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La double vie, les mensonges et les dissimulations de l'avant coming out

Des gays et lesbiennes, anonymes ou connus, nous racontent leur avant coming out. Une période difficile marquée par des dissimulations et des mensonges, parfois grotesques, toujours pénibles.


Ce prof, devenu élu à Paris, raconte la «voix grave» qu'il prenait devant ses élèves. Sophie se rappelle des talons qu'elle se forçait à porter pour faire plus hétéro. Thomas revient sur ces insultes homophobes qu'il lâchait à l'occasion pour ne pas se faire «griller». La plupart des homos ou bi ont un souvenir précis, souvent amer, de cette période qui précède le coming out. Une double vie plus ou moins longue, marquée par cette orientation sexuelle qu'il faut cacher alors qu'elle façonne votre identité. Au moment même où ils tentent d'accepter ce qu'ils sont, lesbiennes, bi ou gays doivent porter le masque d'une hétérosexualité présumée qui ne leur correspond pas. Et user de nombreuses techniques pour se dissimuler. À l'occasion de la première cérémonie des «Out d'or» qui récompense les personnes qui ont œuvré pour la visibilité des LGBT, une dizaine d'anonymes, d'élus et de célébrités ont accepté de raconter à BuzzFeed News cette période de leur vie où ils se sont cachés. Raconter cette virilité, ou cette féminité, qu'il faut surjouer. La culpabilité et la solitude liées au mensonge.

Des stratagèmes pour se dissimuler

Entre le moment où l'on commence à se poser des questions sur son éventuelle homosexualité et celui où elle devient une évidence, qu'on accepte, il y a ce temps, parfois douloureux. Thomas, 28 ans et juriste à Lille, se souvient de cette découverte et des multiples questions qu'elle induit. «Depuis tout jeune, je savais qu'il se passait quelque chose, que lorsque je voyais un beau garçon, je me sentais bizarre, mais je n'avais pas de mot, raconte-t-il. Lorsque j'ai eu mon premier ordinateur vers l'âge de 16 ans, je suis allé sur des sites porno par curiosité, puis sur des sites gays. Plus ça allait et plus j'y allais et plus je me sentais sale. Mais j'essayais de me rassurer en me disant que c'était une passade, que c'était à cause d'internet et qu'il fallait que je me trouve une copine.»

Au fur et à mesure des années, Thomas a d'abord pensé être bisexuel avant de se savoir gay. «J'avais vraiment l'impression qu'il y avait deux personnes en moi. La journée, je draguais des filles au lycée, je prenais des attitudes viriles, je faisais des blagues homophobes. Et le soir, je tchattais en cachette sur des sites gays, je faisais des plans cul». Au fil du temps, il apprend à protéger ce secret. Alors que sa grande sœur pouvait inviter des garçons à la maison, lui est condamné à aller chez son amant ou à l'inviter dans sa cave: «C'est super glauque raconté comme ça, mais je trouve que ça illustre bien cette période. Parfois, j'invitais des filles chez moi. Mais je recevais mes plans cul dans la cave pour ne pas être grillé. Et le soir, avant de dormir, je culpabilisais, et je regrettais cette partie de moi gay.»

«Si j’avais aimé une actrice dans un film, je pouvais davantage parler de l’acteur. Parler de Leonardo DiCaprio à la place de Kate Winslet...»

Comme lui, Sophie*, 32 ans, a dû user de stratagèmes pour se dissimuler. Cette fonctionnaire du ministère de la Culture n'a jamais vraiment menti auprès de son entourage, mais elle a «souvent exagéré» pour que l'on ne décèle surtout pas son homosexualité. «Tout a été très subtile. Il s'agissait plus d'une manipulation par le silence, d'un mensonge par omission, d'une exagération des mots ou du ton emprunté», analyse-t-elle rétrospectivement. Au collège, elle pouvait faire semblant de draguer le petit ami d'une copine. Elle l'enlaçait ou lançait des œillades appuyées. En faisant semblant de s’intéresser à un garçon, elle s'imaginait pouvoir encore être hétéro. En groupe, il fallait toujours faire attention, être souvent dans une posture: «Si j’avais aimé une actrice dans un film, je pouvais davantage parler de l’acteur. Parler de Leonardo DiCaprio à la place de Kate Winslet, parler de Mark Walberg à la place de Charlize Theron, insister sur George Clooney...»

