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    Beaumont-Sur-Oise: «Il vous faut des émeutes pour vous déplacer jusqu'ici»

    La famille de la victime accuse des gendarmes d'avoir «tabassé» Adama Traoré, le jeune décédé. Une enquête est ouverte mais des affrontements entre gendarmes et habitants ont continué dans la nuit de mercredi.


    Mise à jour le 21/07:

    • L'autopsie d'Adama Traoré montre qu'il souffrait d'une «infection très grave»,«touchant plusieurs organes», affirme le parquet à l'AFP. Selon le procureur de la République de Pontoise, le médecin légiste n'a pas relevé de «traces de violence significatives».
    • Le Défenseur des droits a été saisi «des circonstances dans lesquelles est décédé, le 19 juillet, Adama Traoré, à Beaumont-sur-Oise». Il lance également un appel au calme. Ce jeudi, la famille Traoré a pu voir le corps d’Adama et si une autopsie a été demandée par les autorités, les proches souhaitent déjà une contre-expertise.

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    Adama Traoré, un jeune homme de 24 ans, est mort mardi 19 juillet en fin d'après-midi, à Persan (Val-d'Oise). Selon Le Parisien qui a révélé l'affaire, le procureur de la République de Pontoise, Yves Jannier a précisé que les gendarmes de Persan ont procédé à l'interpellation du jeune homme vers 18 heures parce qu'il s'interposait lors de l'arrestation de son frère. Alors qu'il était arrêté seul, il «a fait un malaise cardiaque». Les pompiers appelés sur place ont constaté son décès.

    Mardi soir à Beaumont-sur-Oise, de vives tensions ont éclaté entre, des habitants qui contestent cette version, et les forces de l'ordre. Six gendarmes ont été légèrement blessés et une personne a été interpellée, d'après le préfet du Val-d'Oise. Le procureur, lui, a annoncé l'ouverture d'une enquête sur ce décès:

    «J'ai saisi la SR (Section de recherches, ndlr) et l'inspection générale de la gendarmerie pour enquêter sur les circonstances du décès.»

    «Ils l'ont coursé ils l'ont frappé»

    La famille Traoré, qui conteste le fait qu'Adama ait été suspecté dans une affaire d'extorsion de fonds (il s'agit en réalité de son frère), livre effectivement une autre version de cette interpellation. Interrogé par iTELE, son frère témoigne:

    «On étaient assis au centre ville moi et mon petit frère et ils nous ont interpellés. Arrivés à la gendarmerie, mon frère est mort. Ils l'ont coursé ils l'ont frappé, j'ai vu moi. Il était pour mort, il était encore menotté. Ils étaient autour de lui, mon frère ne bougeait plus. Et de 18h à 8h du matin, le corps est resté à la gendarmerie. J'ai vu le gendarme, il est parti avec un t-shirt tout blanc, il est revenu avec un t-shirt plein de sang. C'est normal ça? Il a pas de plaie lui, c'est le sang de mon frère sur son t-shirt. Ils essaient d'inventer une crise cardiaque, mais c'est eux qui l'ont frappé, c'est sûr.»

    Sur BFMTV, la sœur du défunt, Hassa Traoré, énumère des incohérences de la version des autorités. Selon elle, «les horaires ne correspondent pas du tout avec la réalité»: «À 21 heures on me dit que mon frère a fait une crise à la gendarmerie. Après ma famille se rend à l’hôpital où on lui dit qu’il n’est pas présent. Elle se rend à la gendarmerie. Ils lui disent que mon frère est là et qu’il va très bien. A 23 heures ils la rappellent pour leur dire que mon frère est mort.»

    Et d'ajouter:

    «Mon autre frère était en garde à vue avec sa copine. Ils ont vu Adama se faire frapper à la tête par un gendarme. Mon frère a voulu intervenir et ils l’ont envoyé à Cergy pour qu’il n'assiste pas à cet assassinat. Sa petite amie a voulu intervenir. Ils l’ont également frappée.»

    Le préfet annule sa conférence de presse

    Enfin, Hatouma Traoré, une autre sœur, assure que «les gendarmes l'ont interpellé au centre-ville, l'ont tapé pour le faire entrer de force dans la voiture et il a eu une crise». Elle ajoute:

    «Ils l'ont emmené quand même en garde à vue, sans appeler les pompiers ni rien du tout (...) On nous a raconté qu'au poste il était par terre, menotté, et qu'ils lui ont donné des coups sur la tête. Il a fait une crise, mais ils ont continué à lui donner des coups. Il a succombé aux coups.»

    Contacté par BuzzFeed News pour avoir des détails sur les circonstances de ce décès, le parquet de Pontoise a promis de nous répondre avant de finalement préciser «que le procureur ne souhaite plus répondre aux journalistes».

    «Ce sera à l’enquête de déterminer les causes exactes de la mort», a précisé le parquet à Libération, précisant que «ce n’était pas le jeune homme qui était visé à la base par l’interpellation [comme cela a d'abord été écrit par certains médias, ndlr], mais son frère. Adama Traoré s’est interposé puis a du être maitrisé par trois gendarmes et emmené au poste.»

    «Une autopsie doit avoir lieu pour déterminer les circonstances exactes du décès. Concernant les coups évoqués par les proches de la victime, laissons faire l’enquête et la justice pour savoir ce qui s’est réellement passé», précise de son côté un enquêteur à la Gazette du Val-d'Oise.

    «Il vous faut des émeutes pour vous déplacer jusqu'ici»

    Alors que les proches d'Adama Traoré se sont rassemblés à la mairie de Beaumont-sur-Oise, le préfet du Val-d'Oise (qui n'a pas répondu à nos sollicitations) a annulé une conférence de presse qu'il devait tenir.

    #BeaumontSurOise, les proches s'invitent à la conf. de presse municipale pour raconter leur version des faits.

    «Où est le corps d'Adama?», ont notamment demandé des membres de la famille Traoré avant d'inviter les journalistes présents sur place à «cesser de relayer systématiquement les versions policières sans mener d'investigations»:

    «C'est à vous les journalistes d'enquêter. Il vous faut des émeutes pour vous déplacer jusqu'ici alors qu'il y a un mort.»

    Après cette conférence, les membres de la famille et quelques habitants de Beaumont-sur-Oise ont fait un sit-in devant la gendarmerie. Rapidement, les forces de l'ordre les ont délogés à l'aide de gaz lacrymogène et de coups de matraques.

    Les gendarmes ont utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser le rassemblement à Persan

    La gendarmerie est sortie et a gazé et matraqué tout le monde sans sommation. #BeaumontSurOise

    Un manifestant blessé par les gaz lacrymogènes à Persan

    De son côté, la préfecture a dit avoir anticipé la mise en place d'un «dispositif de sécurisation» pour la nuit de mercredi à jeudi. Le maire de la ville a finalement accepté de recevoir le frère d'Adama Traoré.

    Neuf personnes ont été interpellées dans la nuit de mercredi, pour des jets de cocktails molotov sur les forces de l'ordre, ainsi que pour avoir tenté d'incendier une école maternelle et la mairie de Beaumont. Aucun blessé n'est à déplorer.



    Photo de une d'Antoine Marette

    Mise à jour

    - Le maire de la ville a finalement accepté de recevoir l'un des membres de la famille Traoré.

    - Ajout des déclarations du parquet.