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    «Dictature Totale», dette à Bordeaux, chèque à la CGT : on a fact-checké Wauquiez et il y a du faux

    À croire le patron des Républicains, Sarkozy espionnait ses ministres, Macron a monté un cabinet noir anti-Fillon, Juppé a fait exploser les impôts à Bordeaux et pendant ce temps là la CGT se faisait «un joli chèque de 3 millions d’euros». Tout n’est pas faux, mais il n'y a pas grand-chose de vrai.

    L'émission «Quotidien» a diffusé en deux temps, vendredi et lundi, les extraits d'un cours sur le populisme et le «diktat de la transparence» que le président des Républicains, Laurent Wauquiez, a donné le 15 février aux étudiants de l'école de commerce EM Lyon. Un cours garanti sans «bullshit», jure-t-il au moment de prendre la parole devant les étudiants. Vraiment ? On a vérifié.

    Ce qu'il dit exactement :

    «Le président de la République actuel, Macron, lui pour faire cool, il fait comme moi ! Il se met en chemise. Bras de chemise. Jamais un président de la République ne s’était mis en bras de chemise.»

    La réalité : Laurent Wauquiez ne se souvient visiblement pas des vacances très médiatisées de l'ancien président Nicolas Sarkozy (dont il a pourtant intégré le gouvernement) au début de son quinquennat. Lors de ses vacances aux États-Unis en août 2007 à Wolfeboro, ou lors de son escapade en Egypte en décembre 2007 avec Carla Bruni, Nicolas Sarkozy n'hésitait pas à relever les manches de ses chemises pour un look «totale décontraction».

    Ce qu'il dit exactement :

    «L’équilibre des pouvoirs, ça, ça fait vraiment partie d’une illusion. Vous croyez qu’un parlementaire à le moindre pouvoir aujourd’hui ? Vous avez vu les guignols d’En Marche ? Ils sont tous avec le petit doigt sur la couture. Ils doivent tous voter la même chose. Quand ils osent apporter la moindre dissonance, ils se font taper dessus avec la matraque.»

    La réalité : Le président des Républicains vise ici le parti La République en marche (LREM) qui a obtenu l'une des plus larges majorités parlementaires de la Ve République lors des élections législatives de juin 2017. Au total, LREM a obtenu avec ses alliés du Modem 350 des 577 sièges de l'Assemblée nationale. Depuis le début de la mandature, il y a eu 26 votes solennels à l'Assemblée. Selon les données compilées par WeDoData pour BuzzFeed News, «93 % des députés LREM et Modem ont respecté l’ensemble des consignes de vote des cadres d’En Marche» à l'occasion de ces votes, explique Karen Bastien de WeDoData. Quant au 7 % restants, qui représentent 24 députés, elle précise que «loin d’être des frondeurs, ils ont au pire dérogé à 2 votes solennels sur 26… et parfois par erreur !»

    Plusieurs articles ont pointé le manque de marge de manœuvre des députés LREM, qui seraient presque contraints d'appliquer à la lettre et sans la moindre critique le programme d'Emmanuel Macron.

    Ce qu'il dit exactement :

    «Il y a une dictature totale en France, l’alignement entre le législatif et l’exécutif, c’est une vaste foutaise.»

    La réalité : Laurent Wauquiez semble ne pas peser ses mots quand il compare la situation parlementaire actuelle avec «une dictature totale». Il est en effet exagéré, voire indécent de comparer la situation de la France avec des pays qui vivent sous le joug de dirigeants totalitaires, gangrénés par la corruption, avec des élections truquées, sans liberté de presse ou de culte, sans pluralisme politique où les libertés civiles sont bafouées.

    Selon un rapport publié en 2017 par l'ONG Freedom House sur l'état de la démocratie dans le monde, moins de la moitié de la population mondiale vit dans une démocratie, et 50 pays sont encore gouvernées par des régimes autoritaires, dont l'Érythrée, le Turkménistan, le Tibet, la Syrie, le Soudan et la Somalie qui font figure des États les moins démocratiques. La France, bien qu'imparfaite (un rapport d'Amnesty publié en 2017 pointait une situation des droits humains est «extrêmement préoccupante» en France) est classée comme étant un État libre, et non une dictature.

