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    Comment les films d'horreur m'aident à combattre mes angoisses

    Quand ma peur atteint un niveau insurmontable, les monstres, démons et zombies viennent dévorer mes angoisses, et les emportent avec eux lors du générique de fin.

    C’était un vendredi de juin 2012, en début de soirée, vers 19h30. Je buvais des verres avec des collègues au Café A, à Paris. J’avais récemment passé des examens médicaux, toujours une grande source d'angoisse pour moi, et j’attendais des nouvelles. J’ai vu un peu trop tard que j’avais plusieurs appels en absence et deux messages vocaux de ma médecin: elle avait reçu mes résultats, elle était «inquiète» et voulait que je la rappelle. Sauf qu’après m’avoir appelée, elle était partie en week-end. Son deuxième message disait: «Je ne serai pas joignable ce week-end, mais venez me voir dès lundi, c’est très important.»

    J’ai senti mon estomac s’effondrer jusque dans mes chevilles. J’ai réécouté les messages plusieurs fois, essayant d’analyser chaque mot. J’ai appelé une amie, en pleurs, le souffle court. Je ne savais pas quoi faire, et je ne voulais pas penser à la maladie grave qu’on m’avait sans doute découverte, alors j’ai continué à boire des verres avec mes collègues, allant parfois me planquer pour essuyer discrètement mes larmes. Puis j’ai erré jusqu’à chez moi avec l’impression de flotter dans le vide.


    Ça peut paraître idiot, mais ce soir de juin 2012, voir des ados se faire massacrer à la tronçonneuse m'a fait relativiser. 

    Incapable de dormir, j'ai décidé de faire passer le temps avec un film. Instinctivement, j’ai choisi un vieux classique, Massacre à la tronçonneuse. Ensuite, j'ai enchaîné avec Alien. Au moment où un premier membre de l'équipage est vicieusement attaqué par l'Alien, j'ai fini par m'assoupir, enfin apaisée.

    Ça peut paraître idiot, mais ce soir de juin 2012, voir des ados se faire massacrer à la tronçonneuse m'a fait relativiser. Attendre des résultats médicaux semblait dérisoire par rapport à la perspective d'être pourchassée par un homme portant la peau de ses victimes en guise de masque. Voir Sally et Frank pris au piège, confrontés à un danger aussi réel et barbare, m'a permis d'apprécier le confort et la sûreté de ma chambre. Ça pourrait être pire, Anaïs: tu n’es pas en train de te faire massacrer à la tronçonneuse. A priori. Donc ça va aller.

    Je suis de nature (très) angoissée. À 25 ans, j’ai déjà plus de cheveux blancs qu'un président en exercice, je fais des crises de panique régulièrement, et je suis, vous l’aurez compris, hautement hypocondriaque. Par dessus tout, j’ai peur de la mort. Une peur viscérale, chronophage et épuisante de ma propre mort. Parfois, je réalise que je vais peut-être (je reste optimiste) mourir un jour, et cette seule pensée suffit à littéralement me faire suffoquer –oui parce qu'en plus je suis asthmatique. Bref, je suis une personne fun. Ah, et j’ai aussi une passion pour les films d’horreur, depuis que j’ai vu Les Oiseaux à l’âge de 9 ans. Je les aime tous: les classiques en noir et blanc, les slasher, ceux des années 80 tellement nazes que le vidéo-club me laissait les emprunter gratuitement, ceux où les moignons et le faux sang giclent à foison, ceux qui sont plus subtils et font peur par simple suggestion.

    Beaucoup de gens ont l’air complètement déroutés quand je dis que j'adore les films d'horreur: pourquoi s’infliger volontairement deux heures d’angoisse et de terreur, agrémentées parfois d’images d’une violence insoutenable, sans parler des cauchemars qui viennent la nuit d’après? Comment est-ce que je peux m’amuser face à des gens qui souffrent, des démons difformes, des cadavres déchiquetés, des yeux arrachés, tout ça alors que je suis une grande angoissée?


     C'est un peu difficile à expliquer, mais voir d’autres personnes –fictives– souffrir le martyre et mourir dans d’atroces conditions m’apaise.

    Au-delà du fait que les films d'horreur, ce n'est pas que ça, ces derniers jouent un rôle beaucoup plus profond dans ma vie. C'est un peu difficile à expliquer, mais voir d’autres personnes –fictives– souffrir le martyre et mourir dans d’atroces conditions m’apaise.

