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    Pourquoi vous devriez vous intéresser à l'orgie dans «Sausage Party»

    La scène de partouze du film est en fait un appel à la tolérance et à la diversité.

    Cet article parle d'une scène qui se produit à la fin du film Sausage Party, et contient donc des spoilers.

    «Parents, protégez vos enfants de Sausage Party, le film qui initie la jeunesse au sexe en groupe et à la pornographie», «Expliquez-nous comment vous autorisez la projection d'une partouze géante, à voir en famille?» C’est ainsi que le site infochrétienne.com, dans un article partagé près de 10.000 fois, et La Manif pour tous mettent en garde contre Sausage Party. Ce nouveau film d’animation américain interdit aux moins de 12 ans est écrit par Seth Rogen, connu pour son humour gras et potache. Collaborateur de Judd Appatow, il est le scénariste de Supergrave, C’est la fin ou encore L’interview qui tue, film qui avait fait polémique car il mettait en scène Rogen et James Franco essayant d’assassiner Kim Jong-un.

    Sausage Party, lui, raconte une histoire assez proche de celle de Toy Story: les produits d’un supermarché pensent que le paradis les attend une fois achetés. Mais ils réalisent un jour qu’en fait, au-delà des portes du magasin, ce qui les attend ressemble plutôt à de la torture: ils sont coupés, râpés, bouillis, cuits… Bref, massacrés.

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    «Le premier film style Pixar qui soit restreint aux moins de 17 ans»

    La différence avec les films de Disney ou Pixar, c’est qu’ici, le contenu est résolument plus adulte. Comme dans les films cités plus haut, la patte de Seth Rogen est très présente: c'est politiquement incorrect, bourré de blagues de cul et de vocabulaire adulte. Rien que dans la bande-annonce, on dénombre une dizaine de «fuck» et de «shit»: on n’est clairement pas chez Disney. Ainsi, là où La Manif pour tous et infochrétienne.com se trompent, c’est qu’il ne s’agit pas d’un film pour enfants ni même d’un film familial: il est interdit aux moins de 12 ans en France, et les moins de 17 ans aux États-Unis doivent être accompagnés d’un adulte pour le voir. À moins de considérer que des blagues sur le conflit israélo-palestinien sont destinées à un jeune public, il n’y a aucun doute possible: Sausage Party n’est pas un film pour les enfants.

    En fait, Seth Rogen se bat pour ce projet depuis plus de 10 ans. Et il explique justement qu’il voulait montrer que le monde de l’animation peut offrir autre chose que des films pour enfants: «On aimerait que les gens traitent l’animation comme un médium, et pas comme un genre cinématographique.» Et c’est précisément pour ça que les animateurs du film s’en sont donnés à cœur joie pour fournir le film d’animation le plus choquant de l’Histoire: «On voulait faire le premier film style Pixar qui soit restreint aux moins de 17 ans», dit encore Seth Rogen.

    À la télé, le genre de l’animation pour adultes est déjà bien répandu; South Park, ou plus récemment BoJack Horseman sont des séries plutôt destinées à un public mature. Mais comme le prouvent certaines réactions à la sortie de Sausage Party, le cliché «dessin animé = jeunesse» persiste.

    La vraie raison pour laquelle La Manif pour tous et infochrétienne.com sont choqués par le film est peut-être ailleurs: Sausage Party n’est pas seulement une parodie des films de Disney et Pixar. C’est aussi une satire sur la religion et ses extrêmes: complètement aveuglés par leur foi, les aliments sont au début du film fermés d’esprit, sectaires et pleins d’idées pré-conçues. Lorsqu’ils découvrent la dure réalité (le paradis n’existe pas) et les complexités de leur existence, alors ils commencent à s’entraider et à grandir. Contactée par BuzzFeed News, Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif pour tous, n'a pas souhaité répondre à nos questions pour ne pas faire de la publicité au film.

    La scène de partouze? Un appel à la tolérance et à la diversité

    La scène qui semble le plus crisper les critiques du film est une scène que La Manif pour tous qualifie à raison de partouze. À la fin du film, les aliments du supermarché sont exaltés par leur victoire… et très vite, l’exaltation se transforme en orgie gargantuesque et extrêmement crue: des champignons sucent des radis, des jus de fruits sodomisent de la choucroute, etc. Avant toute chose: oui, cette scène est choquante –même s’il s’agit de dessins animés, on a rarement vu quelque chose d’aussi explicite au cinéma. Si les scènes de sexe explicites vous mettent mal à l’aise, et si ce genre d’humour volontairement choquant n’est pas votre tasse de thé, n’allez pas voir le film. Mais s’il y a une chose à retenir, c’est celle-là: la scène de l’orgie est en fait un appel à la tolérance et un hommage à la diversité. Laissez-moi m’expliquer.

    Les produits du supermarché sont très stéréotypés selon leur provenance, et le genre de clients à qui ils s’adressent. Par exemple, le bagel, Sammy Bagel Jr, est clairement un archétype de personnage juif, et il s’entend très mal avec le lavash, originaire du Moyen-Orient. Le taco est joué par Salma Hayek, et les produits pour hot dog, qui représentent l’Amérique profonde, sont des chrétiens qui pensent que le sexe est un péché. Le film joue aussi sur les noms des produits: en anglais, «douche» signifie à la fois «poire à lavement» et «connard» en argot; la poire à lavement est donc un gros connard. La marque de biscuits fourrés «Twinkie» est aussi un mot parfois utilisé pour décrire les jeunes gays aux États-Unis, du coup, les Twinkies du supermarché sont gays. Et ainsi de suite.

    Sauf qu’il ne s’agit pas juste de reproduire des clichés moqueurs et intolérants. Au contraire, le film pousse les clichés à leur paroxysme, pour mieux les déconstruire. Et c’est là qu’on en vient à la fameuse scène. Lorsque les aliments se mettent à tous coucher ensemble, toutes leurs barrières, toutes leurs idées reçues et toutes leurs différences tombent, pour laisser place à ~l'amour~ (et à beaucoup de sexe, donc). La meuf hot dog, qui se croyait hétéro, couche en fait avec le taco lesbien. Le bagel et le lavash s'enfilent gaiement. Ce n’est pas qu’une scène de cul: c’est un appel à la réconciliation entre les peuples.

    Qui plus est, cette scène contient plus de diversité que n’importe quel film hollywoodien jamais produit: gays, bi, lesbiennes, juifs, musulmans, chrétiens, personnes en situation de handicap… tout le monde est là, et, oui, tout le monde baise. Le taco passe tout le début du film à réprimer son attirance pour le pain (comprendre, son homosexualité), avant de finir par s'accepter. Comparez cela à la plupart des films où même les personnages issus d’une minorité sont joués par des acteurs blancs, parce que l’industrie refuse encore et toujours d’embaucher des acteurs de couleurs. Ou comparez cela à tous les films où des hommes vieux et insignifiants arrivent à séduire sans problème des femmes sublimes de 20 ans, alors que l'inverse ne se produit jamais. Ou qui sexualisent à outrance les adolescentes, et sous-entendent que les femmes ne sont que des objets sexuels. Ou qui véhiculent des clichés homophobes, ou effacent la diversité. Ou ceux qui renforcent la culture du viol en laissant croire que le consentement n’est pas une condition nécessaire pour coucher avec une femme. À côté de ça, Sausage Party est sans doute le film de l’année le plus inoffensif pour notre société.