Ian Brossat, adjoint au logement à la mairie de Paris et ancien prof à Sarcelles, se souvient de son adolescence pré-coming out: «Au collège, je me faisais insulter, traiter de pédé dans la cour du collège et ça fait une drôle d'impression car rétrospectivement, je me dis que les gens en étaient conscients avant que je ne le sois moi-même. Jusqu'au lycée, j'essayais donc de me convaincre que je n'étais pas gay.» Cacher ses doutes sur sa sexualité, c'est donc redoubler d'efforts pour «jouer» l'hétéro, respecter «la norme». Une fois à Henri IV, lycée prisé des beaux quartiers de Paris, l'élu communiste s'enferme dans le rôle de l'élève travailleur et discipliné, pour ne pas avoir à justifier son désintérêt pour les filles. Il évite même de se lier d'amitié avec ses camarades gays, de peur de laisser filtrer des indices.

Plus tard, devenu prof, Ian Brossat a tenté de ne rien laisser transparaître. Il prend ainsi une voix grave devant ses élèves pour répondre au cliché de l'hétérosexuel forcément viril. Une idée qu'il s'était forgée lors d'un stage à l'IUFM: «Un collègue m'a dit que je n'incarnais pas suffisamment la figure du père pour mes élèves qui étaient en seconde. Je pense que d'une certaine manière, j'ai intégré cela et j'ai endossé un rôle.» Mais ses techniques ne fonctionnent pas à tous les coups. Un jour, un surveillant plutôt «très beau» entre dans la classe. Une fois qu'il est reparti, un élève lance, amusé: «Ah, vous avez l'air très troublé.» La classe est hilare et Ian Brossat très gêné.

Si pour les gays, il s'agit de renforcer sa virilité pour se conformer aux puissants préjugés, pour les lesbiennes, c'est la féminité qui est en jeu. «De temps en temps, je me mettais à jouer un rôle lors d'une soirée par exemple, se souvient Sophie. Je mettais des talons ou des robes ou me maquillais, contrairement à d'habitude. J'allais voir mes parents pour leur montrer, je minaudais alors que ce n'était pas moi du tout.»

Au cours de cette période, alors qu'elle refuse son homosexualité, Marie Labory, journaliste sur Arte, tente «désespérément d'être féminine». Elle se maquille, surjoue sa féminité mais ça ne marche pas. Avant de mentir aux autres, la présentatrice essaye surtout de se mentir à elle-même. «Je disais des énormités, que je ne pouvais pas faire de sport collectif avec les filles parce que je n'aimais pas ça. Que je n'aimais pas le contact avec les filles. J'en rajoutais, je mentais complètement. Je ne voulais pas que quelqu'un me dise, avant que je ne l'assume, que je suis lesbienne.»

«Ce qui est compliqué, c'est de ne pas savoir qui l'on est. Car, à force de vouloir être plus viril pour ne pas être découvert, à force de jouer un rôle, on perd tous ses repères.»

Une solitude immense

«Ce qui est compliqué, c'est de ne pas savoir qui l'on est. Car, à force de vouloir être plus viril pour ne pas être découvert, à force de jouer un rôle, on perd tous ses repères. On a l'impression d'être sans cesse dans une posture et de toujours mentir», regrette Thomas qui se dit marqué à jamais par cette «double vie». Ces mensonges s'accompagnent souvent d'une solitude immense. Au lycée, cet élève enchaîne les conquêtes et prend souvent des risques, sans préservatif. À chaque fois, c'est le même refrain. Il se rend seul faire des tests VIH dans un centre anonyme. Et angoisse en attendant de récupérer ses résultats la semaine suivante. «Je ne pouvais en parler à personne. Le plus dur, c'est que je m'imaginais à chaque fois devoir annoncer mon homosexualité à mes parents, en même temps que ma séropositivité.»

Une autre fois, Thomas tombe fou amoureux d'un garçon. Leur relation dure six mois puis s'arrête net. «Je me sentais anéanti», se remémore-t-il. Il aurait pu en parler à sa sœur et à sa mère avec qui il se confiait souvent. Mais il n'ose pas franchir le pas du coming out. Après plusieurs jours d'un chagrin intact, Thomas décide de se confier. «J'ai remplacé les "il" par des "elle" et j'ai fait attention à chaque mot pour ne pas me trahir.»

