise en cause permanente à longueur de semaines du travail fait par les forces de l'ordre.»

    Quelques jours plus tard, BuzzFeed News révélait que la maire UDI de Beaumont-sur-Oise avait décidé de porter plainte contre la sœur du défunt pour diffamation. Là encore, Bernard Cazeneuve décide de recevoir l'élue, de promettre des renforts policiers pour la ville, mais n'adresse, quatre mois après le drame, aucune condoléances.