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    «Club gay», «attentat homophobe»: ce que la presse n'ose pas écrire sur Orlando

    Après l'attentat qui a tué au moins 50 personnes à Orlando dans la nuit de samedi à dimanche, de nombreux médias ou politiques ont occulté le caractère homophobe présumé de l'attentat.

    Au moins 50 personnes sont mortes dans l'une des tueries les plus meurtrières de l'histoire des États-Unis ce dimanche. Omar Mir Seddique Mateen, un Américain de 29 ans, a ouvert le feu dans une boîte de nuit d’Orlando.

    Mais outre le fait que le Pulse, la discothèque latino «la plus chaude» de la région, ait été pris pour cible, il s'agissait d'un des clubs emblématiques de la communauté LGBT en Floride. Pourtant, certains médias ou politiques ont eu du mal à le dire ou l'écrire.

    Une discothèque pour Le Parisien ou Ouest France

    Ce lundi par exemple, de nombreux quotidiens ont titré sur ce carnage, sans toutefois préciser qu'il s'agissait d'un club réunissant principalement la communauté LGBT ou sans souligner le caractère présumé homophobe de la fusillade.

    «Tuerie de masse dans une boîte de nuit en Floride», écrit L'Humanité, quand Le Parisien titre sur la «nuit d'horreur en Floride». En dessous des trois photos qui illustrent sa une, le journal résume les faits en évoquant le nombre de personnes tuées dans une «discothèque d'Orlando». Ouest France mentionne Daech mais ne dit rien non plus sur les victimes visées, majoritairement homosexuelles (noires et latinos également). Le Figaro, enfin, évoque un club gay mais préfère illustrer sa couverture avec une femme pleurant dans les bras d'un homme.

    «Un peu comme si au lendemain des attaques de Charlie Hebdo, la presse avait évoqué des attentats contre des bureaux… ou après l’Hyper Casher, contre un supermarché.»

    Tout au long de la journée de dimanche, les chaînes d'info en continu ont évidemment consacré une grande place à l'évocation de ce drame, mais de nombreux internautes ont également relevé leur difficulté à dire que la fusillade avait eu lieu dans un club gay.

    Euh c'est moi ou @itele ne dit pas un mot sur le fait que le carnage d'Orlando a eu lieu dans un nightclub #gay ???

    À 17h24 en loucedé avant la page de pub, l'hypothèse homophobe est finalement émise à l'antenne d'@itele #Orlando

    La meuf sur #BFM a osé dire "On sait pas si c'est un acte homophobe ou un acte terroriste." Qui lui explique ? #OrlandoHorror #Orlando

    On peut m'expliquer pourquoi les journaux télévisés n'évoquent pas du tout ou à peine le mobile homophobe ? #Orlando @TF1LeJT @francetvinfo

    En plus de la presse, de nombreux politiques, à l'instar de Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen ou François Hollande, n'ont pas estimé important de préciser la nature de l'établissement visé sur Twitter.

    Un mal français : Aucun de ces politiques n'arrive à écrire les mots "gays", "homosexuels" ou "LGBT".

    «Cette pratique a un nom… l’invisibilisation»

    L'absence de ces termes a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et certains médias (France Inter ou France Culture notamment) ont également souligné cette timidité à parler d'un établissement gay ou d'un attentat présumé homophobe.

    «Cette pratique a un nom, elle est souvent d’ailleurs assez inconsciente… ça s’appelle l’invisibilisation… un peu comme si au lendemain des attaques de Charlie Hebdo, la presse avait évoqué des attentats contre des bureaux… ou après l’Hyper Casher, contre un supermarché. Sans préciser la nature de la cible de l’attaque terroriste…», écrit l'auteur de la revue de presse de France Culture, Nicolas Martin. Dans sa chronique du jour intitulée «Géométries variables», il poursuit:

    «Et le problème avec l’invisibilisation, c’est qu’elle permet de faire "comme si", de minimiser en quelque sorte la portée du geste… C’est ce qui permet, par exemple, à des personnes qui ont pris des positions notoirement hostiles aux personnes homosexuelles, de faire "comme si" et de se fendre de messages de compassion et d’oublier comme par magie la nature de la cible visée…

    La Manif pour tous par exemple s’est fendu d’un petit tweet hier, signifiant "sa peine immense pour les victimes et leurs familles"… alors même que son porte-parole, en septembre dernier, parlait dans la presse du "lobby gay" comme du "Daech de la pensée unique".»

    Et Slate d'ajouter dans un article intitulé «Chers élus, la tuerie d'Orlando n'a pas frappé une boîte, mais une boîte gay»:

    «L’invisibilisation a aussi un coût pour les LGBT qui font face à une violence structurelle plus ou moins virulente partout dans le monde, de Raqqa à Kampala, en passant par Jérusalem, Paris et Orlando.

    Ian Brossat, adjoint communiste au logement d’Anne Hidalgo, un des rares élus out en France, ne dit pas autre chose sur Facebook: "Vu le mal qu'ont certains élus à dire clairement que la communauté LGBT était la cible du tueur d'Orlando, on comprend que le combat contre l'homophobie est loin d'être gagné." L’attentat d’Orlando est un triste révélateur du chemin qu’il reste à accomplir.»


    Pourtant, des indices auraient permis à certains d'évoquer —au moins au conditionnel— les motivations homophobes en plus de celles terroristes du tueur. Seddique Mateen, présenté comme le père d’Omar Mateen, a par exemple déclaré à la chaîne NBC que l’attaque n’avait «rien à voir avec la religion» mais avec l’homophobie de son fils qui, quelques temps plus tôt, s’était montré choqué par deux hommes qui s’embrassaient en public et que «cet événement l’avait mis particulièrement en colère».


    Certains quotidiens étrangers ont eu moins de mal à mentionner une discothèque «gay». En France, le journal local Sud Ouest est l'un des seuls à avoir évoqué le caractère homophobe de la tuerie.

    En réponse à de nombreuses critiques, l'un des directeurs de la rédaction de Libération, Johan Hufnagel, a mis en avant la prudence qui pouvait s'imposer avant de qualifier un acte. «Je pense que beaucoup de journaux ont été prudents. D'autres ont été gênés», écrit-il sur Twitter.

    iTELE critiquée par ses propres journalistes

    Enfin, la couverture médiatique plus générale des chaînes d'info en continu ou des JT a été largement critiquée sur les réseaux sociaux. Les journalistes d'iTELE, Laurence Haïm et Baptiste Mathon, ont par exemple remis en cause le choix de leur propre chaîne de ne pas diffuser en direct le discours d'Obama à propos de l'attentat.

    Si BFM a diffusé en direct le discours de Barack Obama, iTELE n'était pas la seule à faire cette impasse comme le relève le site Pure Médias. «Sur LCI, après dix minutes d'info généraliste à 20h, sans trace du discours du président américain, c'est l'info sportive qui a pris le relai vers 20h10 pour "Au coeur du match". Les téléspectateurs de la chaîne info du groupe TF1 ont dû attendre 20h32 pour découvrir les premières images de Barack Obama», écrit le site. Le choix de ne pas casser les programmes avec une édition spéciale a d'ailleurs suscité des réactions.

    #TuerieUS, le guide 1️⃣ Ciné ou école ▶︎ édition spéciale, défilé d'experts 2️⃣ Boîte homo ▶︎ prog normaux, pas un mot sur les victimes