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    En Israël, Estrosi promet 50.000 euros à une organisation qui soutient la colonisation

    La région PACA va verser une subvention de 50.000 euros au KKL, une organisation trouble accusée de soutenir la colonisation des territoires palestiniens.

    Le 25 décembre, Christian Estrosi, président de la métropole Nice Côte d'Azur, premier adjoint (LR) au maire de Nice et président de la région PACA, annonçait sa volonté de se rendre en Israël pour «témoigner [son] soutien à Netanyahou» après la décision de l'ONU de condamner, par une résolution, la colonisation opérée par l'État hébreu dans les territoires palestiniens occupés.

    Départ pour #Israel où je vais témoigner mon soutien à @netanyahu après décision ONU dangereuse qui attaque la seul… https://t.co/FvjA6OOu1N

    Aussitôt dit, aussitôt fait, le lendemain il était en Israël et assistait à une cérémonie au cours de laquelle plusieurs arbres étaient plantés, certains en hommage aux victimes de l'attentat du 14 juillet, à Nice. Au cours de cette cérémonie, Christian Estrosi a prononcé un discours sur l'amitié franco-israélienne:

    «Si nous avons souhaité avec mes amis être présents parmi vous aujourd’hui, c’est également pour vous annoncer qu’avec le soutien de ma majorité régionale, une subvention de 50.000 euros sera versée dans le courant du premier trimestre au KKL par la région Provence Alpes Côte d’Azur pour contribuer au reboisement de la forêt détruite

    Pour justifier sa position, à contre-courant de la politique diplomatique française, et de la position de l'ONU sur le sujet, Christian Estrosi va jusqu'à citer l'Ancien testament, et le livre d'Esaïe:

    «Je veux citer ici la phrase du livre d’Esaïe: "Pour Jérusalem, je ne me tairai point."»

    Au-delà du soutien moral, c'est donc aussi un soutien financier que Christian Estrosi est venu apporter à Israël, comme il l'a annoncé dans Nice Matin le 27 décembre, dans un article relayé par l'élu sur sa page Facebook.

    Problème, Christian Estrosi n'a pas apporté ce soutien financier à n'importe qui. En choisissant de verser 50.000 euros de subventions au KKL (Keren Kayemeth LeIsrael) aussi appelé Fonds national juif (FNJ), la région PACA finance indirectement la colonisation par l'État hébreu des territoires palestiniens.

    Le KKL, organisation critiquée pour son soutien à la colonisation

    Le KKL est régulièrement accusé d'être un instrument au service de la politique d'occupation israélienne. Sur son site internet, le KKL se présente comme «le bras exécutif du peuple juif pour la rédemption et le développement de la terre d’Israël». Fondé en 1901, le fonds a depuis diversifié ses activités, et se présente (sur son site français) comme une organisation écologiste, œuvrant pour la préservation des espaces naturels israéliens. Le fonds affirme aussi mener des missions plus politiques, comme la «réinstallation des populations évacuées des implantations juives dans les Territoires» ou «l'éducation sioniste» des jeunes générations d'Israël.

    Officiellement donc, la principale activité du KKL est écologique, et elle passe notamment par le reboisement des terres détruites par des incendies, comme c'était le cas, par exemple, pour les arbres plantés par Christian Estrosi lors de son voyage.

    Mais pour plusieurs observateurs, l'environnement est loin d'être la seule préoccupation du KKL. En 2011, Amnesty International avait lancé une pétition pour sauver le village d'Al-Araqib, situé dans le Sud d'Israël. Et selon Amnesty, le fonds secondait alors l'armée israélienne dans son opération d'occupation du territoire, au détriment du village bédouin et de ses habitants:

    «Le Fonds national juif, une organisation environnementale semi-gouvernementale, a maintenant planifié l’aménagement de toute la zone où se situe ce village et poursuit son travail en prévision de l’implantation d’une forêt. Il a pris soin de faire enlever de la zone tous les débris que les villageois utilisaient pour reconstruire leurs habitations après les précédentes démolitions.»

    Le KKL serait donc un outil de conquête plus que de préservation de l'environnement. L'accusation est déjà portée dans Le Monde diplomatique en 2008. Henry Laurens, professeur d'histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France, y décrit l'activité du KKL à ses débuts:

    «Les colonies agricoles du FNJ sont subventionnées à la fois lors de leur création et pour leur fonctionnement. Elles sont en effet par nature déficitaires, mais leur fonction n’est pas d’ordre économique: elles servent à prendre le contrôle du territoire.»

    Le KKL «est un trou noir sans contrôle extérieur». Charles Enderlin

    Contacté par BuzzFeed News, le journaliste Charles Enderlin, spécialiste du conflit israélo-palestinien et du Proche-Orient, confirme que le KKL est loin d'être neutre dans la politique de colonisation menée par le gouvernement de Jérusalem.

    «C’est un trou noir sans contrôle extérieur. Plusieurs journalistes israéliens ont lancé de véritables campagnes pour savoir où va l’argent. Sans beaucoup de succès. En d’autres termes, à l’encontre de la politique et des règles de l’Union européenne, la région PACA finance une institution israélienne qui soutient la colonisation.»

    Le soutien du KKL à la politique de colonisation israélienne a déjà été rendu public, notamment par la branche américaine de l'organisation, comme l'expliquait le journal israélien Haaretz en septembre dernier. Sous la pression d'une organisation juive des droits de l'homme, le KKL avait été obligé, en septembre dernier, de publier ses comptes.

    Fonctionnant notamment par les subventions publiques et les dons de particuliers, l'organisation révélait ainsi que certains fonds partaient directement dans le financement des colonies israéliennes. Ainsi, 532.500 dollars avaient été versés au centre culturel Gush Etzion, situé dans les territoires occupés. 33.000 dollars avaient financé Friends of Ir David, une association américaine de promotion de l'entreprise de colonisation israélienne.

    «C'est de la provocation»

    Pou rappel, le conseil régional de la région PACA a ceci de particulier que seuls des élus de droite et d'extrême droite y siègent, le Parti socialiste ayant choisi de se retirer entre les deux tours des dernières élections régionales. Mais au niveau municipal, la pilule a du mal à passer. Jean-Christophe Picard, président d'Anticor et membre du Conseil communal consultatif de Nice, goûte très peu l'initiative du président de la métropole:

    «La subvention va à une association qui n'est pas vraiment neutre. Elle contribue à la colonisation. C'est de la provocation. L'ONU a clairement dit qu'il fallait arrêter la colonisation menée par Israël. Le président d'une métropole n'a pas vocation à donner son avis. Il contredit l'action de la France avec de l'argent public.»

    Jean-Christophe Picard a par ailleurs quelques doutes sur l'opportunité de verser une subvention régionale à une organisation dont l'activité n'a a priori aucun lien avec la région PACA:

    «Pour accorder une subvention régionale, il faut qu'il y ait un intérêt pour la région PACA, sinon on pourrait financer n'importe quoi. Là, on a du mal à voir le lien et l'intérêt pour la métropole, la région ou la ville. Que certains arbres soient plantés en hommage aux victimes de l'attentat de Nice, d'accord, mais ça me paraît un peu tiré par les cheveux. À mon avis, ils ont du mal à justifier cette dépense.»

    Contactés par BuzzFeed News, ni le cabinet de Christian Estrosi ni le service presse du conseil régional, joints par téléphone, n'ont pour le moment donné suite à nos sollicitations. De son côté, la branche française du KKL n'a elle non plus pas répondu à nos différents messages.