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    Au chevet des vitres de l'hôpital Necker, le gouvernement accusé de récupération

    Plusieurs vitres de l'hôpital pour enfants ont été cassées lors de la manifestation du 14 juin. Le gouvernement, qui a rapidement réagi, est accusé de vouloir instrumentaliser les faits.

    De nombreux incidents ont émaillé la manifestation contre la loi Travail qui s’est tenue à Paris, ce mardi 14 juin. Un en particulier a retenu l'attention de nombreux médias et politiques: celui de l'hôpital Necker-Enfants malades.

    Alors que le cortège défilait depuis place d'Italie vers les Invalides, des affrontements ont lieu à l'avant de la manifestation, à l'angle du boulevard des Invalides et de la rue de Sèvres. À cet endroit, plusieurs CRS sont postés et reçoivent des projectiles (certains cassent le bitume pour s'en servir contre les policiers), ils répliquent avec des gaz lacrymogènes et le canon à eau.

    Au même moment, un journaliste du Monde filme sur son Periscope, un homme muni d'une masse en train de casser plusieurs vitres de l'hôpital pour enfants.

    «Un autre (individu), en blanc, un peu plus loin, donne également des coups de pied. «Hé, c’est un hôpital de gosses !» les interpelle un passant. Des tags ont été inscrits sur certaines vitres», résume Le Monde. Le quotidien précise que le journaliste «n’a pas vu d’autres casseurs s’en prendre directement à l’hôpital», même si les nombreux projectiles sur le sol peuvent laisser penser qu’ils ont bien été lancés vers l'hôpital. Sur place également, BuzzFeed News n'a pas non plus vu de casseurs s'en prendre directement à l'hôpital. Mais le directeur de l'AP-HP, qui a décidé de porter plainte, évoque toutefois plusieurs «pavés lancés» contre la façade et déplore quelques tags et quinze vitres cassées.

    Le cortège peut finalement avancer , le canon à eau se dirige vers les Invalides #manif14juin

    «Je voudrais profiter de votre question»

    Mardi soir, le ministre de l'Intérieur est l'invité du 20h de France 2 qui consacre une large partie de son édition au couple de policiers tué à Magnanville (Yvelines).

    Interrogé pour commenter l'affaire à la 8e minute du JT, Bernard Cazeneuve exprime ses condoléances et enchaîne sans même que David Pujadas n'aborde les manifestations du jour même.

    «Je voudrais profiter de votre question pour dire l'indignation qui est la mienne face aux propos qui sont tenus depuis des semaines à l'égard des policiers dont on a vu à quel point ils paient un lourd tribu pour assurer la protection des Français. Les policiers de France sont ardemment et passionnément républicains», débute le ministre de l'Intérieur. Et d'ajouter:

    «Cet après-midi, dans les rues de Paris, où il y avait des hordes de manifestants violents, parmi les manifestants sincères, mais il y avait des hordes de manifestants violents ("on en parlera tout à l'heure", le coupe David Pujadas), nous avons vu, David Pujadas, des manifestants crier "un policier, une balle", "policiers, la France vous hait", après ce qui s'était passé hier. Tout cela n'a que trop duré. Et moi, je n'accepterai plus que dans des manifestations comme celle qui s'est déroulée aujourd'hui, il y ait des sauvageons qui puissent tenir ce type de propos avec 27 policiers blessés, les vitres de l'hôpital Necker brisées, alors qu'il y a l'enfant des policiers qui s'y trouve, tout cela est inacceptable.»

    Le ministre a décidé d'annoncer que l'orphelin était à Necker alors que la rédaction de France 2 n'avait pas divulgué l'information dans ses différents sujets. Jusqu'alors, cette précision avait seulement été mentionnée dans quelques articles de presse, mais aucune autorité n'avait souhaité la divulguer.

    Patrick Cohen: «Ce n'était pas ma question»

    Le lendemain matin, c'est au tour de Manuel Valls, invité de la matinale de France Inter, de décider d'aborder la violence de certains manifestants alors qu'il était interrogé sur la loi Travail de manière plus générale.


    «La mobilisation hier a été importante (...) que répondez-vous non pas aux leaders syndicaux, mais à ceux qui sont mobilisés depuis des semaines contre cette loi?» demande Patrick Cohen. Manuel Valls répond: «En marge de ces manifestations, la violence a pris un tour tout à fait insupportable.» Mais le Premier ministre est immédiatement interrompu par le journaliste qui précise que «ce n'était pas (sa) question» et qu'ils parleront des violences «après, si vous le voulez». Manuel Valls s'indigne quelques minutes plus tard de «l'hôpital dévasté», dénonçant «l'ambiguïté» de la CGT.

    Au même instant sur France Info, la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, pointait une «attaque insupportable», affirmant que «personne ne pouvait ignorer que c’était un hôpital auquel on s’en prenait et qu’on attaquait». «Il y a des enfants qui entraient dans les blocs opératoires et certains n’étaient pas encore endormis, ce sont des choses qui sont choquantes», a-t-elle ajouté.


