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    Flash-Ball en procès: prison avec sursis pour trois policiers

    Trois policiers ont été jugés pour des tirs de flash-ball injustifiés sur six personnes en 2009. Joachim Gatti avait notamment été touché à l'œil, qu'il a perdu depuis. Les trois policiers ont été condamnés à de la prison avec sursis.


    Mise à jour le 16 décembre:
    • Pour Patrice L, accusé d'avoir blessé à l'œil Joachim Gatti, mutilé depuis, le procureur avait requis 3 ans de prison avec sursis, 3 ans d'interdiction professionnelle et 5 ans d'interdiction de porter une arme. Il a été condamné à 15 mois de prison avec sursis, assortis de 18 mois d'interdiction de port d'armes.
    • Pour Mickaël G et Julien V, accusés d'avoir touché 4 personnes au flash-ball, le procureur avait requis: 10 mois de prison avec sursis, 18 mois d'interdiction professionnelle et 5 ans d'interdiction de porter une arme. Ils ont été relaxés pour deux manifestants et condamnés pour les deux autres à 7 et 10 mois de prison avec sursis et 12 mois d'interdiction de port d'armes.
    • Aucun policier n'est condamné à une interdiction d'exercer son métier.

    ✔ flashball / les 3 policiers condamnés tous interdits de port d'armes mais pas d'exercer dans la police nationale

    Pour Joachim Gatti qui a perdu l'usage de son œil ce soir-là, ses conseils avaient demandé 305.000 euros de provision pour le préjudice professionnel, esthétique, psychologique, physique et l'incapacité permanente. (Compte-rendu ICI)


    Mise à jour le 22 novembre: Compte-rendu des deux premières journées du procès ci-dessous

    1ère journée

    ⚡️ “Jour 1-Trois policiers poursuivis pour violences volontaires au flashball en 2009” #Gatti #Montreuil https://t.co/LdjaoYXfe1

    Compte-rendu de la 2e journée

    ⚡️ “Jour 2 - Policiers poursuivis pour violences volontaires au flashball” #LiveTweet #Montreuil #Gatti https://t.co/5EZBlRLL9z

    3e journée

    ⚡️Jour 3- Policiers poursuivis pour violences volontaires au flashball: Experts et témoins à la barre #Gatti #LT https://t.co/CZxpybojnx

    4ème journée

    ⚡️ Compte-rendu de la 4e journée du procès des policiers poursuivis pour des tirs au Flash-Ball injustifiés #Gatti https://t.co/tStZv9HzFG



    Flash-Ball en procès: «Pour un œil crevé, combien d'autres victimes anonymes?»

    Il aura fallu attendre sept ans. Sept ans de procédure et d'obstacles pour que, fait exceptionnel, trois policiers comparaissent du 21 au 25 novembre devant la chambre correctionnelle du tribunal correctionnel de Bobigny. Ils sont poursuivis pour avoir tiré au flash-ball en situation illégitime, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) en 2009.

    «Il recevait en pleine face un tir de flash-ball»

    Ce soir du 8 juillet 2009, des militants organisent un repas dans une rue de Montreuil pour protester contre l'expulsion, le matin même, de «la clinique», un lieu d'habitation et d'activités collectives et militantes. À la fin du repas, ils sont une cinquantaine à marcher dans la ville direction de cet endroit, protégé par un service de sécurité privé. Lorsque la police arrive sur les lieux, les choses dégénèrent immédiatement. Plusieurs équipages de forces de l'ordre tentent d'éloigner les militants de l'endroit et trois agents utilisent leur LBD (un cousin du flash-ball) en tirant au dessus de l'épaule — pratique formellement interdite. Six personnes sont touchées, et l'une des victimes, Joachim Gatti, 34 ans à l'époque, perd son œil.

    Le 10 juillet 2009, la presse, via les dépêches AFP, résume les faits en parlant d'un «squatter» qui perd un œil, «d'affrontements entre les jeunes et la police» et surtout, de jets de «projectiles sur les policiers». La préfecture de police ajoutait ceci:

    «Nous avons bien eu connaissance qu’un jeune homme a perdu son œil mais pour le moment il n’y a pas de lien établi de manière certaine entre la perte de l’œil et le tir de flashball.»

    Lors de l'enquête ouverte par le parquet de Bobigny et menée par la police des polices, la situation s'avère être bien différente que celle présentée par la préfecture mais aussi par les trois policiers mis en cause, Patrice L., Mickaël G., et Julien V.

    Interrogés par l'Inspection générale des services (IGS), les six victimes livrent toutes la même version. Joachim Gatti explique qu'après le repas, entre 30 et 50 personnes marchaient dans la rue en direction de la clinique. Après avoir discuté avec le vigile posté devant l'endroit fermé, ils décident de quitter les lieux au moment même où un équipage de police arrive. Les policiers suivent le groupe, Joachim se retourne car l'un d'entre eux se fait interpeller par un agent. L'ordonnance de renvoi du juge d'instruction, qui résume le témoignage de Joachim Gatti, livre la suite:

    «Il se retournait, entendait un premier tir de flash-ball et alors qu'il allait partir, recevait en pleine face, au niveau de l'œil droit le projectile d'un tir de flash-ball. Il tombait au sol sans perdre connaissance, entendait quelqu'un crier "ils tirent au visage" avant que l'on vienne à son aide.»

    Outre Joachim Gatti, Igor est touché à la clavicule, Éric à la nuque, Gabriel à l'épaule. Flo est touché à la jambe, R est touché en plein front. Seuls les quatre premiers ont porté plainte et se sont constitués partie civile.

