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    Attentats: pourquoi il ne faut pas croire la théorie du complot sur les passeports

    Une théorie en vogue se sert du passeport retrouvé à Saint-Denis pour dresser un parallèle avec Charlie Hebdo et le 11 septembre 2001. Fumeux.

    C'est l'un des (nombreux) éléments au cœur de l'enquête sur les attentats de Paris: un passeport syrien a été retrouvé à proximité d'un des kamikazes de Saint-Denis. C'est désormais, aussi, le «détail» qui agite les conspirationnistes:

    Ce que dit la théorie du complot.

    Le site du Réseau Voltaire, animé par le conspirationniste Thierry Meyssan et figure de proue de la «complosphère» française, a publié dimanche un article qui fait du «passeport» la preuve d'un complot derrière les attentats du 13 novembre.

    Tout d'abord, il note donc qu'«un passeport syrien a été retrouvé près de l'un des kamikazes du Stade de France».

    Puis il rappelle que la carte d'identité de Saïd Kouachi avait été retrouvée dans une des voitures utilisées par les terroristes en janvier dernier.

    Il écrit ensuite qu'après les attentats du 11 septembre 2001, le FBI avait «retrouvé le passeport d'un des kamikazes intact à proximité des deux tours» et que «le passeport d'un des terroristes présumés» avait été retrouvé près du crash du quatrième avion vers Shanksville.

    Verdict du conspirationniste: «Un papier d'identité, trouvé miraculeusement et désignant l'auteur des attentats venant d'être commis, est devenu un classique.» Ces oublis trop gros pour être vrai, selon le site de Thierry Meyssan, deviendraient ainsi une preuve que tout serait cousu de fil blanc: «L'invraisemblable devient ainsi la mesure et la garantie du vrai.»

    Pourquoi cela ne tient pas la route.

    L'habileté de cet argumentaire, c'est qu'il donne l'impression que ces trois exemples de passeports ou celui de la carte d'identité sont comparables et qu'ils auraient à chaque fois permis de «désigner l'auteur des attentats venant d'être commis». Il n'en est rien. La preuve point par point:

    1. Le passeport retrouvé après l'attentat de Saint-Denis vendredi 13 novembre.

    Le procureur de Paris François Molins a confirmé dès samedi 14 novembre qu'un passeport avait été retrouvé près du corps d'un des kamikazes après l'attaque au Stade de France et qu'il appartenait à un homme qui n'avait jamais été connu des services français.

    Ce passeport syrien est au nom d'Ahmad al Mohammad, né le 10 septembre 1990 à Idleb en Syrie. Selon les autorités grecques et françaises, le terroriste a utilisé ce document pour s'inscrire en tant que réfugié sur l'île grecque de Leros, information confirmée par ses empreintes digitales.

    Par ailleurs, toutes les informations sur le passeport correspondraient à l'identité d'un soldat syrien mort, selon une source proche de l'enquête citée par l'AFP ce mardi.

    Un journaliste du Daily Mail affirme avoir acheté exactement le même passeport, du nom à la date de naissance «pour 2000 dollars, en quatre jours». La police serbe affirme également avoir arrêté un homme avec, lui aussi, exactement le même document.

    Deux questions cruciales subsistent donc:

    - Le passeport est-il authentique ou est-ce un contrefaçon?

    - Quelle est l'identité réelle de cet homme qui utilisait un passeport du nom d'Ahmad al Mohammad?

    Verdict: le fait d'avoir retrouvé un passeport n'a donc pas du tout permis d'identifier un terroriste rapidement, puisque tout restait à éclaircir à son sujet mardi, quatre jours après les faits.

    2. La carte d'identité de Saïd Kouachi après la tuerie de Charlie Hebdo.

    Alors qu'ils tentent de fuir Paris à bord d'une Citroën C3 noire juste après la tuerie de Charlie Hebdo, les frères Kouachi percutent une voiture place du Colonel-Fabien. Ils abandonnent un peu plus loin leur véhicule en urgence et y oublient «un chargeur de kalachnikov, une facture du magasin Casa à Gennevilliers... et la carte d'identité de Saïd Kouachi» donc, détaille Le Monde.

    Cette carte d'identité oubliée est bien le premier élément qui permet d'identifier les Kouachi, mais pas le seul. Ils ont aussi laissé à bord des empreintes digitales et des traces d'ADN. Ils auraient donc pu être identifiés sans le document d'identité.

    Les frères Kouachi ont en revanche pris avec eux leur arsenal de guerre: lance-roquettes, cocktails Molotov, deux pistolets automatiques, deux kalachnikovs et une grenade.

    Les terroristes, même s'ils avaient minutieusement préparé leur attaque, ont également commis d'autres erreurs, comme leur imprécision sur l'adresse de Charlie Hebdo.

    Verdict: les conspirationnistes n'ont jamais admis l'idée selon laquelle la carte d'identité avait pu être oubliée par erreur ou volontairement par les frères Kouachi. C'est d'ailleurs, des quatre cas cités par le site de Thierry Meyssan, le seul dans lequel un document d'identité d'un terroriste encore vivant a été retrouvé.

    3. Le passeport retrouvé intact après que le vol AA 11 a percuté l'une des tours le 11 septembre 2001.

    Le passeport de Satam al-Suqami, l'un des cinq pirates à bord de l'avion qui s'est écrasé dans la première tour du World Trade Center, a été retrouvé par terre le jour même dans une rue de Lower Manhattan. «Un passant l'a ramassé et l'a donné à un policier» peu après l'impact entre l'avion et la tour mais avant que les deux tours ne s'effondrent, dit le rapport de la commission d'enquête. Le document est même en bon état.

    Le site 911myths.com (lien anglais), consacré aux théories du complot sur le 11 septembre 2001, explique qu'il est fréquent de retrouver des objets de toute sorte après un crash d'avion, gros ou petits, et pas seulement en mauvais état. On le voit notamment avec les attentats de 2001 et cette sur cette photo, prise avant l'effondrement des deux tours ou d'autres encore ici.

    Après le crash du MH17 en 2014, par exemple, des documents comme des passeports ou des guides touristiques et même des sièges ont été retrouvés intacts.

    Verdict: replacé dans son contexte, le fait d'avoir retrouvé un passeport en bon état après un crash d'avion est beaucoup moins surprenant. D'autant que le FBI n'avait pas besoin d'un passeport pour identifier ce terroriste: comme les autres, son nom figurait sur la liste des passagers du vol détourné.

    4. Le passeport retrouvé près de Shanksville après le crash du vol UA 93 le 11 septembre 2001.

    Il faut d'abord rappeler, comme le fait 911myths.com, que les passeports ne sont pas les seuls objets retrouvés après les crashs du 11 septembre 2001. On peut citer une carte de crédit, des permis de conduire et tout un tas d'autres objets.

    Ensuite, il faut savoir qu'il n'y a pas qu'un, mais deux passeports qui ont été retrouvés après le crash du vol UA93 en Pennsylvanie, selon le rapport de la commission d'enquête: celui de Ziad Jarrahet et celui Saeed al Ghamdi, deux terroristes.

    Mais ces deux passeport ont été fortement endommagés dans le crash, contrairement à celui de Satam al-Suqami.

    Verdict: il est encore moins étonnant de retrouver des documents d'identité en mauvais état. On peut également faire les mêmes remarques que pour le passeport de Satam al-Suqami: les deux terroristes figuraient sur la liste des passagers, les autorités américaines n'ont donc pas eu besoin de leurs passeports pour les identifier.