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    Violences policières: un rapport alerte sur l'opacité de la police des polices

    Une ONG chrétienne a publié un rapport sur les violences policières en France. Il montre les faibles condamnations visant les policiers ou gendarmes coupables de violences. Après cela, l'IGPN a décidé de recenser ces violences.

    Mise à jour: l'IGPN va recenser les violences policières

    La police nationale va mettre en place un outil statistique afin de mesurer les violences perpétrées par ses fonctionnaires. Dans un courriel envoyé le 1er avril à toutes les directions centrales, dont Le Monde a obtenu une copie, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) annonce que « la décision a été prise de créer un outil recensant, par convention, les blessures sérieuses, les blessures graves et les décès de particuliers survenus à l’occasion ou à la suite de l’exercice des missions de la police nationale».

    Cet été, dans la seule nuit du 14 juillet, trois jeunes ont été blessés par des flashballs. Amine, 14 ans, a par exemple reçu un tir au niveau des testicules et Bakary, 16 ans, une balle de caoutchouc en pleine tête. Quelques mois avant, une vidéo montrant des migrants de Calais recevoir des coups et des salves de gaz lacrymogène accablait les forces de l'ordre. Enfin, le 25 février dernier, BuzzFeed publiait une vidéo montrant un policier violemment insulter des migrants installés au-dessous du métro à Stalingrad (18e arrondissement).

    Le point commun de ces quelques histoires de violences policières: il y a très peu de chances que l'opinion publique sache si les policiers mis en cause ont été visés par une enquête de la police des polices et s'ils ont été condamnés.

    C'est en tout cas les conclusions accablantes d'un rapport de l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture) publié ce lundi et qui vise à «briser le silence» sur les violences policières.

    Pendant 18 mois, de juin 2014 à décembre 2015, cette ONG qui aide habituellement les victimes de tortures des pays étrangers a procédé à une enquête minutieuse sur les violences policières en France.

    Elle s’est par ailleurs intéressée à 89 situations alléguées de violences policières survenues en France au cours de ces dix dernières années (2005-2015), concernant tant des décès que des blessures graves (infirmités) ou moins graves, couvrant tous types d’intervention de police ou de gendarmerie (interpellations, transports, gardes à vue, manifestations, reconduites à la frontière...). Et le constat a de quoi surprendre:

    «Sur 89 affaires de violences policières suivies par l'Acat, seules sept ont donné lieu à des condamnations à ce jour», nous précise Aline Daillère, la responsable police/justice de l'association qui a mené l'enquête et que nous avons pu rencontrer.

    Des enquêteurs pas vraiment indépendants

    Dans un long chapitre intitulé «impunité des forces de l'ordre», l'ONG pointe d'abord cette exception qui veut que les policiers ou gendarmes, lorsqu'ils sont soupçonnés de bavures, soient jugés par leur pairs.

    Dans son rapport, l'Acat passe au crible différentes armes utilisées par les forces de l'ordre et recommande notamment queles lanceurs de balles encaoutchouc ne soient plusutilisés. 

    Lorsque les autorités hiérarchiques sont informées d’allégations d’usage illégal de la force, elles peuvent en effet décider de diligenter une enquête administrative et, le cas échéant, d’enclencher des poursuites disciplinaires. Ces enquêtes administratives sont ensuite réalisées, selon la gravité des faits, soit par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ou Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), soit par le service de police concerné (le chef de police ou de gendarmerie, l’un de ses adjoints, ou les agents du service directement).

    Problème: les enquêteurs de l’IGPN et de l’IGGN sont suspectés d’accorder
    plus de crédibilité aux dires des policiers et des gendarmes qu’aux tiers les mettant en cause. «En l’absence d’éléments irréfragables, un enquêteur IGS confronté
    à la version policière et à la version du requérant accordera un supplément de crédibilité à la première», constate le chercheur Cédric Moreau de Bellaing spécialisé sur ces questions. Un rapport de la Cour des comptes daté de 2010 mettait également en doute l’impartialité de l'IGGN ou de l'IGPN:

    «À la différence de certaines de leurs homologues européennes, elles sont toutes deux placées sous l’autorité directe du responsable des forces de police soumises à leur pouvoir d’enquête (...) En l’absence de réformes instaurant une organisation à la fois plus intégrée et plus transparente, la
    question de la pertinence d’un tel système de contrôle interne de la police pourrait se poser, au regard des institutions indépendantes créées dans d’autres pays européens

    L'Acat cite l'exemple de la mort de Rémi Fraisse, ce militant écolo tué par une grenade de la gendarmerie en octobre 2014, et dont le rapport d'enquête interne est l'un des rares à avoir été rendu public par l'IGGN. «Ses conclusions interrogent, tant elles semblent s’efforcer d’exonérer les forces de l’ordre de toute responsabilité dans la conduite des opérations de maintien de l’ordre liées au projet de barrage de Sivens», souligne l'ONG qui dénonce par exemple le fait que «l’IGGN n’évoque que très marginalement (et en les sous-estimant), les nombreuses plaintes pour violences déposées contre les gendarmes sur le site de Sivens entre août et octobre 2014».

