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    SOS Chrétiens d'Orient, une association humanitaire discrètement noyautée par l'extrême droite

    Officiellement, SOS Chrétiens d’Orient est chargée d’aider cette minorité persécutée en récoltant des dons et en rencontrant des députés. Officieusement, ses membres sont majoritairement issus de l’extrême droite radicale et semblent aussi oeuvrer pour réhabiliter le dictateur Bachar al-Assad.

    Les Chrétiens d’Orient chassés et tués par l’organisation de l’Etat islamique, Daesh, ne font pas la une des journaux tous les jours. Le sujet surgit parfois soudainement à travers certaines polémiques, comme en avril dernier lorsque la RATP a refusé d’afficher une publicité dans le métro. Le reste du temps, ce drame est surtout l'affaire des associations créées pour aider cette minorité persécutée.

    Parmi les différentes ONG, SOS Chrétiens d'Orient est très souvent citée pour son travail associatif sur ces questions. Cette association a beau regrouper tout le gratin identitaire et radical français, les députés de l'Assemblée nationale se pressent de l'inviter dès qu'il s'agit de parler des Chrétiens d'Orient.

    La mystérieuse association SOS Chrétiens d'Orient

    A priori, SOS Chrétiens d'Orient ne souhaite pas revendiquer ses liens avec l'extrême droite et laisse penser qu'elle est une association apolitique.

    Sur son annonce légale parue au Journal officiel le 16 octobre 2013, l’ONG précise seulement vouloir «développer des actions à caractère civique, culturel, pédagogique, caritatif sur les Chrétiens d’Orient»:

    Même neutralité sur son site avec une page des soutiens qui ne mentionne pas de figures connues de ces milieux. L'onglet présentation reste tout aussi neutre:

    «SOS Chrétiens d'Orient est une association qui oeuvre à la réalisation de projets concrets promouvant la fraternité avec les chrétiens d'Orient.»

    Et la méthode semble payer puisque lorsque la presse relaie ses initiatives, elle ne mentionne jamais le pedigree extrémiste de ses responsables ou de ses volontaires.

    Au JT de 20h du 7 avril dernier par exemple, TF1 propose un reportage sur «une trentaine de Français qui ont choisi de partir en vacances en Syrie».

    A partir de 2min40 de la vidéo.

    Le journaliste interroge deux personnes, dont Rodolphe Istre, qu'il présente comme un simple membre de l'association.

    Et pourtant. En effectuant quelques recherches, on s'aperçoit que ce bénévole est aussi très engagé à l’extrême droite depuis plusieurs années. Il s’est ainsi présenté plusieurs fois dans le Var –lors des régionales de 2010 notamment– pour la Ligue du Sud, le parti d’extrême droite fondé par le député du Vaucluse Jacques Bompard.

    Un mois plus tard, c’est au tour de l’émission Complément d’enquête sur France 2 de diffuser un reportage sur ce voyage, organisé selon la chaîne par «une petite organisation».

    La proximité de l'association avec l’extrême droite est bien plus large. Dans un article publié le 29 avril, le site antifasciste Reflexes a par exemple démontré qu'elle était peuplée de dirigeants et de bénévoles au profil sulfureux.

    Le gratin de l'extrême droite française

    Sur son site, SOS Chrétiens d’Orient relaie par exemple un voyage intitulé «Noël en Syrie» qui avait pour but d’apporter 4 tonnes de jouets aux enfants de ce pays. Sur l’une des photos, on constate la présence d'un bénévole qui se prénomme Damien Rieu.

    Ce jeune homme est loin d’être inconnu au sein du milieu identitaire français. Il est en effet porte parole du groupe d'extrême droite Génération Identitaire, adepte des coups médiatiques telle que l’occupation du chantier de la mosquée de Poitiers, qui lui vaudra une mise en examen.

    Parmi les autres volontaires affichés fièrement sur le site de SOS Chrétiens d'Orient, on trouve aussi l'identitaire Maxime Gaucher. Ce leader de l’extrême droite lyonnaise condamné le 30 mai 2013 pour agression après avoir frappé une journaliste et le chef de la BAC de Lyon lors d’une Manif pour tous en avril 2013 est aussi un ancien candidat pour le Front national aux élections cantonales de 2009.

    En plus des volontaires épinglés par le site Reflexes, les responsables de cette association sont, eux aussi, issus des mêmes milieux extrémistes:

    *BuzzFeed France s'est par exemple rendu compte que le président de l'association Charles De Meyer est un ancien membre de l’association anti-mariage pour tous proche des milieux identitaires Printemps français et ancien collaborateur du député d'extrême droite Jacques Bompard.

    *Le cofondateur et trésorier Benjamin Blanchard a lui aussi travaillé pour Jacques Bompard avant de rejoindre l’eurodéputée frontiste Marie-Christine Arnautu. En plein débat sur le mariage pour tous, il s’est également fait interpeller le 24 mars 2013 devant les grilles de l’Elysée.

    *Comme le note Reflexes, un autre dirigeant nommé Olivier Demeocq est collaborateur à ses heures perdues de Radio Courtoisie (classée, elle aussi, à l'extrême droite de la bande FM), et également connu pour organiser des concerts réunissant des groupes du Rock identitaire français (RIF).

    *Enfin, le chef de projet de SOS Chrétiens d'Orient, François-Xavier Gicquel, a fait ses armes au FN avant de rejoindre le groupuscule radical Jeunesse nationaliste dissous après la mort de Clément Méric.

