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    Virginie Despentes: «C’est un grand soulagement pour moi de ne plus être dans l'hétérosexualité»

    On a parlé musique, politique, débats féministes et marche des fiertés avec Virginie Despentes.

    Quelques semaines après la sortie du tome 3 de Vernon Subutex, on a donné rendez-vous à Virginie Despentes chez le disquaire parisien de Punk rock Born Bad. Pourquoi là-bas? Sa trilogie raconte le périple de Vernon, un fou de musique, qui perd son appartement, après la fermeture de sa boutique de disque et ses années de chômage. Là, Virginie nous a parlé de sa culture musicale punk, de son dernier concert, mais aussi de la présidentielle ou de sa couv' de Grazia.

    Quand Vernon Subutex commence, le héros vient de perdre son logement. Après avoir squatté chez une série de potes, il se retrouve à dormir dehors. C’était important pour toi d'écrire une histoire avec un héros qui devient SDF? De s’intéresser à cette histoire-là?

    Oui, c’était important. J’ai l’impression qu’on est beaucoup à avoir cette peur, que ça caractérise une décennie. Je crois qu’il y a 50 ans, cette idée que tu peux te retrouver sans domicile concernait moins de gens. Elle est très forte à Paris, car à Paris c’est facile d’avoir des difficultés à payer son logement, parce que les loyers sont plus chers, mais elle n’est pas propre à Paris.

    Dans le tome 3, un des personnages dit au sujet de la série The Walking Dead: «On a rarement vu un leader aussi con que celui qui conduit les survivants de cette série. (...) Ils sont une vingtaine, ils ont tous des capacités, une intelligence, une force. Eh bien ils désignent le plus con d’entre eux pour les diriger. C’est bien observé. On croirait la politique française. De toutes les forces disponibles, toujours désigner le plus inapte.» Qu’as-tu pensé des élections françaises?

    Ça marche aussi pour les élections américaines! Les Américains, on a toujours su qu’ils étaient un peu cons, mais on est quand même surpris... Pour les élections françaises, j’ai voté contre Marine Le Pen -ce qui fait qu’on sait pour qui j’ai voté. C’était vraiment un «vote contre». Et je suis retournée voter contre Macron aux législatives. Au premier tour, j’ai voté pour Hamon. C’était un «vote pour». J’ai pas tant voté que ça dans ma vie mais en général, dans ma vie, j’ai eu des votes de premier tour de loose. J’ai rarement voté pour des gens qui font de très gros scores. Mais Hamon, il me paraissait bien.

    Tu lui as porté la poisse?

    Tu crois que c’est ma faute? (Elle rit). C’est possible.

    En face de Zemmour, «les médias auraient dû faire émerger des personnalités de l’autre bord, d’une gauche dure, plus radicale»

    Tu as beaucoup critiqué le traitement du FN par les médias. Qu’est-ce qu’ils auraient pu faire autrement?

    Ils auraient pu faire pas mal de chose. Déjà, ils auraient dû faire émerger des personnalités de l’autre bord, d’une gauche dure, plus radicale, car il y en a. Si tu veux vraiment faire apparaître Zemmour sur le service public quatre heures toutes les semaines, ok, mais tu ne mets pas Naulleau en face. De la même façon si tu mets Élisabeth Levy trois heures tous les soirs, encore sur le service public, tu ne mets pas Caroline Fourest en face, tu mets vraiment quelqu’un de gauche. Les médias auraient pu faire surgir à gauche des personnalités qui leur auraient aussi fait du clic ou de l’audience, si c’est ça qui les intéressent.

    Et sur certains sujets, ils auraient pu s’abstenir de toujours appeler Florian Philippot, Marine et Jean-Marie Le Pen. Quand je suis revenue d’Espagne en 2010, j’avais l’impression que, tous les jours à la télé, il fallait qu’on sache ce que le FN pensait. Il y a plein de sujets sur lesquels on s’en tape. On peut se passer de leurs avis sur plein de choses!

    Vernon Subutex est en train d’être adapté à la télé par Canal Plus. Quel acteur verrais-tu pour interpréter Vernon?

    On ne me demande pas mon avis mais j’adore Marc Lavoine. Je sais, c’est étonnant, mais il a une espèce de charisme, une voix qui irait bien à Vernon.

    Tu envisages l'écriture d'un tome 4 pour Vernon Subutex?

    J’ai toujours dit «non» mais la vérité c’est «oui», car j’ai beaucoup de matériel pour ça. Mais ce qui est sûr c’est que ça ne sera pas tout de suite. J’ai un peu peur de sortir de Vernon car ça m’a pris cinq ans mais j’ai aussi envie d’en sortir... car ça fait cinq ans! J’ai envie d'essayer quelque chose de futuriste, oui, et ça fait longtemps. Mais pour l’instant je n’y vais pas.

