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    Comment Instagram a changé notre rapport au voyage

    De nombreuses personnes ont remplacé les guides de voyages par Instagram pour préparer leur futur voyage.

    Instagram est connu pour deux choses : être le réseau social le plus néfaste pour la santé mentale, mais aussi celui qui fait le plus rêver d'évasion. Si certains vont sur Instagram pour suivre leurs célébrités, blogueurs-gueuses ou chef-ffes préféré-e-s, beaucoup s'y rendent aussi pour assouvir leurs envies d'ailleurs et préparer leurs prochaines destinations de voyage. Il suffit de taper le hashtag #Travel (#Voyage) dans la barre de recherche Instagram pour y découvrir plus de 293 millions de publications postées dans le monde entier. Que ce soit la photo d'une blogueuse prise dans un marché à Bali (Indonésie), d'un paysage extraordinaire à Hawaii ou la vue d'une simple rue de Kyoto (Japon), on y trouve un peu de tout avec un dénominateur commun : ça fait rêver, mais surtout ça donne des idées.

    Parmi ces utilisateurs, il y a Marion, danseuse de 23 ans résidant à Paris, qui utilise Instagram pour «faire des repérages et trouver de l'inspiration», mais aussi des «endroits qui ne figurent pas dans les guides». L'envie de découvertes plus locales poussent les globe-trotteurs numériques à préparer leurs voyages autrement. Et même avec la diversification numérique des guides de voyages classiques et leur format plus pratique et plus épuré, la concurrence est rude. Il y a quelques années, c'était grâce aux blogs de voyages qu'on récupérait des bons plans. Aujourd'hui, Instagram a pris le relais, avec ces mêmes blogueurs qui ont ajouté les réseaux sociaux comme corde à leur arc.

    Une vitrine marketing pour les offices du tourisme et les influenceurs

    Instagram est aussi une merveilleuse vitrine marketing pour les offices du tourisme, les agences de voyages et les compagnies aériennes qui entretiennent des relations étroites avec ces influenceurs d'un nouveau genre, qui gagnent parfois leur vie en ne faisant que voyager. Découvrir un lieu à travers le regard d'une personne de sa tranche d'âge, avec des goûts communs, permet plus facilement de s'identifier que dans un guide un peu plus impersonnel. On ne compte d'ailleurs plus le nombre de listes sur internet qui invitent à suivre des comptes influents traitant de voyage sur Instagram.

    Pour Marine, fouiller sur Instagram avant de voyager est devenu un réflexe :

    «Pour trouver des lieux ou des restaurants cool, je tape le hashtag d'une ville. Généralement ça m’entraîne vers le site d’un blog local cool avec pleins de bons plans.»

    Le réseau social est aussi une bonne manière de trouver des adresses intéressantes de restaurants comme pour Léna, qui classe des dossiers «avec la fonctionnalité "enregistrer", en écumant les comptes des blogueuses locales à travers les géolocalisations». Idem pour Marion T, chargée de communication de 23 ans, qui s'en sert pour trouver des restos aux «plats originaux» et des établissements à l'architecture et au design qui lui plaisent.

    Mais elle ne se limite pas à Instagram, et fréquente également Mapstr, le réseau social qui cartonne chez les voyageurs en soif de nouvelles adresses inconnues. Le principe est simple : il suffit de mettre ses bonnes adresses sur la carte d'une ville partout dans le monde, puis de les trier, et les partager à qui on veut, à n'importe quel moment (l'outil privé existe également pour avoir un carnet personnel). Ce qui permet de recommander ses meilleurs adresses à des proches sans avoir à fouiller dans des souvenirs d'un voyage parfois lointain.

    Une gentrification du voyage


    Se surprendre à imaginer son prochain gros voyage dans un pays qu'on n'avait jamais envisagé avant de tomber sur une photo incroyable, ou découvrir le petit restaurant local perdu au milieu de nulle part dans un village en Italie, font partie des nombreux aspects positifs qui font d'Instagram un terrain de jeu formidable. Un terrain qui connaît toutefois ses limites.

