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J'aime me maquiller et je vous emmerde

C'est fou à quel point un rouge à lèvres ou un enlumineur peuvent donner autant de confiance, d'assurance et d'estime de soi.

De l'anticernes là où il faut, de la poudre pour matifier, un peu de fard à paupières, pourquoi pas de l'eye-liner dans les bons jours, du mascara, forcément, et enfin un peu de rouge à lèvres pour pimper le tout quand l'envie est présente. Je suis prête à sortir, à me montrer, à m'affirmer au monde.

Bref, je me maquille. Je dirais même que je me maquille tous les jours ou presque. Je ne sais plus vraiment depuis quel âge, la première fois à l'adolescence sûrement, mais plus les années passent et plus j'adore le faire. En plus de voir ça comme une parure, c'est aussi une sorte d'habit de travail, une politesse que je me fais à moi-même, à mes proches et à mes collègues. Une différenciation qui sépare la maison de mon boulot, le personnel du professionnel, la semaine du week-end. C'est fou à quel point un rouge à lèvres ou un enlumineur peuvent donner autant de confiance, d'assurance et d'estime de soi... Mais je me demande alors pourquoi ce sujet fait tant parler. Pourquoi se maquiller suscite autant d'émoi chez les hommes, chez les femmes, chez les stars ?

«Je ne suis pas Alexa Chung et encore moins Alicia Keys.»

Je ne suis pas une grande adepte de YouTube, même s'il m'arrive de traîner de temps en temps devant une vidéo. Et pourtant, j'aimerais beaucoup l'être : savoir comment faire un contouring, comment mettre du rouge à lèvres parfaitement, sans aucun dépassement, ou encore faire un smoky-eye digne de ce nom. Je ne le suis pas et ce n'est pas grave. À ma petite échelle, je fais comme je peux, mais surtout comme je veux. L'humeur, la situation, la personne que je vois, le type d'événements où je me rends ou la saison peuvent influer sur la manière dont je me maquillerai.

Suis-je une féministe aliénée ?


Mais pour être honnête, je suis aussi loin du cliché de ces filles qui se réveillent, passent un coup d'eau fraîche sur le visage, enfilent un jean brut, un t-shirt blanc, se coiffent à peine et sont prêtes à sortir magnifiques comme jamais. Je ne suis pas Alexa Chung et encore moins Alicia Keys. Quand je me réveille en semaine à 7 heures du mat', après n'avoir pas assez dormi, comme d'habitude, j'ai des cernes et je ne me sens absolument pas fraîche comme la rosée du matin. Le maquillage m'aide donc à ma manière à camoufler ces cernes que je ne veux pas voir et à me valoriser. Ça ne veut pas dire que je me cache et encore moins que je ne me trouve pas belle sans, c'est juste une possibilité dont je dispose et que j'ai envie d'utiliser. L'un des commentaires que j'entends souvent de la bouche de beaucoup d'hommes, mais aussi de beaucoup de femmes, c'est celui qui consiste à dire que les «femmes qui se maquillent cachent leur misère en dessous». Accompagné d'expressions comme «pot de peinture» ou encore «camion volé». D'abord, il y a aussi des hommes qui se maquillent ; mais en plus de ça, c'est sexiste et très loin de la réalité. Que ce soit pour des problèmes d'acné, de brûlures profondes, des questions de transidentité, de confiance en soi ou tout simplement juste par intérêt artistique... Il y a autant de raisons de se maquiller que d'individus qui le font.

Malgré tout ça, j'ai pleinement conscience qu'être une femme et se maquiller est liée à une longue histoire douloureuse du patriarcat, qui est loin d'être terminée. Ce devoir de plaire aux hommes à tout prix et de se conformer à des standards de beauté est une réalité que je ne peux nier. Cette «aliénation» que dénonce la journaliste Mona Chollet dans son ouvrage Beauté fatale (Éd. Zones, 2012) s'insère dans le spectre plus large de la mode, des instituts de beauté, de la chirurgie esthétique ou de la presse féminine. Au-delà du sujet, qui est très intéressant et qui prend en compte des critères sociologiques, historiques et même psychologiques, je me demande alors si en tant que féministe qui aime la mode et la beauté en général, je suis «aliénée».

«D'une certaine manière, le maquillage nous donne le pouvoir qu'on nous interdit d'avoir au quotidien.»

C'est encore plus intéressant quand on y ajoute la question de la couleur de peau. En tant que femme noire, d'une certaine manière, je pouvais me sentir «aliénée» quand je me défrisais les cheveux. Une pratique que j'ai décidé de m'imposer à 12 ans (d'abord par le biais de mes parents après les avoir suppliés de le faire) parce que je pensais que c'était la seule solution pour me trouver belle. La sociologue Juliette Sméralda en parle très bien dans son ouvrage Peau noire, cheveu crépu : l' histoire d'une aliénation, (Éd. Jasor, 2005) où elle évoque entre autres ce besoin, cette obligation même, qu'ont les femmes noires de vouloir changer leurs cheveux, leur couleur de peau mais aussi leur nez et leurs lèvres pour qu'ils soient moins «imposants». Tout cela dans le seul et unique but de ressembler aux critères occidentaux de la beauté féminine.