    Ça peut paraître étrange d'aimer les films d'horreur tout en ayant peur de la mort. Mais pour moi, c'est une façon de me confronter aux pires peurs imaginables, aux angoisses les plus extravagantes, pour réussir à tolérer les miennes en comparaison. Et je ne suis pas la seule. Alexandre Aja, réalisateur de La Colline a des yeux, Haute Tension ou encore Piranha 3D avait parfaitement exprimé cette idée lorsqu'il m'avait parlé de sa peur du «lendemain»:

    «C’est un peu le principe des films d’horreur, en imaginant le pire, on se prépare au pire et on exorcise un peu ses peurs.»

    C'est un concept vieux comme le monde: Aristote parlait de catharsis, le fait de purger son âme grâce à la représentation artistique, notamment la tragédie grecque. Celle-ci permet d'exalter les émotions du spectateur à l'extrême, tout en restant dans un cadre sûr, et le libère de ses propres tensions, le rééquilibre, en quelque sorte.

    Quand je fais une crise d'angoisse, mon cerveau se précipite vers le pire scénario possible. Cette légère douleur dans le bras que je ressens est clairement le premier signe d'une crise cardiaque. Cet avion que je prends dans deux jours va forcément s'écraser. Les films d'horreur, eux, présentent souvent un scénario encore pire que mes peurs les plus folles. Je suis beaucoup plus sereine devant l'horreur démesurée de L'Exorciste que devant un épisode de Grey's Anatomy (les hôpitaux, tout ça...). À chaque fois que ma peur semble atteindre un niveau insurmontable, les monstres, démons et autres zombies viennent dévorer mes angoisses, et les emportent avec eux lors du générique de fin.


    Les personnages ont quelque chose que je leur envie énormément: ils n'abandonnent jamais.

    Dans la vie, la mort est arbitraire, injuste, elle arrive au pire moment possible, et c’est pour ça qu'elle me fait peur. Dans la vie, on sait rarement quand on va mourir. Les films d'horreur, eux, ont un côté prévisible rassurant: on sait que la grande majorité des personnages vont mourir avant la fin du film. C'est apaisant, de ne pas se poser de questions.

    Et puis observer ces personnages enchaîner les décisions et me demander, «qu'est-ce que je ferais à leur place?» me donne l'impression de développer mon propre instinct de survie. La plupart du temps parce que je me dis que je ferais l'inverse de leurs choix, vu que les personnages de films d'horreur sont souvent bêtes. Ils se séparent. Ils éteignent la lumière. Ils regardent la vidéo hantée. Ils vont au grenier ou à la cave à 3 heures du matin au lieu de partir en courant le plus loin possible. Ils trouvent des livres en latin recouverts de sang et se disent «tiens, ça a l’air sympa, et si je lisais à voix haute ces inscriptions mystérieuses pour voir ce qu’il va se passer?»

    Mais aussi parce qu'ils ont beau être un peu idiots, ils ont quelque chose que je leur envie énormément: ils n'abandonnent jamais.

    Quand je vois Sarah, l'héroïne de The Descent, dans le noir, le dos plaqué à une paroi visqueuse, le souffle court, le regard paniqué, je me dis que ce n’est pas si différent de ce que je ressens pendant une crise d’angoisse: complètement passive, paralysée par la peur, avec l'impression qu'il n'y a aucune issue possible. La seule différence, c’est que Sarah a en face d’elle un monstre répugnant à l’haleine rédhibitoire, et qu'elle a 10 secondes pour prendre une décision qui pourrait lui sauver la vie ou la condamner. Ramper à gauche, ou à droite. Attraper tout ce qui lui tombe sous la main et se défendre. Choper le monstre et lui mettre un coup de pied aux couilles. Elle est poussée dans ses derniers retranchements, dans ses instincts les plus primaires. Vivre sa peur avec elle, grisée par l’urgence de sa situation, me sort de ma propre passivité. Si elle peut faire preuve d'autant de ressources dans une situation pareille, j'arriverai forcément à m'en sortir. À la fin, peut-être qu'en dépit de tous ses efforts, Sarah va mourir, et ce sera fini pour elle. Mais moi, à la fin de chaque film d'horreur, je suis toujours vivante. J’ai une deuxième chance.

    Le lendemain de ma crise d'angoisse, j'ai confronté ma peur. Je me suis levée à 8h et je suis allée à la clinique demander mes résultats. Ils étaient normaux. Le lundi, j'ai appelé ma médecin, qui m'a expliqué qu'elle était juste inquiète parce qu’elle avait détecté dans mes analyses des signes de fièvre, et elle avait eu peur que je fasse une péritonite pendant le week-end. J’ai changé de docteur.