    Tu es de plus en plus «institutionnelle»: Vernon Subutex a été encensé par la presse, tu es juré Goncourt, tu fais la couv' de Grazia cette semaine. Qu’est-ce que ça fait…

    ... de me voir aussi belle ? (Elle rit)

    Tu en penses quoi de cette couv'?

    Je me réveille comme ça le matin, et je suis presque Beyoncé! (Elle rit). Oui, ça fait bizarre... À la gare par exemple, j’ai pris le train ce week-end et ça fait bizarre. Ça fait plaisir aussi mais surtout bizarre. Mais si j’avais pas voulu la faire, je l’aurais pas faite, je savais ce qui allait m’arriver quand j’y suis allée, et j’étais d’accord.

    D’être photoshoppée?

    Je me doutais bien que je pouvais y aller avec des cernes et que je ne les aurais plus sur la photo. Mais c’est aussi moi sur la couverture du tome 3 de Vernon Subutex. Et on me reconnaît pas non plus! On me reconnaît pas à cause du noir mais aussi parce que je suis méga photoshoppée. On a cherché longtemps quelle troisième couverture on voulait, quelle couleur, quelle personnage. Et je me suis dit qu'on pourrait essayer avec des photos de moi. Personne ne m’a reconnue! Je trouvais ça bien de terminer la série sur une couv où c’était moi.

    Tu as écrit de romans, mais aussi un essai autobiographique, King Kong Théorie, en 2006, qui a rencontré un énorme succès. Qu’est-ce que ça fait d’avoir écrit un des textes féministes français les plus importants?

    C’est bizarre. En ce moment, je signe beaucoup de Vernon Subutex dans les librairies et un quart des livres que je signe encore aujourd'hui, c’est King Kong Théorie. Avec à chaque fois un rapport super particulier avec les gens qui viennent le faire signer, qui sont souvent des filles, mais pas que. C’est une chance, c’est un rapport particulier et vraiment génial avec tes lecteurs. Paradoxalement, ça peut te faire peur d’écrire autre chose car tu sais que tu n’arriveras probablement pas à la même chose. Il faut se dire que c’est très bien comme ça, que tu as déjà eu la chance une fois d’avoir connu ce rapport-là avec tes lecteurs.

    Tu as pensé à réécrire un autre texte sur le féminisme?

    J’y pense par moment parce qu’il s’est passé énormément de choses, c’était il y a dix ans. Il s’est écrit énormément de textes, il y a des thèmes qui m'intéressent, donc j’y pense. Il y a quelques jours, j’ai lu On ne naît pas grosse et ça m’impacte énormément, le livre m’a fait réfléchir à un milliard de choses. Je pense que son livre change quelque chose. Je suis presque impressionnée de voir qu’elle cite King Kong Théorie au début de son livre.

    Je fais un travail assez circulaire, je passe au-dessus des mêmes choses. Vernon Subutex, c’est un peu comme si je réécrivais Teen spirit, King Kong Théorie, c’est un peu comme si j’étais repassée sur Baise-moi. Il faut réfléchir un peu avant de le faire. Je ne referai jamais un livre comme King Kong Théorie et c'est bien.

    Tu as dit dans la presse: «Je ne fréquente pas le débat féministe, je trouve que c’est trop de violence pour que dalle.»

    Oui je le pense. Après King Kong Théorie, j’ai été invitée à droite, à gauche. Je suis allée écouter deux ou trois débats et je me suis dis «meuf, ça va pas bien». On peut ne pas être d’accord sur la prostitution mais on ne peut pas être violente à ce point-là. On n'a pas de patrimoine, d’immobilier, il n'y a pas énormément de subventions donc pas vraiment d'argent, pas de pouvoir, il y a juste un poste de ministère à la con à décrocher. C’est pas la peine de se mettre dessus avec autant de violence. C’est pareil pour le voile.

    Mais ça fait tellement longtemps qu’on est habituées à mal se traiter les unes les autres qu’il y a une violence très spécifique quand on se retrouve dans des espaces qui sont les nôtres. Je trouve qu’il y a une violence qui est démente. Les garçons s’aiment, les femmes ont besoin d’apprendre à s’aimer. Et notamment les hétérosexuelles, elles ont vraiment besoin d'apprendre à s’aimer.

    Du coup, je ne fais pratiquement aucun débat féministe. Je vois ce que je peux y perdre comme tranquillité et enthousiasme mais je ne vois pas ce que je peux y gagner. Pourquoi on se parlerait comme ça? Je vois les hommes qui parfois s’invectivent mais je ne les vois pas dans ce degré d'hostilité. Je me dis qu’il faudrait peut être apprendre à être contentes d'être entre nous, à se parler, se respecter.

    «C’est un grand soulagement pour moi de ne plus être dans l'hétérosexualité»

    Dans Vernon Subutex, il y a des personnages trans, lesbiennes, gays… C’est important pour toi de visibiliser des personnages queer?