Retour du «naturel»

Finalement, le maquillage m'apparaît comme plus salvateur, car en me maquillant, je m'affirme. Je ne souhaite pas cacher des choses qui font naturellement partie de moi comme mes cheveux crépus, mon nez large ou mes lèvres charnues. Au contraire, pour moi, le maquillage est plus synonyme d'empowerment (une forme d'émancipation), comme le fait de voir l'actrice et réalisatrice Issa Rae en égérie de Cover Girl ou Lupita Nyong'o en égérie Lancôme. C'est en quelque sorte une valorisation de mes traits et une sublimation de ma mélanine. Et si l'arrivée de Fenty Beauty a créé une déferlante, notamment chez beaucoup de femmes noires — longtemps ignorées par l'industrie des cosmétiques — ce n'est pas pour rien. C'est parce que le maquillage donne des ailes à bien plus de monde qu'on ne le croit et que d'une certaine manière, il nous donne le pouvoir qu'on nous interdit d'avoir au quotidien. Ou quand un joli rouge à lèvres devient une sorte de superpouvoir.

Mais depuis quelques années, on prône le «naturel» et on «invite» les femmes à se montrer telles quelles, à ne plus se «cacher» derrière ce masque que serait le maquillage, en somme à se montrer sous leur «vrai jour». On assiste alors à des cris du cœur sur cette nouvelle libération. C'était la chanteuse Alicia Keys l'année dernière qui avait relancé le débat, lorsqu'elle avait raconté dans un essai pour Lenny letter, la newsletter féministe de l'actrice et réalisatrice Lena Dunham, à quel point le maquillage l'enfermait jusqu'à la rendre superficielle :

«À chaque fois que je quittais la maison, j'étais inquiète si je n'avais pas de maquillage: et si quelqu'un voulait prendre une photo ? Et s'ils la POSTAIENT ? Voici les pensées superficielles, mais honnêtes, qui me passaient par la tête. Et elles étaient toutes basées, d'une façon ou d'une autre, sur ce que les gens pouvaient penser de moi.»

Une déclaration sincère et respectable, qui avait été grandement saluée par beaucoup, et pointée du doigt par d'autres soulignant le fait qu'Alicia Keys était naturellement magnifique et qu'effectivement, ne plus porter de maquillage n'était pas un aussi grand fardeau pour elle que pour d'autres personnes. Par la suite, on apprenait aussi qu'elle dépensait plusieurs centaines de dollars de produits par mois pour avoir une aussi belle peau... Plus récemment, c'est l'écrivaine anglaise Zadie Smith qui expliquait qu'elle avait dit à sa fille qu'elle ne devrait pas passer plus de «15 minutes dans la salle de bain» et «perdre son temps» avec du maquillage. Même rengaine entre ceux qui étaient d'accord et ceux qui ne comprenaient pas ce qu'elle voulait dire par là : se maquiller, c'est donc être superficiel-lle?

Alicia Keys et Zadie Smith


«Que c'est fatiguant d'être une femme et de répondre constamment aux injonctions que la société nous impose.»

On est donc arrivés au point où on doit constamment prouver sa beauté naturelle. Et cela passe par une armada de produits (de beauté) à acheter, par des partages de selfies #nomakeup et par une maîtrise complète d'un maquillage nude, entendez par là qui donne l'impression de ne pas être maquillé-e. Mais finalement, ne serait-ce pas ça l'aliénation de la femme par la beauté ? Cette nécessité d'être belle naturellement et de tout faire pour le rester ? Le serpent qui se mord la queue. En plus de ne pas devoir se maquiller, il faudrait être parfaite naturellement quand ce n'est pas le cas. Que c'est fatiguant d'être une femme et de répondre constamment aux injonctions que la société nous imposent.

Que je sois maquillée ou non, c'est un choix personnel. Tant que ça me fait du bien, pourquoi devrai-je arrêter ? Pour prouver aux gens qu'en réalité je suis pas trop mal en dessous de «tout» ce fond de teint ? Le maquillage m'aide à valoriser ce que je préfère chez moi, à camoufler ce qui me dérange et à me donner ce petit bout de confiance qui peut modifier mon quotidien au boulot, en soirée ou avec mon amoureux. Je pense que finalement le plus important, c'est d'être bien dans sa peau, ce qui est déjà en soi un long parcours du combattant... Alors si on nous laissait faire ce qu'on veut et surtout ce qu'on estime bien pour nous une bonne fois pour toutes ?