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    La stupéfiante idée du FN pour faire passer des tests antidrogues aux candidats à la présidentielle

    Info BuzzFeed News – Des e-mails internes du Front national décrivent en détail comment deux cadres de la campagne de Marine Le Pen ont voulu inciter des associations à proposer aux 11 candidats des tests de dépistage. En espérant que Macron refuse.

    Faire parler la poudre. C'est ce qu'ont tenté pendant la campagne présidentielle Philippe Vardon, conseiller régional Front national (FN) en Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Damien Philippot, ancien conseiller de Marine Le Pen, aujourd'hui adhérent des Patriotes, le mouvement de son frère Florian. En mars 2017, les deux conseillers de la candidate frontiste ont eu l'idée d'envoyer à plusieurs associations de lutte contre les addictions un courrier anonyme, leur demandant de soumettre tous les candidats à la présidentielle à un test de dépistage.

    Le but, vérifier qu'aucun des prétendants ne consomme de drogues. En espérant que Emmanuel macron refuse de passer le test... Selon une source interne au Front national, la lettre a bien été envoyée à plusieurs associations. Le responsable de l'une des associations destinataires croit se rappeler avoir reçu le courrier. Deux autres associations disent n'en avoir aucun souvenir.

    Nous avons pu nous procurer l'échange d'e-mails survenu entre les deux hommes le 23 mars 2017 alors qu'ils rédigent le courrier qu'ils proposent d'envoyer à plusieurs associations. Dans un premier message, Damien Philippot, qui se fait appeler «Étienne Aldobrandi» dans ses correspondances par mail, propose à son comparse une lettre, écrit sous la forme d'un courrier anonyme. L'auteur du courrier s'y présente comme un «citoyen» soucieux de «l'exemplarité» des prétendants à la fonction suprême.

    «Leur proposer de se soumettre à un test de détection de ces substances»

    L'auteur du courrier explique que «les attentes des Français quant à la moralisation de la vie publique se sont exprimées avec force», puis il expose son idée:

    «N’étant moi-même membre d’aucune association militant contre la dépendance aux substances psychoactives, je me tourne vers vous pour vous suggérer une action à mener dans les semaines qui viennent. Il s’agirait d’interpeller les différents candidats sur leur usage de telles substances et de leur proposer de se soumettre à un test de détection de ces substances que vous pourriez organiser sous contrôle d’huissier.»

    Pour appâter les associations visées, l'auteur du courrier insiste «plus prosaïquement» sur le bénéfice qu'elles pourraient tirer d'une telle opération, un gros coup de com' :

    «Plus prosaïquement, je suis persuadé que ce test permettrait à votre association de tirer des bénéfices certains en termes de notoriété ; vos engagements et actions pourraient également être utilement mis en lumière.»

    Et pour être sûr que ces tests soient utiles, l'auteur anonyme donne un conseil important aux associations: ne pas traîner pour les effectuer.

    «Je ne suis pas expert en matière de tests de détection des substances psychoactives, mais il me semble important de veiller à ce que le délai maximum que vous fixerez pour réaliser les tests n’empêchent pas la disparition des éventuelles traces de consommation dans l’organisme des candidats.»

    «Une demande indigne»

    Dans les échanges de mail, Philippe Vardon liste quatre associations à qui le courrier pourrait être envoyé : l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), Le Cap, l'Association drogue et jeunesse (Adaje) et SOS addictions.

    Contactées par BuzzFeed News, ni SOS addictions, ni Le Cap ni l'ADAJE ne se souviennent avoir reçu un tel courrier. De son côté, Myriam Savy, chargée de mission pour l'ANPAA, croit s'en rappeler sans être catégorique. «J'ai vraiment l'impression de l'avoir déjà lue», dit-elle quand nous lui transmettons le courrier anonyme.

    «Je n'ai pas retrouvé de traces, j'avais dû le jeter à l'époque en me demandant qui était le fou qui avait envoyé ça. Pour nous, c'est une démarche complètement absurde qui ne correspond pas du tout à la façon dont on travaille sur le sujet. Et puis je ne trouve pas ça très courageux de l'écrire anonymement», ajoute un peu plus tard la responsable de l'association.

    De son coté, le président de SOS addictions, William Lowenstein, juge sévèrement l'initiative. «Cette demande indigne associée à l'absence d'identification [des auteurs du courrier] a dû mener le papier directement à un environnement adapté à son contenu, la poubelle.»

    Damien Philippot nie toute implication

    Selon un ancien permanent du FN, interrogé par BuzzFdeed, le courrier a bien été envoyé par les deux cadres du FN. «Ils étaient mort de rire», dit-il. Selon cette source, les deux comparses voulaient pousser le leader d’En Marche à la faute, persuadés qu’il refuserait de se soumettre au test.

    Interrogé par BuzzFeed, Philippe Vardon affirme que le courrier n'est «pas de [lui]», mais ne dément pas son existence. Il assure même «ne pas savoir ce qui a été fait au final». De son côté, Damien Philippot nie l'existence de ce courrier, nous accusant de lui attribuer des documents dont il n'est pas l'auteur. Selon lui, la boîte e-mail au nom d'Étienne Aldobrandi serait «utilisée par plusieurs personnes».

    Les documents que nous nous sommes procurés prouvent pourtant que cette adresse mail était répertoriée par les autres proches de Marine Le Pen comme celle de Damien Philippot. Un membre de l'équipe de campagne avait ainsi enregistré ce mail sous le nom de l'ancien sondeur de l'Ifop, et plusieurs autres s'adressaient à «Damien» en début de mail, lorsqu'ils communiquaient avec le pseudo «Étienne Aldobrandi». Contacté par mail, Marine Le Pen, la présidente du Front National, n'a pas souhaité nous répondre.