    Et d'autres personnalités publiques —Michel Cymes, Patrick Pelloux ou Éric-Emmanuel Schmitt, ont vivement réagi pour dénoncer ces violences contre l'hôpital.

    Mais cette contre-attaque du gouvernement, qui a d'ailleurs pour la première fois annoncé envisager «d'interdire des manifestations à Paris», a été rapidement critiquée par des internautes, et certaines affirmations ont été nuancées par la presse.

    Dans sa rubrique «Désintox», Libération écrit par exemple:

    «Aussi gratuits et stupides qu’ils puissent être, ces actes sont donc loin d’avoir laissé derrière eux un bâtiment "dévasté", comme l’a dit Manuel Valls. Ce qui fut en revanche le cas de nombreux commerces sur le parcours de la manifestation.»

    Contacté par BuzzFeed News, le service presse de l’hôpital Necker précise que derrière les vitres vandalisées se trouvaient: au «rez-de-chaussée haut», des salles de consultation, et au «rez-de-chaussée bas», des blocs opératoires, sans préciser s’ils étaient occupés au moment des manifestations ou si des enfants allaient être opérés au même moment.

    «Ce n'était pas au ministre de l'annoncer en prime»

    Le personnel de l'hôpital et des parents d'enfants hospitalisés à Necker ont également partagé leur indignation après la sortie des différents ministres.

    Interrogé par francetv info, un membre de l'équipe médicale fustige une entorse vis-à-vis du secret médical de la part de Bernard Cazeneuve. «Beaucoup d'entre nous ne savaient pas que cet enfant était là et ce n'était pas au ministre de l'annoncer en prime time. Les médecins ont besoin de tranquillité pour gérer ce petit garçon qui, en l'espace de 24 heures, est devenu orphelin et a été instrumentalisé par l'échec politique de ce gouvernement, explique-t-elle. Des voyous ont vandalisé l'hôpital, mais il faut laisser la justice faire son travail.»

    Interne en chirurgie à Necker, Sophie Saint-Geours a également dénoncé cette récupération. «Un hôpital est un lieu de soin, de vie. Et c'est triste de voir ce lieu devenir un endroit de bataille politique», écrit-elle, regrettant que le ministre de l'Intérieur ait laissé penser que l'enfant était «la cible des casseurs».

    Les tweets de S. (qui ne souhaite pas que BuzzFeed News publie son nom) ont également été largement partagés. Cette femme, qui a un enfant de 2 ans né avec des malformations congénitales et habitué de l'hôpital Necker, a voulu protester contre «l’indignation sélective» qui a suivi le saccage de l'endroit.

    «C'est fou tous ces gens qui se soucient soudain du sort des enfants malades de Necker. Tous ces "pas touche aux gosses". Quand il faut s'indigner des coupes budgétaires, là bizarrement il n'y a plus personne.»

    Tout en précisant qu'elle ne souhaitait pas «justifier les actions des casseurs», elle a ensuite énuméré les situations qu'elle a vécues avec son enfant: le manque de lits, le manque de soutien financier pour les parents dont les enfants doivent être hospitalisés, quand les opérations sont annulées à cause du manque de chirurgiens...

    Des syndicats de l'hôpital y voient «une récupération»

    Un autre parent (engagé contre la loi Travail) dont l'enfant a également fréquenté l'hôpital, a transmis une tribune au site lundimatin où il considère qu'«instrumentaliser cette souffrance à des fins aussi bassement politiciennes est abjecte». Tout en soulignant «la situation de l’hôpital public aujourd’hui», il interroge:

    «Lorsqu’ils mettent sur le même plan "émotionnel" des plaques de verres cassées et ces centaines de milliers de familles éprouvées, MM. Valls et Cazeneuve, n’ont-ils pas honte? Et tous ces journalistes qui ont titré sur cet horrible assaut contre l’hôpital des "enfants malades", prennent-ils la mesure du sens de leurs mots ?»

    Des syndicats de l'hôpital interrogés par francetv info y voient également «une récupération politique». «Nous condamnons d'emblée les faits. Cette attaque de casseurs contre un hôpital public est inacceptable et n'a rien à voir avec la mobilisation, explique Olivier Cammas, représentant CGT à l'AP-HP. Le problème, c'est qu'on se retrouve à ne plus traiter le fond, c'est-à-dire l'opposition à la loi Travail, mais seulement à se focaliser sur cet événement médiatique et politique.»

    Contacté par Mediapart, Philippe Martinez dénonce enfin une «diversion»:

    «Quand on est en difficulté sur un texte, on cherche à faire diversion. Mais c’est gravissime. Nous condamnons ce qui s’est passé à Necker, c’est évidemment scandaleux mais la CGT n’a rien à voir avec ça. Or elle est constamment pointée du doigt. Il y a un mois, on nous a accusés d’avoir sorti les gros bras pour faire le ménage chez les casseurs, donc faudrait savoir ce qu’on attend de nous.»

    Interrogé par Libération, un conseiller élyséen justifie la sortie de Valls contre la CGT par la lenteur que le syndicat a mis à condamner ces violences: «Ils ont mis le temps. S’ils avaient condamné plus tôt, on n’en serait pas là.»