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    Les festivals et les réunions non-mixtes, à quoi ça sert?

    Les festivals ou les réunions «non-mixtes» (c'est à dire réservés à certains groupes de personnes), qu'est-ce que c'est? Alors qu'un festival afroféministe accusé d'être «interdit aux blancs» fait polémique, BuzzFeed fait le point.

    Dimanche 28 mai 2017, Anne Hidalgo a demandé l'interdiction du festival afroféministe Nyansapo, qui doit se tenir du 28 au 30 juillet dans la capitale. La maire de Paris avait été interpellée deux jours plus tôt par Wallerand de Saint-Just, président du groupe Front national au Conseil régional d’Ile-de-France, qui dénonçait un «festival interdit aux "Blancs"». Organisé par le collectif Mwasi, ce festival militant doit comporter plusieurs espaces. Selon le site de Mwasi, si les tables-rondes, les expositions et le showcase sont ouverts à toutes et tous, certains autres espaces sont réservés, selon les cas, aux femmes noires, aux personnes noires, ou encore aux femmes racisées.

    Je me réserve également la possibilité de poursuivre les initiateurs de ce festival pour discrimination.

    En 2016, des réunions non mixtes, dans le cadre de «Nuit Debout», place de la République mais également à l'université Paris 8, avaient déjà fait polémique. Elles avaient particulièrement fait réagir, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, où on a pu leur reprocher de discriminer les hommes et les blancs.


    Deux réunions féministes étaient organisées à «Nuit Debout». Une commission non mixte à 17h, et une réunion ouverte à toutes et tous à 20h. Pourquoi une réunion non mixte? Sur le panneau «Petite mise au point sur la non-mixité» affiché sur place, on peut lire cette citation de la sociologue Christine Delphy, membre du MLF, le «Mouvement de libération des femmes», dans les années 70:

    «La pratique de la non-mixité est tout simplement la conséquence de la théorie de l’auto-émancipation. L’auto-émancipation, c’est la lutte par les opprimés pour les opprimés.»

    Mise au point de la commission non-mixte #NuitDebout

    Qui sont ces groupes de personnes «opprimées» ou «dominées»? Les femmes, les personnes non-blanches en France, les personnes homos ou bi, les personnes trans... Elles sont «dominées» au sens où elles subissent des discriminations systémiques –c'est-à-dire qui vont au-delà d'agressions isolées et s'inscrivent dans une structure sociale. Il peut par exemple s'agir de discriminations à l'embauche ou pour trouver un logement, de harcèlement sexiste, de salaire inférieur en raison de son sexe, etc.


    Elle est utilisée par des femmes, mais pas seulement. Par exemple, on peut aussi trouver des réunions en non-mixité pour des personnes noires, des personnes trans, des personnes racisées (c’est-à-dire non blanches)…

    On se retrouve demain, samedi 16 avril à 14h à Morlaix pour un groupe de parole en non-mixité personnes trans et en questionnement!

    Par exemple, mi-avril, une semaine de rencontres intitulée «Paroles non blanches» a eu lieu à l’université Paris 8, autour «des questions de race, travail et mobilisation». Parmi les débats proposés, l'un d’eux était organisé «en non-mixité».

    Des réunions en non-mixité peuvent aussi cibler des personnes qui sont à l’intersection de plusieurs discriminations, comme les femmes noires. Comme une partie du festival Nyansapo oganisé par Mwasi, qui est un collectif afroféministe qui s’adresse aux «femmes cisgenres et trans noires/métissées africaines et afro-descendantes».

    Je tiens à repréciser que le Workshop est en non mixité :exclusivement réservé aux femmes noires car les discriminations sont spécifiques


    Non. On retrouve régulièrement des réunions féministes non mixtes depuis les années 70. «Nous sommes arrivés à la nécessité de la non-mixité» écrivaient déjà des militantes du MLF en 1970, dans un numéro de la revue Partisans. «Nous avons pris conscience qu’à l’exemple de tous les groupes opprimés, c’était à nous de prendre en charge notre propre libération».

    Avant elles, ce concept avait déjà été utilisé par les militants afro-américains. «Dans les années 60, [la non-mixité] a d’abord été redécouverte par le mouvement américain pour les droits civils qui, après deux ans de lutte mixte, a décidé de créer des groupes noirs, fermés aux blancs», raconte Christine Delphy dans le texte «La non-mixité: une nécessité politique». L’auteure de L'Ennemi principal indique:

    «C’était, cela demeure, la condition:

    - pour que leur expérience de discrimination et d’humiliation puisse se dire, sans crainte de faire de la peine aux bons blancs;

    - pour que la rancœur puisse s’exprimer –et elle doit s’exprimer;

    - pour que l’admiration que les opprimés, même révoltés, ne peuvent s’empêcher d’avoir pour les dominants –les noirs pour les blancs, les femmes pour les hommes– ne joue pas pour donner plus de poids aux représentants du groupe dominant.»


    Selon leurs détracteurs, elles seraient discriminatoires. «Les hommes "blancs" et "cisgenres" se font exclure», titre cet article du Figaro au sujet des réunions non mixtes place de la République et de l’atelier de Paris 8. Selon son auteure, un «palier a encore été franchi cette semaine dans cette exclusion des hommes "dominants"».


    Dans un post de blog consacré à l’atelier de Paris 8, Alain Jakubowicz, le Président de la Licra, estime lui que «sous couvert d’antiracisme, notre pays risque de voir émerger des "Ku Klux Klan inversés" où le seul critère qui vaille sera la couleur de peau».

    Sur les réseaux sociaux, certains n'hésitent pas à comparer la non-mixité à la ségrégation.

    Tu expliques que les réunions en non-mixité sont importantes car libèrent notamment la parole & on te répond ça :

    Concernant le festival Nyansapo, SOS Racisme a dénoncé dans un communiqué:

    «Sur le plan politique, ce festival est une faute – sinon une abomination – car il se complaît dans la séparation ethnique là où l’antiracisme est un mouvement dont l’objectif est post-racial.»


    De nombreuses militantes expliquent que cette non-mixité est utilisée par des groupes dominés et n'est pas pensée contre les hommes ou les blancs, mais pour les femmes ou les non-blancs. «La non-mixité est une méthode de notre combat. En aucune façon il ne s'agit d'une fin en soi. (...) C'est important d'avoir des moments où nous pouvons nous retrouver entre nous», argumentait le collectif féministe Les Poupées en pantalon dans un texte de 2010 défendant la non-mixité. «Tout cela ne veut pas dire que les hommes ne sont pas concernés (car si, ils le sont), ou que nous n'en voulons pas du tout dans notre lutte!»

    Cette non-mixité reste limitée à quelques personnes, pour une durée limitée, comme le note Caroline De Haas. Sur son blog, elle écrit:

    «On entend depuis quelques jours "mais c'est grave, vous inversez la discrimination". Sérieusement. Vous comparez une réunion d’une durée limitée, rassemblant un nombre restreint de personnes à un système politique, économique, social dans lequel nous vivons chaque jour?»

    «Exclure les hommes de quelques réunions pour un temps donné, ne constitue pas une discrimination systémique; cela n'est donc pas une injustice», conclut Valérie CG sur le blog Crêpe Georgette.


    Voici quelques uns des intérêts de la non-mixité mis en avant par les militants qui la pratiquent:

    - Auto-émancipation: Il s'agit pour les populations dominées de «définir leur oppression et donc leur libération elles/eux-mêmes, sous peine de voir d’autres les définir à leur place», comme le formule Christine Delphy dans un autre texte. «Nous pensons être les mieux placées pour saisir les armes de notre émancipation», expliquent ainsi les militantes afroféministes de Mwasi.

    - Être dans un espace sécurisant: «Pourquoi j’aime la non-mixité? Parce que pour moi, c’est l’impression d’être en sécurité», décrit la militante afroféministe Kiyémis. «Je sais que je ne serai pas victime de micro-agressions racistes, sexistes.»

    - Éviter la reproduction de la domination: Dans un texte posté sur son blog, Caroline De Haas, fondatrice d'Osez le féminisme, raconte comment elle s'est rendue compte que, lors des réunions de l'association, les hommes prenaient plus souvent et plus longuement la parole que les femmes.

    «Lorsque nous avons créé l’association Osez le féminisme, en 2009, (...) je me rappelle qu’à l’époque, on se disait: "Les choses ont changé depuis les années 70, les rapports sociaux ont évolué et aujourd’hui, on peut construire l’égalité dans un espace mixte". Ha ha ha ha. Cela nous a pris six mois pour comprendre (...)

