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    Dans la dernière ligne droite de la présidentielle Marine Le Pen a fait appel à des ex-conseillers de Trump

    Vincent Harris, expert de la communication politique en ligne et Tony Fabrizio, vétéran des sondages, ont un point commun. Ils ont tous les deux travaillé pour la campagne de Trump, puis pour celle de Marine Le Pen.

    C'est une vidéo accrocheuse. Sur fonds de violons saccadés et dramatiques à souhait des chiffres rouges, inquiétants défilent. La vidéo dresse le bilan du quinquennat 2012-2017 de François Hollande, mais qu'elle nomme «5 ans avec Macron». Alors que la tension atteint son paroxysme, la vidéo évoque, sans plus de preuve ou précision, «les milliers d'islamistes étrangers laissés en liberté sur notre territoire». Cette vidéo a été mise en ligne sur le compte Facebook officiel de Marine Le Pen, vendredi 5 mai à 23h07, au dernier jour de la campagne présidentielle. Le but: inonder les fils Facebook des électeurs français juste avant le silence obligatoire du week-end du second tour de l'élection.

    Cette vidéo, qui consiste à critiquer son adversaire plutôt que de défendre son propre programme, est un exemple typique d'attack ad. Ce procédé est né dans les années soixante aux États-Unis, et fait désormais partie du paysage outre-Atlantique. Et l'homme derrière cette vidéo est lui-même américain.

    D'après les mails internes que nous avons obtenu, pour l'épauler dans sa campagne présidentielle, Marine Le Pen a embauché Vincent Harris, un homme dont l'agence de presse Bloomberg a dit en 2014 qu'il «a inventé l'internet des Républicains». Cette collaboration est passée inaperçue en France, mais le gérant de la start-up texane Harris Media LLC rappelle discrètement sur une offre d'emploi de son entreprise, qu'il a travaillé pour la candidate frontiste. D'après le blog d'une stagiaire de l'entreprise, un employé s'est même rendu en France pour travailler sur la campagne du FN.

    Vincent Harris a travaillé pour les campagnes de nombreux responsables républicains. Il a fait la réputation de l'ultra-conservateur Ted Cruz. Il a aussi travaillé avec Mike Huckabee, Mitch McConnell, et, brièvement, pour la campagne présidentielle de Donald Trump. Parmi ses autres clients, on retrouve Secure America Now, un think tank néoconservateur. Dans des vidéos conçues pour le groupe, on voit la France et l'Allemagne soumises à l'État islamique, avec Notre-Dame de Paris transformée en mosquée ou encore le soldat inconnu de l'Arc de Triomphe remplacé par les djihadistes mort lors d'attentats en France.

    À l'international, son portfolio est aussi fourni : il travaille notamment pour le premier ministre israëlien Benyamin Netanyahou. Après la campagne du Front national, il s'est chargé de la communication du parti d'extrême droite allemande AfD, comparant sur une affiche le bikini allemand et la burqa islamiste. D'après le journal Der Spiegel, un employé de l'entreprise a même proposé le slogan «l'Allemagne aux Allemands», ce que le parti a trouvé un peu trop explicitement nationaliste.

    Voir cette vidéo sur YouTube

    youtube.com

    Le Pen a fait appel à un sondeur de la campagne de Trump

    Vincent Harris n'est pas le seul américain avec lequel Marine Le Pen a travaillé dans sa campagne. L'équipe de campagne frontiste a aussi fait appel à Tony Fabrizio, sondeur renommé embauché par Donald Trump pour l'élection présidentielle américaine. L'homme est une légende du sondage. Dans les emails obtenus par BuzzFeed News, Tony Fabrizio et Vincent Harris, échangent leurs idées avec Damien Philippot et Philippe Vardon de l'équipe de campagne officielle de Marine Le Pen, ainsi que Frédéric Chatillon et Paul-Alexandre Martin de l'équipe de campagne officieuse de la candidate.

    «Est-ce que c'était un immigré ?» demande le sondeur le 21 avril, juste après l'attaque terroriste des Champs-Elysées qui a tué un policier, et à quelques jours du premier tour du scrutin. «Si c'était un délinquant immigré, il n'aurait pas pu faire ça s'il avait été expulsé.»

    Peu avant, Tony Fabrizio et Vincent Harris discutaient de la stratégie de fin de campagne de François Fillon, et de la réponse adéquate. «Il conclue partout avec de bons messages», déplore le communicant texan. «Il a déjà envoyé deux emails ce matin, a conclu de manière très agressive. J'espère qu'on pourra discuter de la bonne réponse à y donner lors de notre réunion.» Tony Fabrizio répond : «Philippe [Florian Philippot, sic] devrait tweeter en réponse que les derniers sondages montrent qu'il perd face à Macron, avec un tweet autour de l'idée... que pour quelqu'un qui est mis en examen pour avoir volé des millions au contribuable, on pouvait s'attendre à ce qu'il soit meilleur en maths et qu'il verrait qu'un vote pour lui est en réalité un vote pour Macron.»

    Un peu plus tard, le 20 avril, Vincent Harris répond : «On a un mini-site contre lui qui peut reprendre les attaques de levraifillon». Le communicant fait probablement référence à Whatsupfillon, un site dont le nom de domaine a été déposé le jour même par Paul-Alexandre Martin, inclut dans la chaîne de mail et prestataire privilégie de Marine Le Pen à travers e-politic. Le site n'a jamais été lancé, mais son équivalant anti-Macron a été activé lors de l'entre-deux-tours.

    Contactés par BuzzFeed News, Tony Fabrizio n'a pas donné suite à nos sollicitations. Vincent Harris, lorsqu'il a été contacté par un journaliste de la version anglophone de BuzzFeed, n'a pas répondu à nos questions mais a fourni un communiqué. Extrait: «Notre succès prolongé aux États-Unis nous a permis d'obtenir des opportunités autour du monde et dans certaines des démocraties les plus grandes et importantes du monde, où nous avons aidé divers candidats et partis sur tout l'échiquier politique».

    Philippe Vardon, vice-président du FN PACA, David Rachline, responsable du pôle communication du FN, et Damien Philippot, conseiller de Marine Le Pen pendant la campagne, n'ont pas souhaité répondre à nos multiples sollicitations.

    Henry Gomez a contribué à l'enquête pour cet article.