Beaucoup d'homos cachent leur homosexualité pour éviter la colère de leur famille, par peur d'être purement et simplement exclus. C'est le cas de Luc, 28 ans, qui habitait avec parents et grands-parents dans le Lot. Il prend chaque jour au visage l'homophobie de son père et de son grand-père. Et n'a donc aucun doute sur la nécessité absolue de dissimuler son orientation sexuelle. Les choses se précipitent pourtant un jour, en plein repas de famille, quand sa sœur, avec qui il se dispute, décide de briser le secret: «Luc est pédé», lance-t-elle. Le grand-père de Luc, qui avait déjà prévu de le marier à sa cousine, prévient son petit-fils: pas de gay sous son toit. Le gamin quitte la maison pour quelques jours. Il part vivre une relation amoureuse en Espagne puis sollicite l'association Le Refuge quelques années plus tard. Il ne reverra plus jamais sa famille: «Parfois, je me dis que j'ai perdu gros car j'ai perdu toute ma famille pour un truc juste naturel. Mais je sais que je n'y suis pour rien et puis j'ai été bien entouré après.»

Ces moments redoutés

Pendant l'adolescence, il y a aussi tous ces moments redoutés, les repas de famille, les week-ends entre amis, les soirées arrosées qui se finissent en confidences sans tabou sur les amours et le sexe. «Tout était automatique pour moi. Je jouais au séducteur devant mes potes, je sortais parfois avec des filles alors que je ne ressentais rien pour elles. À chaque alibi trouvé, j'étais content», dit Thomas qui craignait surtout les repas avec son père. «Mon père ne comprenait pas pourquoi je sortais peu avec des filles. Plus ça allait, et plus j'avais le droit à des questions insistantes qui laissaient entendre que j'étais homo. À la fin, j'ai trouvé une stratégie pour ne plus manger que dans ma chambre.»

Lorsque ses amis lui posaient des questions pour savoir s'il avait une copine, Ahmed, à l'époque étudiant au Maroc avant de devenir journaliste, avait un blocage énorme. Il devenait tout rouge, ne savait pas quoi répondre. Il fallait toujours esquiver pour ne pas mentir. Mais dans ce pays, selon lui, il n'y a ni endroit, ni moment pour faire baisser la pression: «Ici, au-delà de ces moments gênants, il y a surtout les lieux publics où il vous est impossible de ne pas faire attention. Cela relève du bon sens car l'homosexualité est interdite par la loi et certaines personnes peuvent être très agressives.»

Lors des soirées étudiantes pendant ses années fac, Sophie, elle, n'est pas trop à l'aise et esquive les questions en en posant à son tour. Elle joue un rôle, mais arrive «toujours à s'en sortir». Plutôt que de raconter ses coups de cœur, ou ses peines, elle devient la confidente de ses amies, elle écoute pour ne pas se dévoiler. Ian Brossat redoutait les vacances avec sa bande hétéro. Mais au fur et à mesure du temps, il a compris qu'il y avait une espèce d'accord tacite pour que personne n'évoque sa sexualité. «Tout était dans le non-dit, je pense qu'ils ne voulaient pas me mettre mal à l'aise.»

«Si des amis riaient des homos, je ne m'interposais jamais. C'était minable, j'en avais conscience.»

L'homo homophobe

Tenir une couverture exige parfois de tenir des propos homophobes ou de rester passif devant certaines attaques. Avant de véritablement s'accepter, Thomas ressent «un certain dégoût», et ne supporte pas de voir deux hommes s'embrasser. Devant ses amis, il a aussi l'habitude de lâcher des phrase du type «je suis pas une tarlouze». «Il y avait un mélange entre une véritable homophobie en moi, tant que je ne m'acceptais pas, et de la comédie pour ne pas être découvert. Je jouais au plus viril, je me battais souvent, je traitais n'importe qui de pédé...»

Pour Marie Labory, l'homophobie était feinte. «Si des amis riaient des homos, je ne m'interposais jamais», raconte-t-elle en confessant une certaine honte. «J'avais un copain de collège par exemple qui était moqué parce qu'il était gay, mais je ne le défendais jamais. Une autre fille lesbienne qui était très masculine. Elle était aussi moquée et moi j'en rajoutais même un peu. Car cela me renvoyait moi-même à ce que j'étais. C'était minable, j'en avais conscience et j'avais honte de cette lâcheté.»

La présentatrice veut tellement se convaincre qu'elle n'est pas lesbienne, qu'elle se persuade d'avoir un problème médical. Un jour, elle prend rendez-vous chez le gynécologue, espérant trouver avec elle une solution pour corriger son indifférence pour les garçons: «Je lui ai dit que je pensais ne pas être normale à l'intérieur. Pour moi, c'était forcément physique, je ne pouvais pas être homo.»