    Je n’y pense pas comme ça mais je suis tellement entourée de personnes queer que ça me paraît évident. Et puis, les livres, tu les écris aussi dans un contexte. Le premier tome de Vernon a été écrit au moment des grandes manifestations contre le mariage gay. Ça donne envie de faire intervenir des personnages queer qui seront traités avec bienveillance, comme pour repasser sur quelque chose. Je ne suis pas fragile comme lesbienne mais c’était bizarre à vivre, c'était comme une autorisation d’être insultée dans la rue, comme un retour en arrière ultra violent, très soutenu par les médias, comme si c'était une chose normale et envisageable. Ça m’a incitée à bichonner ces personnages-là. C’est comme si tu avais envie de leur faire des câlins, d’être un peu plus cool en leur compagnie.

    Il y a quelques années tu disais que tu étais dans une sorte d'«euphorie» en étant dans une relation lesbienne. C’est encore le terme que tu utiliserais aujourd'hui?

    Oui. Je le pense toujours. C’est un grand soulagement pour moi de ne plus être dans l'hétérosexualité. J’ai beaucoup d’amis hétéros et je me dis à chaque fois que je suis très contente. Je suis contente aussi pour eux quand ça se passe bien. Mais je n’étais pas faite pour ça.

    «J’aime bien le caractère festif de la Pride, c'est important de dire: on est contents»

    Est-ce que tu penses que la marche des fiertés est devenue trop «normale»? Est-ce que tu soutiens des initiatives comme la Pride de nuit, une marche plus politique qui se déroule la veille de la Pride parisienne?

    Je pense que les deux sont bien. J’aime bien le caractère festif de la Pride, je la fais souvent. J’aime bien le monde, le bruit... C’est bien qu’il y ait les deux. On peut faire des Prides où il n'y a plus du tout de musique, de bordel, de char… Mais franchement, c’est moins marrant. C’est bien, le côté festif. C’est frivole, superficiel, mais c’est important de dire aussi: «On est contents.» Je crois que c’est un message très fort, notamment pour les gens qui aimeraient que les gays et les lesbiennes ne se signalent pas trop dans le paysage. Ça me paraît bien aussi que, la veille, tu puisses avoir une discussion un peu plus politique.

    Est-ce que ton écriture suit une musique?

    J’espère qu’il y a un rythme, j’essaie de dégager une espèce de rythmique. C’est quand je me relis que j’y pense. Dans Vernon Subutex, j’espère que ça dépend des personnages, j’espère qu’il y a des personnages plus posés, d’autres plus métal, d’autres plus funky, d’autres plus rock français.

    Quelle est la musique qui t'inspire?

    Bad brains, les Ramones et Motörhead. C’est de la musique très basique, un peu comme un biberon, qui donne pas mal d’énergie. Il y a cinq ans, j’ai découvert Leonard Cohen et je pense que pendant longtemps je vais écouter Leonard Cohen.

    D’où tiens-tu ta culture musicale?

    Ado, quand j’avais 12 ou 13 ans, il y a une année où j’ai découvert des groupes comme Joy division, The Clash, The Cure, The Opposition et ça a changé ma vie. C‘est comme quelque chose que tu attendais mais tu ne savais pas que ça existait. Mais une fois que c'est là, c'est une évidence: c'était ça. Je ne me suis intéressée à peu près qu’à ça jusqu’à tard, jusqu'à plus de 25 ans. Je lisais aussi, j’allais au ciné, mais ce qui m’intéressait vraiment, c'était la musique.

    Mais je n’ai pas une culture musicale très solide car j’ai une mémoire de meuf qui fume beaucoup de pétards. Donc je n’ai pas le savoir encyclopédique des grands rocks critiques alors que je devrais, avec le temps que j’y ai passé!

    Quel est le dernier concert que tu as fait?

    C'était un tout petit concert, A Shape, à la Mécanique ondulatoire. Et le prochain ce sera Kate Tempest. Je conseille à tous les gens d’aller voir Kate Tempest!

    Quelles séries regardes-tu en ce moment?

    Je viens de terminer Good Behavior, un polar que j’ai beaucoup aimé. Je vais regarder la nouvelle saison d'Orange is the new black qui n'est pas une série que j’adore, mais j’adore qu’il y ait autant de grosses et de vieilles dedans. J’aime tellement de séries, en ce moment. J’ai beaucoup aimé la seconde partie de Sense8, même si au début je me suis dit «on ne comprend rien». Mais ce n’est pas vraiment le point avec Sense8. J’ai beaucoup aimé une autre série de Netflix, Please Like Me. Et j’ai adoré The Get Down, la série sur le hip-hop de Netflix. On aura compris que je suis abonnée à Netflix! (Elle rit)

    Retrouvez notre interview dans son intégralité en vidéo: