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    «BFMTV, tu sors»: à Beaumont-Sur-Oise, la grande défiance envers les médias

    «Ce n'est pas parce qu'il y a de la violence que BFM et tous vos confrères doivent venir. Avant tout, il y a un mort.»

    Mercredi 20 juillet après-midi à Beaumont-sur-Oise (95), des proches d'Adama Traoré, un jeune homme noir de 24 ans décédé après son arrestation mardi, organisent une conférence de presse spontanée à la mairie de la ville. Initialement, ils sont venus pour écouter le point du préfet du Val-d'Oise qui sera finalement annulé. Des habitants du quartier et des proches de la victime tiennent tout de même à donner «leur vérité». Un jeune lance à la dizaine de journalistes présents:

    «Ça sert à rien de braquer vos micros sur les élus, ils vous ont mis un plan. Le préfet ne respecte pas votre profession et ne nous respecte pas nous, citoyens (...) mais il faut aussi nous écouter. On veut dire nos vérités.»

    Adama Traoré a été interpellé mardi vers 18h par trois gendarmes et «a fait un malaise cardiaque» selon le procureur de Pontoise. Mais la famille du défunt assure qu'il «a été tabassé» par les forces de l'ordre et souhaite connaître «les véritables circonstances de son décès». Après une nuit d'affrontements entre habitants et gendarmes, notamment ciblés par des tirs d'armes à plombs, des journalistes de plusieurs rédactions (iTELE, France Info, France Culture, RTL, BFMTV...) s'étaient déplacés pour couvrir la situation.

    «S'il n'y avait pas eu ces débordements, qui serait là?»

    Cette conférence improvisée débute par un discours d'un étudiant, proche d'Adama Traoré. Il interpelle immédiatement la presse:

    «Vous les journalistes aussi... Pourquoi vous avez besoin de vous déplacer? Parce qu'il y a des jeunes qui ont mis le feu, qui ont tiré sur la police, et la police a tiré sur des gens. Ce n'est pas parce qu'il y a de la violence que BFM et tous vos confrères doivent venir. Avant tout, il y a un mort. Les jeunes n'ont pas besoin de se taper avec la police, lorsqu'il il y a un mort, la presse devrait venir. (...) Les médias aussi vous devez vous remettre en question sur votre métier.»

    Si rien ne permet de dire que le décès d'Adama Traoré n'est pas dû à un malaise cardiaque, les habitants semblent catégoriques et remettent en cause les autorités autant que les journalistes. À Beaumont-sur-Oise, comme sur les réseaux sociaux, ils dénoncent le fait que la presse évoque le décès de ce jeune, «en parlant d'abord des affrontements avec les policiers dans la nuit de mardi à mercredi».

    En plein milieu de la réunion et alors qu'un jeune raconte les difficultés de la mère du défunt pour voir le corps de son fils, une journaliste lance: «Mais hier soir, il y a eu des débordements, des voitures incendiées...». Les jeunes s'agacent et la coupent immédiatement: «"Ça sert à rien de parler des débordements", "On s'en fout de ça"». Un autre proche de la victime interroge:

    «Aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu ces débordements, qui serait là?»

    «Ce n'est pas ce qui va le faire revenir, c'est une certitude, mais inversez les rôles. Si un gendarme était décédé après des coups et blessures d'un jeune, celui-ci serait déjà en prison à l'heure actuelle... le Président se serait déplacé etc. On demande de voir le corps et une autopsie, c'est tout», poursuit-il.

    «Si BFM sort, tout le monde sort»

    Comme de nombreux médias, BFMTV a en effet assuré qu'Adama Traoré avait été interpellé dans le cadre d'une enquête pour extorsion de fonds. En réalité, seul son frère était visé par l’interpellation.



    Lors de cette réunion très tendue, les jeunes visent régulièrement la «première chaîne d'info de France» et vont jusqu'à leur demander de quitter les lieux:

    «BFM vous êtes un menteur. Pourquoi vous dîtes qu'il (Adama Traoré, ndlr) est accusé d'extorsion de fonds? Il n'était pas en cavale. Vous êtes les premiers à sortir des mensonges. Vous allez sortir. On n'a pas envie de parler à BFM, on parle aux autres, mais pas à BFM.»

    «Si BFM sort, tout le monde sort», répond un journaliste de Radio France pour défendre la chaîne avant que les esprits finissent pas se calmer.