    Les données sur les sanctions toujours opaques

    L'un des points dénoncés par l'ONG est l'opacité entretenue autour des sanctions prises par la police des polices. Force est de constater, en effet, que les autorités de police et de gendarmerie ne communiquent que très peu sur les sanctions prononcées à la suite des enquêtes administratives.

    Le rapport d’activité de l’IGPN nous apprend qu’en 2014, l’Administration a
    prononcé 2098 sanctions disciplinaires concernant la Police nationale, tous motifs confondus. Il s’agissait de 989 avertissements, 826 blâmes, 146 sanctions du 2e groupe (ex: exclusion temporaire de moins de 15 jours, abaissement d’échelon), 79 sanctions du 3e groupe (ex: exclusion temporaire de 16 jours à deux ans, rétrogradation), 63 sanctions du 4e groupe (ex: révocation). Mais cet effort de transparence est jugé insuffisant.

    «Ces seules données ne permettent pas d’évaluer réellement le suivi disciplinaire des affaires dans lesquelles est allégué un usage illégal de la force. On ne sait pas combien d’affaires concernent un usage de la force et à quels faits se rapportent les
    sanctions prononcées. Impossible donc d’évaluer leur proportionnalité», explique Aline Daillère. Et selon elle, le manque de transparence est encore plus grand chez les gendarmes:

    «Quant aux faits concernant les gendarmes, on constate une totale opacité : on ne connaît ni le nombre de faits allégués ni le nombre de sanctions prononcées, et encore moins le quantum de ces sanctions au regard
    des faits incriminés».

    Cette opacité «criante» est d'autant plus étonnante que certains pays étrangers ont su, eux, rendre public leurs données:

    • À Montréal par exemple, le service de police de la ville publie chaque année le nombre de blessés ou de tués au cours de poursuites automobiles, le nombre d’incidents liés à des armes à feu, ou encore le nombre d’utilisations par les policiers d’armes intermédiaires.
    • Aux États-Unis, le Bureau fédéral des statistiques judiciaires propose un recensement des personnes décédées au cours d’interventions policières.
    • En Angleterre, l’Independent police complaints commission comptabilise, depuis sa création en 2004, le nombre de morts au cours de toute intervention de police.

    En France, aucun recensement exhaustif n'est rendu public par les autorités et les avis du Défenseur des droits, seule institution capable d'enquêter sur les violences policières, ne sont que très rarement suivis.

    Non-lieux requis pour les agents coupables de violences

    Plus grave encore, l'Acat constate que les plaintes visant les policiers sont plus souvent classées sans suite ou donnent lieu à des condamnations étonnamment clémentes. Rencontré par l’Acat, le procureur de la République de Seine-Saint-Denis, Loïc Pageot, reconnait ainsi lui-même que c'est seulement dans les «cas minoritaires où l’enquête permet de dégager des indices graves et concordants» que des poursuites pénales sont engagées. Et l'ONG de constater:

    «Sur les 89 affaires examinées par l’Acat au cours de son enquête, celles dans lesquelles la justice s’était prononcée au moment de la rédaction de ce rapport se sont majoritairement soldées par des non-lieux.»

    Enfin, tout au long de son enquête de 97 pages, Aline Daillère s'est aperçue que les condamnations des policiers n'étaient pas proportionnelles à la gravité de leurs actes. «Il existe, de ce point de vue, une nette différence de traitement entre les policiers poursuivis pour violences et les autres justiciables», dénonce-t-telle.

    «Dans les affaires examinées par l’Acat, lorsque des condamnations sont prononcées, elles excèdent rarement l’emprisonnement avec sursis, même lorsque la faute constatée a entraîné le décès ou l’infirmité permanente de la victime. Rares sont les cas où les condamnations sont par ailleurs inscrites au bulletin n°2 du casier judiciaire ou sont accompagnées d’interdiction d’exercer. Pourtant, le fait d’être policier étant une charge, cela devrait au contraire entraîner de plus lourdes responsabilités pénales».

    Ce tableau compare par exemple six condamnations de policiers pour violences avec six condamnations d'autres justiciables pour outrage et rébellion. Le second profil est presque systématiquement plus sévèrement condamné.

    L'Acat veut «un organe entièrement indépendant»

    L'Acat rappelle d'ailleurs qu'en 2010, la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui jugeait insuffisantes les sanctions prononcées contre deux policiers s’étant rendus coupables
    de violences.

    Dans cette affaire, un mineur avait subi des violences dans un commissariat,
    ayant entraîné une fracture de testicule. Deux policiers avaient été condamnés en première instance à quatre et huit mois d’emprisonnement avec sursis pour violences volontaires. La cour d’appel avait ensuite réduit la condamnation à une simple amende. Et aucune sanction disciplinaire n’avait par ailleurs été prononcée contre les agents fautifs.

    Ainsi, en plus de demander bien plus de transparence (l'ONG a lancé une pétition), l'Acat souhaite que soit créé en France «un organe entièrement indépendant, chargé d’enquêter sur les faits commis par des agents de police et de gendarmerie».