    Lors de la réunion suivante, je me cale dans un coin de la salle avec mon cahier. Et je compte. Le nombre de prises de parole de femmes, d’hommes et leur temps de parole respectif. (...) Dans une réunion féministe, avec 85% de femmes, nous reproduisions les inégalités dans la prise de parole.»


    Les hommes peuvent «donner inconsciemment le "la" des thématiques abordées», complète Fatima-Ezzahra Benomar, cofondatrice des EfFRONTé-e-s.

    -Libérer la parole: Fatima-Ezzahara Benomar raconte également comment lors d'un atelier à «Nuit Debout», certaines femmes ont pu prendre la parole grâce au contexte sécurisant permis par la non-mixité. «Certaines déclarations n’auraient jamais pu être faites en présence d’hommes», juge-t-elle.

    -Permettre aux dominé-e-s de gagner en confiance et de prendre du pouvoir: C'est le concept de l'empowerment américain. «Sans accès à la parole, c’est plus difficile d’organiser sa pensée, de la confronter, de progresser, de prendre des responsabilités», indique Caroline De Haas.

    -Ne pas avoir à se justifieret perdre du temps à le faire: la blogueuse féministe Valérie CG, sur son blog Crêpe Georgette, évoque plusieurs cas où des hommes se sont sentis «exclus» dans des discussions sur le sexisme:

    «Cet homme se sentait exclu du sujet, il voulait pouvoir dire qu'il était attristé par cette situation. Il n'a pas eu une parole de tristesse face à ce que subissait cette femme, il a simplement eu envie de parler de lui, de ce qu'il ressentait lorsqu'on ne lui demandait pas son avis et qu'on ne le sollicitait pas. La première phrase de cet homme avait été de se plaindre qu'on l'empêchait de compatir; pourtant il n'a jamais compati, il a parlé de lui et de ses sentiments.»

    Selon elle beaucoup de femmes ayant participé à des réunions mixtes témoignent «qu'une immense partie de la réunion s'est passée à réexpliquer que le sexisme est une réalité. Très peu de temps est consacré à la lutte contre le sexisme; on passe plus de temps à en expliquer l'existence et à rassurer les hommes présents.»


    Pour Christine Delphy, il faut se méfier de l'idée que la mixité serait forcément vectrice d'égalité, et la non-mixité forcément enfermante. Selon elle, il faut différencier la non-mixité «subie» de la non-mixité «choisie». La première est «une imposition du système patriarcal, qui exclut les femmes par principe».

    Elle peut exclure en se basant sur des textes de lois, comme quand les Françaises étaient exclues du suffrage pourtant dit «universel» avant 1944. Mais il peut aussi s'agir d'une exclusion de fait. On retrouve ainsi de nombreux espaces qui sont uniquement ou quasi uniquement composés d'hommes ou de blancs, comme le pointent les tweets ci-dessous.

    @valeriemaupas sinon, ça me choque moins que la non-mixité parmi les patrons du CAC40.

    Hier, sur @LCP, débat sur la police en totale non-mixité. Ce soir, idem sur @csoj. Vous devriez vous occuper de ça

    Les journalistes qui pleurent devant la non mixité alors que vos salles de rédactions ressemblent à ça. ☕🍵🍻🍷🍹🍶



    «Intéressant de noter que quand 15 ou 20 femmes décident de se réunir entre elles, le nombre de tweets et de papiers que cela peut déclencher», tacle Caroline De Haas. «Il se passe chaque jour à la surface de la planète des centaines de réunions politiques, syndicales, professionnelles composées à 100% d’hommes sans que cela ne froisse personne.»

    Alors comment expliquer que la non-mixité utilisée par des populations dominées passe aussi mal, aujourd’hui comme hier? Pour le chercheur Alban Jacquemart, auteur d'un livre sur Les hommes dans les mouvements féministes, interrogé par Slate dans un article sur les hommes féministes:

    «Il n’y a jamais eu en France de communautés de femmes qui coupaient toute relation avec les hommes. Mais en instaurant la non-mixité, les féministes mettaient en évidence la position de dominant des hommes. Or, les dominants n'acceptent pas d'être renvoyés à leur position de dominants.»

    Mise à jour

    Ajout de la polémique autour du festival Nyansapo.