    Si la chaîne d'info concentre les critiques, elle a été l'une des premières, avec iTELE, à livrer la version de la famille. Les deux chaînes d'info ont d'ailleurs envoyé leurs équipes sur place et diffusé plusieurs sujets toute la journée et soirée de mercredi.

    Silence radio au JT de France 2

    De leur côté, les JT nationaux ont également été critiqués pour le traitement de l'affaire, comme l'a relevé le Bondy blog. Le journal de France 2 a choisi de ne pas parler des événements de Beaumont-sur-Oise. La rédaction de TF1, elle, a accordé 22 secondes, sans évoquer la version de la famille.

    «C’était très court. 22 secondes sur un journal de 35 minutes. Souvenez-vous: 2 minutes 13 consacrées au travail sous de fortes chaleurs», écrit la journaliste Nassira El Moaddem. Et de s'interroger:

    «Les témoignages de la famille et des amis demandant des explications ne méritaient-ils pas d’être relayés aux téléspectateurs ? Surtout s’agissant d’une chaîne de service public? Assurément oui. Pourtant, c’est ce même genre d’affaires qui fait les grands titres de ces mêmes JT lorsqu’elles ont lieu aux États-Unis. Mais on est en France et visiblement lorsque cela arrive chez nous, le traitement diffère. Et j’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi.»

    Sur Twitter, de nombreux internautes utilisent le hashtag #BLMFrance pour «Black Lives Matters» (les vies des noirs comptent), le mouvement contre les violences policières envers les noirs aux États-Unis. Ils dénoncent un traitement médiatique à géométrie variable entre les violences policières aux États-Unis, qui seraient plus facilement qualifiées de racistes et plus couvertes, et les violences policières en France «relativisées».

    L'invisibilisation de l'histoire de la négrophobie en France est telle qu'on va t'expliquer que ça n'a jms existé, que c les US. #BLMFRANCE

    Parce que les medias francais aiment parler des violences policieres aux US mais decide d'ignorer les violences policieres en Fr #BLMFrance

    Quand ça se passe à domicile le mot Noir est remplacé par Jeune Homme, hypocrisie française #BeaumontSurOise

    «Faites ce que vous voulez, c'est vous et votre conscience»

    Interrogée en marge de la conférence de presse par un journaliste radio, Amal Bentounsi, militante contre les violences policières et fondatrice de «Urgence Police Assassine», résume la défiance envers la presse:

    «Vous les médias, vous avez aussi un rôle à jouer car les victimes sont systématiquement rendues coupables à titre posthume, comme si elles méritaient la mort parce qu'elles auraient commis une infraction. Aujourd'hui la peine de mort a été abolie en France, il est donc urgent de se pencher sur la question de la violence policière en France.»

    D'après cette militante, régulièrement accusée par certains «d'alimenter la haine anti-flics», «les journalistes français dénoncent ce qu'il se passe aux Etats-Unis, mais ne font pas le travail d'investigation» nécessaire en France .

    «Vous relayez systématiquement la version policière, vous devriez avoir un rôle d'investigation dans ces affaires là.»

    À la fin de la conférence de presse mercredi et avant qu'une nouvelle nuit de tension éclate, un proche d'Adama Traoré résumait son rapport aux médias et aux affrontements entre habitants et gendarmes:

    «Moi hier je ne voulais pas que ça pète, j'étais malheureux. On ne voulait pas que ça pète, mais je peux comprendre la part des jeunes qui ont pété, c'est leur façon de se faire écouter. Ma façon de me faire écouter, comme d'autres ici, c'est de vous parler, même si on ne sait pas ce que vous allez faire après de nos informations. Faites ce que vous voulez, c'est vous et votre conscience.»

    Ce jeudi, la famille Traoré a pu voir le corps d'Adama. Une marche blanche est prévue à Beaumont-sur-Oise et si une autopsie a été demandée par les autorités, les proches souhaitent déjà une contre-expertise. Samedi, une autre marche organisée (avant ce drame) par le collectif Mwasi est prévue à Paris.

    Mise à jour à 16h48: L'autopsie d'Adama Traoré montre qu'il souffrait d'une «infection très grave»,«touchant plusieurs organes», affirme le parquet à l'AFP. Selon le procureur de la République de Pontoise, le médecin légiste n'a pas relevé de «traces de violence significatives».