    Ce qu'il dit exactement :

    «Est-ce que vous considérez que Angela Merkel incarne le pouvoir ? Un peu moins ces temps ci mais oui. Vous avez déjà regardé son compte Instagram ? Croyez moi pur y trouver du charisme il faut vraiment se lever de bonne heure.»

    La réalité : On l'admet, l'appréciation du charisme d'une personne est une chose personnelle. Laurent Wauquiez a parfaitement le droit de juger quela chancelière allemande manque de charisme sur son compte Instagram. Mais nous, quand on la voit aux côtés de l'ancien président américain, Barack Obama, de l'ancien président sud-africain, Nelson Mandela ou de l'équipe de football d'Allemagne, on a tendance à penser le contraire....

    Ce qu'il dit exactement :

    «Nicolas Sarkozy en était arrivé au point où il contrôlait les téléphones portables de ceux qui rentraient au conseil des ministres. Il les mettait sur écoute pour pomper tous les mails, tous les textos… Et vérifiait ce que chacun de ses ministres disait au moment où on entrait en conseil des ministres.»

    La réalité : On ne sait pas si Nicolas Sarkozy a placé sur écoute ses ministres comme l'accuse Laurent Wauquiez. Aucun élément étayant cette allégation n'a jamais été avancé sur la place publique. L'entourage de l'ancien chef de l'État a démenti «formellement cette grotesque histoire d'écoutes». Selon BFM-TV, Laurent Wauquiez s'est excusé «platement» au téléphone auprès de Nicolas Sarkozy qui en «a pris note».

    Faut-il y voir un rétropédalage ? En tous cas, au lendemain de la diffusion de cet enregistrement, Laurent Wauquiez ne semblait pas assumer ses propos. Dans un communiqué publié sur Twitter le 17 février, il écrit : «Il n’a par exemple jamais été question dans mon esprit de soutenir qu’on ait fait surveiller des membres du gouvernement dans le cadre du conseil des ministres». Si ce n'était pas dans son «esprit», c'est pourtant exactement ce qu'il a dit.

    Ce qu'il dit exactement :

    «Objectivement, [Macron] a quand même eu un alignement de planètes assez inespéré. Que Fillon gagne la primaire et que derrière, ils le démolissent, ça, je suis sûr et certain qu’il l’a organisé. Je pense qu’ils ont largement contribué à mettre en place la cellule de démolition, oui bien sûr. Je n’ai aucun doute que le machin a été totalement téléguidé.»

    La réalité : Disons-le tout de go : aucune preuve n'a jamais été apportée de l'existence d'un «cabinet noir» ou d'une «cellule de démolition» à l'Élysée sous la présidence de François Hollande, pas plus que de la participation d'Emmanuel Macron dans la divulgation d'informations gênantes pour François Fillon. Ce que Laurent Wauquiez semble oublier en revanche, c'est que lui-même s'était opposé à cette théorie... en mars 2017, en plein «Pénélopegate». Alors que son champion, François Fillon, laissait entendre qu'il était la cible d'un complot, Laurent Wauquiez affirmait : «Je ne parle pas de complot, pas de "cabinet noir", ce n'est pas mon sujet, mon combat, ce sont les valeurs, le travail, la lutte contre le communautarisme, les classes moyennes.» Il avait même appelé ses troupes à cesser d'évoquer cette idée de «cabinet noir».

    Ce qu'il dit exactement :

    «Les associations syndicales recevaient 5 millions d’euros chaque année de la région [Auvergne-Rhône-Alpes]. La CGT se faisait un joli chèque de 3 millions d’euros sur le budget de la région chaque année. Moi, je les ai reçus et je leur ai dit : "Je suis extrêmement attaché à l’indépendance des syndicats, et donc comme je ne veux surtout pas que vous dépendiez de moi, eh ben c’est zéro."»

