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    Le nouveau magazine «Waïa» entend révolutionner la beauté des femmes noires

    Sur Instagram, avec entre autres une newsletter, des séries mode, des tutoriels et des interviews, Waïa a pour projet de mettre en valeur les femmes noires et de rendre hommage à leurs beautés et à leurs styles.

    Waïa est un nouveau magazine 100% numérique (sur Instagram et via une newsletter) et 100% dédié aux femmes noires. Créé par cinq jeunes femmes aux parcours différents, l'équipe souhaite rendre hommage à la beauté et au style des femmes noires, trop souvent reléguées en seconde zone, voire invisibles dans les magazines féminins traditionnels. Pour en savoir plus sur le concept, on a posé quelques questions à Mélanie Wanga, la responsable éditoriale, Raïssa Tchoulague, directrice artistique, Oldie Mbani, maquilleuse, Nathalie Chebou Moth, aux partenariats et Regynn Yengo, au stylisme.

    - Ça veut dire quoi Waïa et comment est né le projet ?

    «Waya» signifie «Bonjour» en banen, un dialecte du Cameroun. On voulait un terme simple et joyeux, qu'on a stylisé parce qu'on trouve ça plus joli esthétiquement. Le projet est né d'une constatation commune : en France, dans les médias et l'industrie de la beauté/mode – où nous avons toutes travaillé –, il y a toujours une grande résistance à mettre en valeur les femmes noires. On entend, en gros, qu'elle ne «vendent pas».
    Qu'on ne peut pas les mettre en couverture des magazines parce que les Français-es ne se reconnaissent pas en elles. Que les fonds de teint qui leurs sont destinés ne se vendent pas donc qu'on ne peut pas les stocker. Qu'elles ont une image trop «urbaine»...
    En réalité, les femmes noires dépensent beaucoup pour leur beauté, cinq à six fois plus en moyenne que les autres. Mais la pub les stéréotype encore beaucoup. Par exemple, quand une femme noire est représentée, c'est soit la métisse à bouclettes qui vend des cartes téléphoniques, soit la noire huilée et animalisée. Waïa veut montrer que d'autres formes de représentations et de beauté noire sont possibles.

    - Un compte Instagram, une newsletter mais pas d'articles sur le site internet : pourquoi ce positionnement ?

    Toutes les photos et textes de Waïa sont conçus et réalisés par notre équipe, en collaboration avec des photographes et des modèles. On s'adresse avant tout aux millennials, donc le projet a été pensé entièrement en ligne. Nous voulions vraiment créer un espace immédiatement accessible. Il est aujourd'hui très difficile de faire vivre un magazine en ligne : en plus des coûts, il faut tous les jours attirer le-la lecteur-trice sur le site, conserver son attention et réussir à le-la faire revenir. Alors que, avec Instagram, on touche directement la personne là où elle se trouve et où elle a ses habitudes. La newsletter découle du même constat : tout le monde regarde ses mails au moins une fois par jour. C'est donc une stratégie pensée pour notre cible, les femmes entre 15 et 40 ans.

    - Représenter les femmes noires dans toute leur globalité en 2018, ça paraît normal et, pourtant, c'est encore bien rare. Pourquoi à votre avis ?

    En France, c'est encore compliqué. Bien que l'on soit régulièrement alimenté-e-s d'images, de séries et de films où il y a des femmes noires, ça vient surtout des États-Unis. En réalité, on sait que les magazines féminins perdent chaque année un peu plus de leur lectorat, qui se tourne vers le web et ses chaînes YouTube, comptes Instagram et blogs. En tant que jeunes femmes noires, nous avons grandi sans nous retrouver dans les magazines féminins classiques. Il y avait toujours des conseils beauté pour les brunes, les blondes, les rousses, mais les noires n'étaient pas la «norme» donc elles étaient exclues de ces pages. Nous étions forcées de faire ce que beaucoup de personnes racisées font inconsciemment, se projeter dans le corps d'autres, être dans l'altérité. Mais les choses changent peu à peu, en témoigne le livre Noire n'est pas mon métier, à l'initiative de l'actrice Aïssa Maïga, où les actrices noires de France imaginent une représentation différente. Nous pensons que nous arrivons à un moment où la demande est là.

    «Waïa veut montrer que d'autres formes de représentations et de beauté noire sont possibles.»


    - Pourquoi est-ce important d'avoir un média qui ne parle que des femmes noires dans leur ensemble ? Que diriez-vous à ceux et celles qui vous reprocheraient de ne pas vous adresser à tout le monde ?

    On leur répondrait que créer un espace pour représenter celles qu'on ne voit pas d'habitude ne discrimine personne. On s'est demandé combien il y a eu de femmes noires en couverture du magazine Elle en 2017. La réponse est zéro (sauf Meghan Markle, qui passe pour blanche). La véritable dernière cover avec une femme noire remonte à 2016, et c'était… Beyoncé, donc pas exactement une prise de risque incroyable. Nous n'empêchons personne de suivre Waïa, bien au contraire ! Il se trouve simplement que nous mettons les femmes noires au cœur de notre projet.


    - Qu'est-ce que vous voulez changer et apporter au paysage médiatique avec Waïa ?

    Une autre vision. Pour notre campagne de lancement, nous avons choisi des mots-clés que l'on associe rarement aux femmes noires : la Parisienne par exemple. Quand on entend ce terme, on pense généralement immédiatement à une brunette à frange, qui fume une cigarette en slim. Alors qu'il y a énormément de Parisiennes qui sont des femmes non blanches ! Nous avons aussi photographié des filles qu'on a appelé «fraîche», «avant-garde», «lumineuse»… La mission de Waïa, c'est de créer de nouveaux imaginaires et de donner l'opportunité à des femmes noires de les incarner.


    - En quoi la beauté et l'esthétique de manière générale peuvent être autant politiques que le reste pour les femmes noires ?

    Ces questions sont effectivement toujours politisées. L'industrie de la beauté traverse une phase de mutation et est en recherche de «diversité», notamment sous l'impulsion de la marque Fenty Beauty, de Rihanna. Mais si l'ambition de Waïa est de contribuer à ces questions, nous voulons aussi les dépasser en donnant simplement la parole à des femmes noires qui ont des choses à dire sur leur vie, leur manière de voir le monde, leur beauté et leur style.


    - Enfin, comment décririez-vous la femme Waïa ?

    Pour nous, il n'y a pas une femme Waïa, mais plusieurs justement. Nous voulons chercher les différences au sein des femmes noires, car elles sont toutes différentes, vivent différemment, pensent et s'habillent différemment. Nous essayons de montrer ces nuances et de parler des filles qui ont le crâne rasé et sont bagarreuses, des filles douces, des geeks et des fêtardes, des filles grosses… bref, de leur multiplicité. En plus, les noires sont souvent dans l'originalité, dans la création d'un style en marge des canons de beauté, notamment avec leurs cheveux et leur make-up. C'est aussi cette créativité que Waïa veut documenter.

    Cette interview a été éditée pour des raisons de clarté.