    Et SOS Chrétiens d'Orient n'hésite pas à le mettre en avant, notamment sur les réseaux sociaux, lorsqu'il s'est exprimé pour une radio étrangère au nom de l’association.

    Ce jeune homme qui fait partie des cadres de cette ONG est devenu persona non grata au sein même du parti de Marine Le Pen. En cause: sa participation à un apéro «Saucisson Pinard» et la diffusion sur des sites antifascistes d’un cliché pas très raccord avec la «dédiabolisation» voulue par le Front national:

    Une association invitée à... l'Assemblée nationale

    Malgré le profil sulfureux de tous ces bénévoles et responsables, cela n'empêche pas de nombreux élus de leur dérouler le tapis rouge. Selon nos informations, des membres de SOS Chrétiens ont en effet participé à plusieurs réunions lors d'un groupe d'études sur les Chrétiens d'Orient organisé à l'Assemblée nationale et animées par la députée UMP Valérie Pécresse.

    SOS Chrétiens a également perçu des dons de l'association Ouest France solidarité et l'un de ses membres a été invité à un dîner de bienfaisance organisé le 9 décembre dernier par le député UMP Jean-Frédéric Poisson. Même François Fillon en voyage au Liban a voulu rencontrer le président de l'association Charles de Meyer.

    Contactés par BuzzFeed News, ni Valérie Pécresse ni Jean-Frédéric Poisson n'ont souhaité donné suite à nos appels. Ouest France solidarité n'a pas répondu à notre mail. Le député UMP Thierry Mariani, qui fait partie des secrétaires du groupe d'études sur les Chrétiens d'Orient, «assume totalement» inviter cette association à l'Assemblée:

    «Je ne regarde pas l'origine des membres d'une association. Cela ne me dérange pas qu'ils soient d'extrême droite, puisque la priorité c'est d'empêcher que des Chrétiens soient persécutés. Nous n'avons pas à faire le tri entre les bonnes et les mauvaises associations.»

    Un «lobby» pour réhabiliter Bachar al-Assad?

    Face à la présence aussi importante de l’extrême droite, une question se pose alors quand à l’objectif de cette association: veut-elle simplement aider une minorité persécutée ou a-t-elle d’autres visées plus politiques?

    En plus d'aider véritablement ces populations chassées, SOS Chrétiens d’Orient semble en effet partager la ligne d’une partie de l’extrême droite (FN compris) qui prône la «dédiabolisation» du dictateur Bachar al-Assad.

    En février dernier par exemple, quatre parlementaires sont partis en catimini rencontrer le président du régime syrien à Damas et ce, malgré le désaccord absolu du gouvernement français. A l’époque, François Hollande et le Premier ministre Manuel Valls avait vivement condamné ce voyage informel:

    «Que des parlementaires aient ainsi, sans crier gare, rencontré un boucher, non, je crois que c'est une faute morale», déclarait le Premier ministre.

    Mais en plus des 4 élus –Jacques Myard et Jean-Pierre Vial (députés UMP), Gérard Bapt (député PS) et François Zocchetto (président du groupe UDI au Sénat)– le responsable officieux de la communication de SOS Chrétiens d'Orient Jérôme Tousaint était aussi présent à leurs côtés.

    Cette excursion a été rendue possible par cet ancien candidat aux législatives UMP de 2012 et ami revendiqué du régime totalitaire. En plus de faire le lien entre le régime syrien –accusé de tuer sa propre population– et des députés, Jérôme Tousaint se servait également de SOS Chrétiens d'Orient pour favoriser un rapprochement entre Damas et Paris, a montré France 2.

    Sollicité par BuzzFeed France, le député UMP Jacques Myard, présent lors de ce voyage en Syrie, ne souhaite pas détailler ses liens avec SOS Chrétiens d’Orient. Il admet toutefois connaître l’un de ses responsables:

    «Jérôme Tousaint est un homme que je connais en dehors de SOS Chrétiens. Et d'ailleurs, je n'étais pas le seul député à faire ce voyage, il y avait aussi le socialiste Gérard Bapt.»

    Et d'ajouter avant de nous raccrocher au nez:

    «Je n'ai rien d'autre à dire.»

    Le député socialiste Gérard Bapt, lui, admet connaître le profil de cette ONG depuis peu. Il précise à BuzzFeed News:

    «Je connais cette association et j’ai su récemment qu’il y avait beaucoup de membres d’extrême droite. Est-elle noyautée par des groupuscules? C’est possible. Ils doivent sûrement vouloir faire du lobbying pour que la France réhabilite Bachar al-Assad.»

    Contactée à de nombreuses reprises, l'association nous a d'abord demandé d'envoyer un mail avec le détail de nos questions. Elle n'y a pas répondu.

    En off, un volontaire a accepté de donner quelques précisions. Selon lui, si l'association est proche de l'extrême droite, c'est «surtout parce que les dirigeants sont amis et qu'ils viennent de la même sphère, mais ils acceptent tout le monde». S'agissant du rôle politique de l'association, il explique:

    «Oui, lorsque nous partons avec SOS Chrétiens d’Orient, nous sommes protégés par le gouvernement et nous rencontrons des officiels. Mais c’est juste parce que les Chrétiens soutiennent Bachar-al-Assad. Et nous considérons qu’il y a une désinformation totale vis-à-vis de la Syrie.»


    *Photo de une publiée sur le compte Facebook de SOS Chrétiens d'Orient

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