    Le côté idéalisé qu'Instagram véhicule où tout semble plus beau et merveilleux que dans la vie, la vraie, peut être trompeur comme le rappelle Sébastien Doze, influenceur et blogueur voyage de 29 ans aux plus de 60.000 abonnés et fondateur du site lifestyle Loose-Project. Interrogé par BuzzFeed, il nuance en rappelant que «certaines photos sont souvent très ou trop retouchées». Il insiste aussi sur le fait qu'il faut voir au-delà des photos que les utilisateurs partagent, et faire très attention à ne pas dénaturer le principe même de voyager qui est «de découvrir par soi-même un endroit qu'on a toujours rêvé d'explorer, ne pas hésiter à couper son téléphone par moment, se perdre et se créer ses propres souvenirs».

    À trop vouloir s'éloigner des lieux touristiques, Instagram a fait de certaines destinations confidentielles... de nouveaux lieux prisés par les touristes. Une sorte de gentrification du voyage comme le dit Sébastien Doze :

    «Beaucoup d’endroits subissent des dégradations importantes à cause du nombre de visites accrues. Je pense notamment à Maya Bay, la baie rendue célèbre par le film La Plage en Thaïlande, qu’on a vu partout sur les réseaux, va bientôt être interdit de visite pour laisser les coraux se régénérer suite à l'afflux des touristes.»

    Il ajoute :

    «Il faut aussi garder en tête qu’un voyage est fait de surprises. Rien ne vous assurera la même photo que vous avez vu 30.000 fois sur votre feed. Avoir un fil conducteur grâce à ce réseau social, c’est bien, suivre à la lettre les autres pour avoir la même photo un peu moins. Il faut savoir être curieux et sortir des sentiers battus. C’est sympa d’apprécier le coucher de soleil sur le Fort de Jaipur, ça l’est encore plus de discuter avec les locaux aux alentours qui se feront un plaisir de vous montrer des spots encore plus incroyables. C’est aussi ça voyager, se perdre, se rencontrer, poser son téléphone, se déconnecter.»

    De nouveaux acteurs proposent autre chose

    Malgré ce boom digital et un certain désintérêt chez les plus jeunes, les guides tels que Lonely Planet et le fameux Guide du Routard restent néanmoins des valeurs sûres. Ce dernier est d'ailleurs l'un des livres les plus vendus en France avec «un chiffre d'affaires de 37,5 millions d'euros pour 2015 avec 2,5 millions d'exemplaires vendus chaque année et 17 personnes à la rédaction», comme le rappelait son fondateur Philippe Gloagen en 2016 dans Les Échos. Souvent plébiscités pour leurs informations précieuses sur l'histoire du pays visité, son fonctionnement (monnaie, services, santé etc.) et pour identifier les quartiers principaux, ils paraissent parfois obsolètes, notamment quand il s'agit de certaines spécificités (personnes LGBT, racisées, en situation de handicap etc.).

    C'est aussi pour cette raison que de nouveaux acteurs se sont implantés sur le marché en proposant autre chose, tels que «Out of the box» qui mise ses guides sur la découverte de quartiers moins connus ; I Heart qui sort un magazine itinérant tous les trois mois à l'aide de créatifs locaux qui les aident à trouver le meilleur de la vile sur place ; ou encore CCT- See City qui aide à découvrir d'autres facettes de l'Italie en invitant des créatifs du monde entier à rencontrer des locaux selon leurs centres d'intérêts.

    Finalement, avec ou sans Instagram, «voyager local» sera probablement le facteur dominant des prochaines années, où l'idée serait de vivre plus des «expériences» comme le propose Airbnb depuis deux ans, et moins de se prendre en photo devant tel ou tel mur. Ce futur du voyage se fera encore avec des blogueurs et des réseaux sociaux comme Instagram, mais également avec de nouveaux projets qui réinventent la manière de concevoir notre rapport au voyage.