    «On arrive au stand de tir»

    Face aux enquêteurs et au juge d'instruction, les trois policiers poursuivis assurent que les jeunes voulaient en découdre. Il y avait une «pluie de projectiles», dira l'un. Les manifestants «continuaient à avancer» vers les forces de l'ordre, précise un autre quand le troisième agent assure que des sommations ont été lancées avant de tirer. Mickaël G., qui a touché la clavicule d'Igor et le dos de Gabriel ajoute que, «porteur de son casque dont la visière était rayée, il avait une vision altérée».

    Mais leur version va être mise à mal par plusieurs témoins et par les auditions d'autres fonctionnaires de police. L'agent Cédric L. par exemple dira que ses collègues ne portaient en réalité pas de casque au moment des tirs. Comme de nombreux témoins, le lieutenant responsable de l'ensemble des effectif déclare qu'il n'y avait eu aucun jet de projectile sur les forces de l'ordre à ce moment-là. Les conversations radio paraissent également troublantes. «On arrive au stand de tir», dit l'un des policiers avant d'intervenir sur les lieux.

    Des années après l'ouverture de l'enquête, l'ordonnance de renvoi a fini par retenir «un rassemblement pacifique» et balaye la défense des trois policiers poursuivis:

    «S'agissant de l'état de légitime défense d'autrui invoquée par le mis en examen comme ayant commandé et justifié les dites violences volontaires au motif d'assurer la défense de ses collègues de la BAC en train de procéder à une interpellation, l'information n'a pas permis de retenir l'existence de jets de projectiles lancés en direction de ces derniers de nature à les exposer à un danger actuel ou imminent.»

    Et la juge d'instruction d'ajouter que même si tel avait été le cas, l'usage du flash-ball «n'aurait pu constituer les circonstances d'une riposte proportionnée à l'attaque», selon la loi.



    «Pour un œil crevé, combien d'autres victimes anonymes?»

    Le parquet souhaitait uniquement poursuivre l'auteur du tir contre Joachim Gatti. S'appuyant sur des expertises (contestées par la suite) qui excluaient que les blessures aient été causées par un flash-ball, il préconisait un non lieu pour les deux autres agents. Mais la juge n'en a pas tenu compte et a souhaité que les trois agents qui ont tiré à six reprises ce 8 juillet soient jugés. Lors de ce procès, il s'agira aussi de comprendre pourquoi les trois agent n'ont eu aucune formation permanente pour l'utilisation de cette arme, ni aucune consigne avant d'intervenir à Montreuil.

    Le principal mis en cause, poursuivi pour avoir «volontairement commis des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente», risque une peine de dix ans de prison et 150.000 euros d'amende.

    Pour le collectif du 8 juillet, un mouvement qui rassemble des victimes de cette soirée et d'autres militants, ce renvoi en correctionnelle est «satisfaisant». Ses membres regrettent toutefois que la juge «n'ait pas retenu les infractions de faux et usage de faux» quant à leurs déclarations, mais aussi de non assistance à personne en danger «pour avoir laissé Joachim au sol en sang».

    Si cette affaire concerne trois policiers et six victimes, Jeanne, du collectif du 8 juillet, tient à ce que ce procès soit celui «de la violence policière»:

    «Ce soir là, l'un des tirs a laissé une trace indélébile. Mais si Joachim n'avait été "que" blessé et non mutilé, il n'y aurait pas eu de procès. Pour un œil crevé, combien d'autres victimes anonymes sont blessées par la police?»

    Cazeneuve refuse d'abandonner le flash-ball

    À l'époque, alors que Nicolas Sarkozy avait contribué à la multiplication de ces armes dans les commissariats, la patronne de l'IGPN admettait un «problème avec ces armes de force intermédiaire». Mais depuis plus de dix ans, la liste des blessés ne cesse de s'allonger (on compte notamment 36 blessés graves depuis 2005).

    Rien qu'en 2015, un enfant de 14 ans a été blessé au niveau des parties génitales, un jeune de 16 ans au visage et un troisième au front. Maxime Beux, un supporter de foot, a également perdu l’usage de son œil gauche. À chaque fois, les tirs des policiers contreviennent aux règlement intérieurs qui interdisent de viser au dessus de l'épaule ou au dessous de la ceinture. Et loin de remettre en cause la dangerosité de cette arme, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a immédiatement balayé les recommandations du Défenseur des droits qui demandait un moratoire sur son usage.

    Pour le collectif du 8 juillet, ce procès sera donc une «étape importante dans leur combat contre l'impunité policière» et «contre ces violences structurellement permises». Afin de montrer que cette affaire n'est que «la partie émergée de l'iceberg», viendront aussi témoigner plusieurs représentants dont ceux de l'ONG l'Acat, qui a établi un rapport accablant sur le sujet, mais aussi Urgence notre police assassine (UNPA), des représentants des collectifs installés à Calais, etc.

    Car selon le collectif, les situations se déroulent de manière identique à chaque fois qu'un fonctionnaire de police fait usage de la force de manière injustifiée. Jeanne résume «cette construction de l'impunité policière»:

    • «Les policiers se couvrent entre eux et accusent les victimes d'outrage ou de rébellion.
    • La presse relaie dans un premier temps l'unique version policière.
    • L'enquête, lorsqu'il y en a, est longue et donne souvent lieu à des classements.
    • Lorsque les policiers sont condamnés, la peine est dérisoire.»

    Comme exemple, elle cite Adama Traoré, mais aussi les lycéens de Bergson, ou des manifestants anti-loi Travail. Dans chacune de ces affaires par exemple, les autorités relaient d'abord la version policière et les fonctionnaires se couvrent mutuellement.