Derrière la dissimulation, une culpabilité

À la culpabilité de mentir s'ajoute une question entêtante pour certains homos: pourquoi se cacher? Pour ceux qui risquent d'être virés du domicile familial, la raison est évidente. Mais pour d'autres... Pauline, ingénieure agronome de 29 ans, s'est toujours demandée pourquoi elle cachait à tout prix le fait d'être lesbienne. «En plus de la culpabilité de mentir à mon entourage, je me demandais toujours pourquoi je ne faisais pas mon coming out. Mes parents étaient très ouverts, mes amis aussi, mais je n'y arrivais pas. Je crois que l'image des homos dans la société est tellement dévalorisée que j'avais intériorisé cela.»

Ian Brossat aussi savait que cela ne poserait pas de problème moral pour ses parents «plutôt progressistes»: «Ce sont les inquiétudes de ma mère qui me retenaient. Il y avait très clairement la question du sida, et je savais que ma mère ne voudrait pas que j'aie une vie instable, avec l'idée que je passe mon temps en backroom, quoi. Elle aurait eu peur que je ne réussisse pas à être heureux et que je ne construise pas un couple stable au fond.»

À l'approche du coming out, il y a aussi cette crainte de se voir reprocher ses mensonges, en plus de son homosexualité. Sophie, par exemple, avait peur que ses amis lui lancent «ah tu m'as menti», plutôt que «ah tu es lesbienne». Même encore aujourd'hui, comme elle n'est pas out à son travail, elle craint la réaction de sa supérieure: «J'ai peur qu'elle ne comprenne pas pourquoi je ne lui ai pas dit avant.»

La question du coming out médiatique

Et pour les personnes connues, comme l'élu Ian Brossat, se pose aussi la question du coming out public. «J'ai fait mon coming out assez tôt, dans un tchat pour Yagg. C'était assez simple. Je savais qu'une fois élu, il fallait prendre ses responsabilités et le dire, mais j'ai attendu qu'on me pose la question pour y répondre. Et je m'aperçois que les gens, dans les quartiers où je suis élu, n'en n'ont rien à cirer. C'est ce coming out qui a été le déclic; c'est après cela que je ne ressentais plus cette espèce de double vie.»

«J'espère juste qu'un jour, ce temps parfois destructeur ne s'imposera plus à qui que ce soit.»

L'animateur de France 2 Olivier Minne n'avait jamais été interrogé sur son orientation sexuelle jusqu'à ce que la question lui soit posée récemment sur RMC. Il a répondu: «hétéro et homo». «J'ai utilisé cette pirouette car je ne voulais pas renier les histoires que j'ai pu avoir avec des femmes», nous explique le présentateur de Fort Boyard,«mais aujourd'hui, je me définirais comme gay». Ayant découvert son attirance pour les hommes tardivement, les choses ont été plus simples, reconnaît Olivier Minne. «Je ne suis jamais passé par cette phase de dissimulation car tout s'est passé tranquillement dans une famille qui ne se posait pas de questions sur ça. Même vis-à-vis de la presse, je n'ai jamais fait de fausse paparazzade par exemple alors que je sais que certains de mes confrères ont fait ça, explique-t-il. Je n'ai jamais ressenti le besoin de faire mon coming out étant plus jeune car la parole homophobe était sans doute moins libérée». «Je ne voyais pas en quoi cela pouvait changer quoi que ce soit et c'est sans doute une erreur de ma part. Mais après le débat sur le mariage pour tous, c'était différent.»

L'ancien député écolo, Sergio Coronado, dit aussi avoir connu une enfance «protégée» sans difficulté particulière. «Je l'ai dit à tout le monde d'un coup et je me suis fixé une seule ligne de conduite: ne jamais mentir lorsque l'on me pose la question», explique-t-il. «Malgré une enfance relativement préservée, c'est avec le mariage de Bègles par Noël Mamère que je me suis tout de même rendu compte qu'on pouvait faire quoi que ce soit, on serait malgré tout toujours des "sales pédés" pour beaucoup de gens», dit-il. Une fois élu député, il n'a pas voulu laisser «l'ambiguïté planer» et il a posté un tweet évoquant son homosexualité. «Je pense en effet qu'il y a une forme de responsabilité pour les élus et je ne comprends pas tous ces députés encore dans le placard, par exemple.»

Pauline se dit «bien plus sereine aujourd'hui» depuis qu'elle a fait son coming out, mais admet conserver «une certaine amertume». «J'en veux pas à quelqu'un précisément, mais c'est vrai qu'il m'arrive de penser à toutes ces années où j'ai été planquée et où j'ai réfléchi encore et toujours à mon homosexualité. C'était tellement pesant et tellement injuste», regrette-elle: «J'espère juste qu'un jour, ce temps parfois destructeur ne s'imposera plus à qui que ce soit.»

*Le prénom a été modifié