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    Sur Facebook, des militants de droite fantasment le rôle de Macron dans l'affaire Fillon

    C'est un texte bourré de fantasmes que la droite s'échange massivement sur les réseaux sociaux. L'Élysée et Macron seraient derrière l'affaire Fillon. Peu importe si tout est faux. Le texte a généré des centaines de statuts Facebook. À tel point que François Hollande a été briefé dessus.

    C'est l'histoire d'un petit texte que les militants de droite partagent massivement sur leurs pages Facebook et qui a fini sur le blog d'un journaliste. Une bafouille qu'on s'échange sous le manteau, avec l'air entendu de ceux qui savent. Petit texte pour une grosse bombe ou, plutôt, un gros pétard mouillé: Hollande et Macron sont à l'origine de l'affaire Fillon.

    Tout commence le 29 janvier, quatre jours après la parution de la première salve du Canard enchaîné sur l'affaire Fillon.

    Sur Facebook, un anonyme, Michel Jacquet, se demande à qui profite le crime et promet des révélations «dans très peu de temps».

    Le lendemain, il se demande à nouveau «à qui profite le crime» et il déroule son explication.

    Facebook: michel.jacquet.12

    Contacté par BuzzFeed News, Michel Jacquet n'a pas donné suite à nos sollicitations.

    Selon ce texte, le «ministère des Finances» avait un «dossier» sur François Fillon et sa femme. Et ce dossier aurait atterri sur le bureau de Thomas Cazenave, secrétaire général adjoint de l’Élysée.

    Ce dernier aurait donné le dossier à François Hollande qui l'aurait transmis au responsable de sa communication Gaspard Gantzer. Dernière étape, Gaspard Gantzer aurait remis le dossier à Michel Gaillard, directeur de la rédaction du Canard enchaîné. Une fois publié par le Canard, le dossier aurait finit sa route au parquet national financier, le début des vrais ennuis pour François Fillon. «À qui profite le plus cette affaire?» se demande le texte. «À Emmanuel MACRON, bien évidemment», affirme-t-il.

    Il existe plusieurs versions de ce texte mais sa trame ne varie pas. Dans tous les cas, il n'y a pas de source, pas de témoignage. On ne sait pas d'où sortent toutes ces affirmations.

    Comme souvent avec les théories complotistes, ce texte repose sur des insinuations difficiles à démonter en tant que telles. Il n'avance pas de preuves mais une suite de relations plus ou moins fantasmées qui, mises bout à bout, formerait un dessein néfaste et commun entre toutes ces personnes:

    - Thomas Cazenave a remplacé «le mari de Najat Vallaud-Belkacem» à l'Elysée... - - Thomas Cazenave est «l'ancien directeur de cabinet d'Emmanuel Macron»... - ----- Gaspard Gantzer a fait l'ENA avec Emmanuel Macron...

    - Gaspard Gantzer est un «grand ami» d'Emmanuel Macron...

    - Gaspard Gantzer est un «proche de Dominique Strauss-Kahn»....

    - La procureure du parquet national financier, Eliane Houlette, est une sympathisante socialiste «avérée»...

    Il y a peu d'éléments factuels mais nous pouvons relever au moins trois erreurs:

    - Thomas Cazenave a été membre du cabinet d'Emmanuel Macron à Bercy mais il n'a pas été son directeur de cabinet.

    - François Hollande a bien nommé Eliane Houlette procureure du parquet national financier mais il nomme tous les procureurs et pour cette nomination comme pour les autres, il a suivi l'avis du Conseil supérieur de la magistrature.

    - Enfin, et même si c'est un détail, le mardi 9 Janvier, Gaspard Gantzer n'a pas vu de journaliste du Canard enchaîné car cette année, le 9 janvier était un lundi...

    Le 2 février, ce texte est publié sur un forum du site Boursorama par un homme qui appelle à le diffuser le plus «largement» possible.

    Parallèlement, sur Facebook, on retrouve des dizaines voire des centaines de statuts copiés-collés. De nombreux soutiens de François Fillon partagent le texte.

    Un peu partout en France.

    Le texte est aussi partagé par des soutiens de Nicolas Sarkozy.