    La réalité : Selon le patron de LR donc, la région octroyait, avant son arrivée, 5 millions d’euros par an aux organisations syndicales, sur lesquels la CGT «se faisait un joli chèque de 3 millions d’euros». Ces chiffres et la scène racontée par Laurent Wauquiez sont «totalement imaginaires» d'après Agnès Naton, secrétaire générale de la section Auvergne-Rhône-Alpes de la CGT que nous avons contacté par téléphone mardi.

    «Premièrement, il met en scène une rencontre avec les organisations syndicales qui n’a jamais eu lieu sur ce sujet. Il y a eu une baisse de notre budget d’environ 380 000 euros. Il l’a fait dès son arrivée, sans jamais nous l'annoncer face-à-face, et nous avons attendu 22 mois pour enfin être reçus en intersyndicale.»

    Agnès Naton enfonce le clou, et confirme que les chiffres évoqués par le patron des Républicains sont fantaisistes.

    «Cette baisse d'environ 380 000 euros représentait l'ensemble de notre budget. Quand nous l'avons enfin rencontré, nous nous sommes aperçus qu’il avait une méconnaissance totale du rôle et de la place des organisations syndicales et de tout ce qui avait pu être fait en région. Nous lui avons toutefois rappelé que nous étions disponible pour prendre part à la gouvernance de la région.»

    Une analyse partagée par Jean-Louis Gagnaire, ancien vice-président (socialiste, désormais LREM) délégué au développement économique et de l'innovation de la région Rhône-Alpes. Selon l’ex-élu, l’enveloppe attribuée chaque année aux organisations syndicales et patronales réunies s’élevait à 700 000 euros, au nom du «dialogue social territorial». Une somme que les syndicats se partageaient en fonction de leur importance et de leur poids respectifs. Selon Jean-Louis Gagnaire, les organisations syndicales obtenaient, sur ces 700 000 euros, 530 000 euros, soit près de 76 % de l’enveloppe, le reste allant aux organisation patronales. Sur ces 530 000 euros, l’ancien vice-président estime à 200 000 euros la part qui revenait effectivement à la CGT.

    La liste des subventions accordées par la région pour l'année 2016, disponible en ligne, fait quant à elle état de 316 218,75 euros versés à la CGT. «Cette somme comprend les 200 000 euros du "dialogue social territorial"» estime Jean-Louis Gagnaire. S’il explique que d’autre subventions ponctuelles pouvaient s’ajouter à ces 700 000 euros, il est pour lui impossible d’évoquer la somme de 5 millions d’euros. «Même s’il avait confondu avec les chiffres sur 2 ans, on atteint pas les 3 millions pour la CGT», dit-il. Il est en tout cas complètement faux de dire, même par facilité de langage, que la CGT «se faisait un joli chèque», puisque le montant des subventions est décidé par le conseil régional, et non, évidemment, par les syndicats eux-mêmes.

    Joints par téléphone mardi matin, le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes n'a pour le moment donné suite à nos sollicitations. En tout cas, la volonté de Laurent Wauquiez de couper les subventions aux syndicats ne concerne pas tout le monde. Le président de la région a en effet annoncé en 2016, et accordé, une subvention de 50 000 euros à... l'Union nationale interuniversités (UNI), un syndicat étudiant de droite.

    Ce qu'il dit exactement : Alors qu'il évoque la possibilité, pour un étudiant de classe préparatoire littéraire, de passer le concours des écoles de commerce, Laurent Wauquiez s'interroge : «C’est Valérie [Pécresse] qui a mis ça en place ? Ah le nombre de conneries qu’elle peut faire.»

    La réalité : Laurent Wauquiez a le droit de penser que le fait de permettre aux étudiants de classes préparatoires littéraires d’accéder aux écoles de commerce est une «connerie», mais le fait est que le bilan de cette mesure est plutôt positif. Mise en place en 2010 par Valérie Pécresse, alors ministre de l’Enseignement supérieur, cette réforme permet à tout élève de classe prépa littéraire d’intégrer, via une deuxième année spécialisée et le concours commun à tous, une école de commerce. À l’époque, Olivier Fayon, directeur de l’École normale supérieure (ENS), saluait ce projet qui devait «donner à la filière littéraire dans son ensemble une vraie ambition».

