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    Quand les policiers font eux-mêmes le procès (accablant) du Flash-Ball

    Pendant une semaine, trois policiers sont jugés pour avoir blessé six personnes au Flash-Ball en 2009 à Montreuil. Lors de ce procès, experts et policiers ont dénoncé la dangerosité de cette arme... pourtant défendue par le ministère de l'Intérieur.


    Mise à jour le 16 décembre: Les trois policiers ont été condamnés à de la prison avec sursis. (Les détails ICI).


    Habituellement, les forces de l'ordre plébiscitent le Flash-Ball ou son cousin nommé LBD40, censés être des intermédiaires efficace entre la matraque et le pistolet. Mais au procès des trois policiers poursuivis pour des tirs injustifiés au Flash-Ball sur des manifestants en 2009, et qui se tient du 21 au 25 novembre à Bobigny, la légitimité de cette arme a volé en éclats.

    Un policier juge cette arme létale

    D'après les autorités, le Flash-Ball, et maintenant le LBD40, sont des armes fiables et à létalité réduite. Mais au procès des trois policiers, le message des forces de l'ordre n'est pas du tout le même que celui de leur hiérarchie.

    Le Flash-Ball, qui tire des balles en caoutchouc à une vitesse de 324 km/h, est évidemment au centre des débats. Le 8 juillet 2009, Patrice L. est accusé d'avoir tiré à deux reprises sur des militants et d'avoir notamment touché l'œil de Joachim Gatti, 34 ans. Les deux autres agents, Julien V. et Mickaël G., sont aussi accusés d'avoir visé et touché des personnes au-dessus des épaules notamment, une pratique interdite. Selon les trois fonctionnaires (contredits par les conclusions de l'enquête et par de nombreux témoins), les manifestants étaient hostiles et jetaient de nombreux projectiles sur eux. Selon eux, l'utilisation de cette arme dite non létale «s'imposait» donc, dans une situation de «légitime défense».

    Les policiers à la barre ce matin au procès Flash Ball tribunal correctionnel de Bobigny

    Au grand dam de son fabriquant, l'entreprise Verney-Carron, l'efficacité de cette arme a été immédiatement balayée le temps du procès. En se défendant, les trois prévenus ont en effet dénoncé l'imprécision manifeste du Flash-Ball, qu'ils disent avoir découverte ce soir du 8 juillet 2009. «En formation, on nous dit que cette arme équivaut à un uppercut d'un boxeur, que c'est une arme non létale», explique Patrice L. Un autre policier, Julien V. confirme devant le tribunal:

    «Je n'avais pas connaissance de la dangerosité de cette arme due à son imprécision.»

    Lorsque le juge demande à Patrice L. s'il a des regrets face à sa victime, Joachim Gatti qui a perdu l'usage de son œil après cette soirée, le policier confesse à la barre:

    «Si cela devait se reproduire, je ferais la même chose, la même action policière, mais pas avec la même arme. Je le referais, mais avec une arme non létale, à cause des dérives et de l'imprécision du Flash-Ball.»

    Le troisième agent, Mickaël G., à qui le tribunal ne parviendra à arracher ni excuses ni remords, finit par remettre en cause l'autorisation de cette arme:

    «Dans ce cas-là, il faudrait qu'on ne puisse plus tirer au Flash-Ball. Si j'avais pu faire autrement, j'aurais fait autrement.»

    Pourtant, dans une circulaire publiée par le ministère de l'Intérieur en 2014 qui rappelle les règles encadrant son usage, le Flash-Ball (comme le LBD40) n'est «pas une arme létale».



    Face au président du tribunal de Bobigny, l'agent Julien V. ne dit pas autre chose: «J'ai appris à la suite de cette affaire que le Flash-Ball était une arme imprécise. Dans les formations, on ne nous le dit pas.»

    Témoignage accablant de la police scientifique

    Ces critiques pourraient simplement s'inscrire dans le cadre de la défense de ces trois policiers. Accuser l'arme pour ne pas avoir à justifier les conditions de son utilisation. Ne pas s'expliquer sur l'absence de situation de légitime défense et ou sur la non-assistance aux blessés.

    Mais plus étonnant encore, deux experts ont également livré une analyse de cette arme bien différente de la publicité de son fabricant ou de celle relayée par le ministère de l'Intérieur.

    Béatrice Prigent, commandante rattachée au laboratoire de police scientifique de Paris, confirme au président du tribunal correctionnel de Bobigny que le «Flash-Ball n'est pas une arme précise». Elle ajoute même que «le point visé par le policier» avec cette arme n'est pas «le point touché». Pour étayer ses propos, l'experte s'appuie sur une étude réalisée par son laboratoire et pour le moins accablante. Alors qu'un policier, lorsqu'il fait usage du Flash-Ball, doit viser principalement le torse (cibler la tête ou les parties génitales est interdit), elle explique que les marges d'erreur entre le point visé et le point touché sont considérables.

    «Pour un tir à 12 mètres (le tir réglementaire étant compris entre 7 et 12 mètres), la marge d'erreur est de 60cm. À 20 mètres, elle est de 2,5 mètres. À 30 mètres, elle est de 5 mètres».

    En clair, il est presque impossible d'être certain de ne pas toucher le visage ou les parties génitales.

    «À 20 mètres, si vous touchez c’est un coup de bol»

    «Et même en utilisant les appareils de visée, hélas, l'arme n'est pas précise», explique le second expert interrogé par le tribunal. Il confirme l'analyse de sa consœur après avoir effectué plusieurs tests:

    «Quand on tire à 15 mètres, si on loupe sa cible, disons que ce n’est pas étonnant. À 20 mètres, si vous touchez c’est un coup de bol, moi-même à cette distance, je n’ai jamais atteint le point de visée.»

    Et de lâcher cette conclusion tranchante:

    «C'est une arme dite non létale, mais je me permets d'utiliser le terme "dite" car je n'irais pas mettre ma tête devant à un mètre.»

    «On a donné à la police les moyens de blesser légalement»

    Depuis de nombreuses années, à mesure que la liste des blessés graves s'allonge, de nombreuses associations remettent en cause l'usage du Flash-Ball et sa qualification de «non létale» ou «d'arme à létalité réduite». David Dufresne, journaliste spécialiste de la question et auteur de Maintien de l'ordre, livrait cette observation à Rue89:

    «Quand la police des polices s’est efforcée à changer le vocabulaire de “armes non létales” en “armes à létalité réduite”, on a tous ri. On avait tort. Ce que les mots disent, c’est qu’on a donné à la police les moyens de blesser légalement. Depuis, les chiffres de mains arrachées ou d’yeux perdus ont explosé.»

    En juillet 2015, le porte-parole de Bernard Cazeneuve justifiait la nécessité de cette arme pour «assurer la protection des policiers et des gendarmes exposés à des agressions de plus en plus violentes, tout en limitant le recours des armes à feu».

    Aujourd'hui, le Flash-Ball est progressivement abandonné au profit du LBD40, censé être plus précis, mais encore plus puissant. Cette arme, déjà utilisée depuis plusieurs années, a pourtant aussi causé de graves blessures. Dans un rapport fouillé publié en mars, l'Acat dénombre depuis 2005 au moins un mort et 40 blessés graves (dont 17 après avoir été touchés par un projectile de LBD40).

    Après les blessures graves (aux testicules et au visage) de deux mineurs en juillet
    2015
    , le Défenseur des droits a appelé à un moratoire général sur l'usage du Flash-Ball en attente d’une solution de substitution. En vain. Et, malgré tous ces avertissements, Bernard Cazeneuve a décidé de généraliser le LBD40.