    Et il est souvent accompagné de montages plus ou moins gras...

    Le 7 février, consécration, le texte est repris par le site complotiste Réseau international.

    Dans la foulée, cette théorie commence à être largement diffusée sur Twitter. Par exemple ici via un compte suivi par plus de 11.000 personnes dont de nombreux comptes identifiés comme étant d'extrême droite.

    Enfin, le 13 février, le journaliste Renaud Revel, ancien rédacteur en chef de L'Express, publie sous sa plume un post de blog qui reprend les grandes lignes de ce texte.

    Renaud Revel s'appuie sur «quelques fines plumes» et «un grand nombre de supports numériques» qui désignent Thomas Cazenave comme l'homme qui est à l'origine de l'affaire. Dans ce post, on retrouve cette idée que François Hollande a demandé à Gaspard Gantzer de faire «bon usage» du dossier qui lui a été transmis, ce sont les même mots que dans le statut Facebook que les militants de Fillon s'échangent massivement depuis deux semaines.

    BuzzFeed News a pu contacter Renaud Revel. Nous lui avons demandé s'il avait lu les fameux statuts Facebook largement échangés par les militants de droite:

    «J'avais regardé ça il y a quelques semaines, ça m'a intrigué. J'ai passé quelques coups de fil. J'ai le sentiment que ce n'est pas infondé. C'est une thèse qui n'est pas folklorique.»

    Interrogé sur les sources qui lui ont permis d'écrire son post, il répond:

    «J'ai vu des gens chez Fillon et ils ont des éléments plus solides. J'ai passé des coups de fil notamment à l'Élysée. Ça fait longtemps que je navigue dans le milieu. C'est difficile d'être conclusif mais la construction paraît intelligente.»

    Le journaliste indique par ailleurs qu'il a parlé de cette affaire avec Gaspard Gantzer:

    «Gaspard, je le connais bien, j'en ai parlé avec lui. Il se marre mais il botte en touche. Je ne sais pas si c'est le télégraphiste, tout ça se fait dans le plus grand des secrets.»

    À la fin de la conversation, alors qu'on l'interroge sur son blog, Renaud Revel semble faire soudainement marche arrière:

    «Ce blog, c'est une source d'emmerdement permanent. Ces blogs, c'est pas du journalisme, on travaille trop rapidement. Ce papier, je regrette presque de l'avoir fait. Avec un mois de boulot, en s'y mettant à plusieurs, on réussirait à répondre à la question.»

    L'ancien journaliste de L'Express a finalement supprimé ce post après nous avoir parlé.

    Nous avons aussi contacté Gaspard Gantzer, le responsable de la communication de François Hollande.

    Ce dernier «a commencé à voir» le texte circuler «la semaine dernière». Il est tombé de sa chaise en lisant le post de Renaud Revel:

    «Tout est faux dans l'article de la première à la dernière ligne.»

    On lui a demandé s'il avait bien eu Renaud Revel au téléphone pour en parler:

    «Non, c'est un mensonge. Je ne l'ai pas eu au téléphone. Je ne lui ai pas parlé depuis six mois.»

    Par ailleurs, Gaspard Gantzer précise qu'il n'est pas un proche de Dominique Strauss-Kahn contrairement à ce qu'avance le texte partagé sur facebook:

    «Je ne lui ai jamais parlé de ma vie.»

    Gaspard Gantzer a fait savoir son mécontentement à Renaud Revel sur Twitter:

    @renaudrevel article totalement faux. Aucun élément factuel. Aucune vérification. Que des rumeurs et des insinuations.

    Et il nous indique que le président de la République a été briefé sur le texte qui s'échange. «On lui a montré», dit-il. Selon le responsable de sa communication, le président a réagi en disant que c'était «un tissu de mensonges».

    Y a-t-il une enquête en cours sur l'origine de ce texte? «Pas à ma connaissance», répond Gaspard Gantzer.

    «Si vous saviez le nombre de rumeurs qui circulent depuis le début du quinquennat... Facebook et Twitter sont arrivés à maturité» au début des années 2010. «Quand François Hollande a été élu, ce sont devenus des courroies de transmission puissantes des fausses rumeurs.»