    Cinq ans après sa mise en place, Le Monde dressait un bilan positif de la mesure. À l’époque, Pierre Mathiot, ex-directeur de Sciences Po Lille, estimait que la réforme avait «permis d’attirer des profils différents, issus de grands lycéees ou de prépas en histoire de l’art», même si ce genre de profil restait «marginal». En février 2017, toujours dans Le Monde, plusieurs responsables d’écoles regrettaient même la faible popularité de la mesure auprès des élèves, se félicitant des nouveaux profils qu’ils accueillaient dans leurs établissements. Ainsi Jean-Guy Bernard, directeur de l’EM Normandie expliquait vouloir «attirer un public aussi diversifié que possible. Les recruteurs nous demandent d’ailleurs d’éviter le clonage… C’est pourquoi nous voulons encourager ces étudiants à nous rejoindre.»

    Ce qu'il dit exactement :

    «Alain Juppé a totalement cramé la caisse. Bordeaux est [une ville] géniale, très bien gérée. Mais il a fait exploser les impôts. Et il a fait exploser la dépense publique et il a fait exploser l’endettement. Moi, ma conviction, c’est que quand vous faites ça, vous n’avez à l’arrivée plus aucune forme de crédit.»

    La réalité : La phrase de Laurent Wauquiez comporte trois affirmations. Premièrement, Alain Juppé, depuis qu'il est maire de Bordeaux (il dirige la ville depuis 2006 après en avoir déjà été maire entre 1995 et 2004), aurait fait «exploser les impôts». Deuxièmement, il aurait fait «exploser la dépense publique». Troisièmement, il aurait fait «exploser l’endettement».

    Sur les impôts locaux, il est exact de dire qu’ils ont augmenté à Bordeaux ces dernières années. Ainsi en 2015, Alain Juppé avait annoncé une hausse de 5 % de tous les impôts locaux, avant de les geler en 2016. En 2017, à défaut d’augmenter directement les impôts, la municipalité fait voter la baisse d’un abattement sur la taxe d’habitation, provoquant automatiquement une hausse des sommes dues par les bordelais. La municipalité estimait ainsi qu’un habitant de la ville paierait jusqu’à 48 euros de plus par an.

    À propos de l’endettement de la ville et de ses dépenses publiques, la chambre régionale des comptes (CRC) s’est montrée extrêmement sévère dans un rapport révélé par Sud Ouest en janvier dernier. L’institution reprochait à Alain Juppé l’augmentation de la dette de la ville, entre 2010 et 2015. Elle aurait doublé, selon la haute institution, passant de de 185 à 377 millions d'euros en cinq ans, avant de retomber et de se stabiliser autour de 343 millions d’euros en 2016. Les dépenses publiques de la ville ont elle aussi augmenté selon l’analyse de la CRC. Ainsi, les dépenses d'équipement en euro par habitant sont passées de 261 à 723 euros entre 2010 et 2013, avant de baisser légèrement jusqu’en 2015 pour atteindre 442 euros. Il en va de même des dépenses de fonctionnement de la municipalité, qui sont passées de 296 millions d’euros en 2010 à un peu plus de 337 millions en 2015, soit une augmentation de 14 %.

    À noter que si Alain Juppé conteste ce rapport de la CRC, l’opposition socialiste ne dit pas autre chose que Laurent Wauquiez sur le sujet. À tel point que l’élu PS Matthieu Rouveyre a déclaré, auprès de 20 Minutes, qu’il « se sent moins seul » depuis la sortie de Wauquiez. Il ajoute que selon lui, «la situation de Bordeaux est alarmante car il n’y a plus d’argent dans les caisses. Les impôts et l’endettement ont explosé !»



    Sur neuf affirmations, cinq sont fausses, deux sont vraies et deux ne peuvent pas être tranchées. Bref, Laurent Wauquiez a beau promettre à ses élèves de ne pas leur sortir le «bullshit des plateaux médiatiques», il le fait un peu quand même.