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    Affaire Hulot : quand la guerre du scoop brise l’anonymat d’une victime déclarée de viol

    Le magazine Ebdo va révéler, le 9 février, une accusation de viol portée contre le ministre. Mais plusieurs médias ont déjà mis en péril le secret des sources, en révélant en partie l’identité de la victime.

    Une nouvelle affaire vient éclabousser le gouvernement d'Édouard Philippe. Cette fois, c'est Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, qui est visé par une enquête du magazine Ebdo.

    Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut d'abord résumer rapidement les accusations portées contre Nicolas Hulot dans le magazine (à paraître le 9 février en kiosques), qui tiennent en deux parties. Une première femme aurait retiré, en échange d'un accord financier, une plainte contre le ministre, à l'époque où il dirigeait la fondation Hulot, pour harcèlement sexuel. Une deuxième aurait porté plainte contre lui en 2008 pour des faits de viol remontant à 1997. Problème : l'enquête, que nous nous sommes procurée, a fuité avant sa parution. Résumé d'un imbroglio médiatico-politique à tiroirs.

    Étape 1 : Praud, le poids de la rumeur

    Le 1er février, 9 h 44 : L'emballement autour de l'affaire Nicolas Hulot ne date pas d'aujourd'hui. La semaine dernière déjà, sur CNews, l'animateur Pascal Praud avait fait état, sans aucune forme de précaution journalistique, d'une «rumeur qui courait dans toutes les rédactions, qui vise une personnalité extrêmement importante du monde politique». L'animateur ne cite aucun nom.

    Via Twitter: @davidperrotin

    Un autre membre du gouvernement, Gérald Darmanin, est alors accusé de viol. Et pour faire face à cette accusation, le ministre de l'Action et des Comptes publics avait choisi de «déminer» le terrain et d'anticiper les révélations de la presse avant leur parution. Dans ce contexte, la «rumeur» qu'évoque Pascal Praud fait son petit effet.

    Étape 2: Closer, le scoop des autres

    Jeudi matin, 6 h 32 : le magazine Closer publie, sur son site internet, un article intitulé «Nicolas Hulot sous pression». En quelques paragraphes, le magazine people raconte comment Ebdo s'apprête à publier une enquête à charge contre le ministre et précise que le magazine revient «sur une affaire supposée d'agression sexuelle que la justice a pourtant classée». Il s'agit en réalité d'accusations de viol.

    Le magazine précise également qu'une deuxième affaire pourrait s'avérer explosive pour le ministre. L'une de ses anciennes collaboratrices aurait retiré une plainte pour harcèlement sexuel en échange d'une transaction financière. En langage journalistique, Closer «grille» donc une information de premier plan à une autre rédaction.

    Nicolas Hulot sous pression https://t.co/foikckU5So

    Deux heures plus tard, Nicolas Hulot réagit pour la première fois face à Jean-Jacques Bourdin, sur BFM-TV. Le journaliste lui demande s'il est exact qu'une jeune femme a porté plainte contre lui en 2008, sans préciser quels faits que cette victime déclarée dénonçait, en l'occurence un viol. Nicolas Hulot explique alors que la plainte, tombait sous le coup de la prescription :

    «Il y a eu prescription, mais cela ne suffit pas : j'ai été auditionné par les gendarmes à ma demande et à l'époque les enquêteurs ont considéré qu'il n'y avait rien qui permettait de poursuivre cette affaire.»

    "Le premier ministre et le président m'ont affirmé leur affection et leur confiance (...) Je n'ai rien à me reproch… https://t.co/S8XluhFyLC

    Via Twitter: @BFMTV

    Sur la deuxième affaire relatée dans Ebdo, cette fois à propos d'un cas de harcèlement sexuel à la fondation que Nicolas Hulot dirigeait avant son entrée au gouvernement, le ministre répond :

    «Il n'y a jamais eu de plainte déposée.»

    Seul souci, au moment où le ministre de la Transition écologique et solidaire répond aux questions de Jean-Jacques Bourdin, personne ne sait encore exactement ce que contient l'enquête d'Ebdo. Mais certains journaux vont alors se lancer dans une véritable chasse aux sources pour identifier qui accuse le ministre.

    Étape 3 : Le Point, la chasse aux sources et la fin de l'anonymat

    À la mi-journée, alors qu'Édouard Philippe et Emmanuel Macron disent soutenir officiellement Nicolas Hulot, Le Point dégaine. Dans un article intitulé «Quels faits derrière les démentis de Nicolas Hulot ?», le magazine revient sur le contenu de l'enquête d'Ebdo.

    À propos la seconde affaire, Le Point va plus loin que l'enquête. Sur BFM-TV, Jean-Jacques Bourdin avait présenté la plaignante comme la «petite-fille d'un homme politique célèbre», sans révéler son identité. Même chose dans Ebdo, qui précise auprès du Point ne donner «aucun nom» dans son article. La victime déclarée explique d'ailleurs dans l'enquête d'Ebdo : «Je ne veux pas apparaître,
    ni maintenant ni jamais». Un procédé courant dans les affaires de violences sexuelles, les victimes craignant souvent une surexposition médiatique. Une volonté que Le Point a préféré balayer, puisque le magazine révèle le nom de l'homme politique dont la plaignante est la petite-fille.

    Des révélations dont «Touche pas à mon poste» se fera l'écho dans la soirée. Alors que les chroniqueurs débattent des accusations portées contre Nicolas Hulot, Bernard Montiel demande s'il peut donner le nom de famille de la victime déclarée. Malgré les protestations de Pascal Praud qui rappelle qu'elle ne veut pas que son nom apparaisse, le chroniqueur enchaîne : «Le Point l'a donné ce soir. Alors selon Le Point, il s'agirait de...»

    C'est finalement dans Le Parisien qu'apparaît le nom complet de la plaignante dans un article publié sur son site internet jeudi soir. Et Le Parisien de rappeler que dans Ebdo, le témoignage était donné anonymement.

    Étape 4 : Comment la «rumeur» a occulté de véritables accusations

    Le procédé, visant à dire qu'on avait un scoop (sans en connaître les tenants ou les aboutissants) avant tout le monde aboutit finalement aujourd'hui sur CNews. Jeudi matin, l'animateur Jean-Marc Morandini se félicite que «l'info» (en fait, la rumeur de l'info) ait été révélée en premier sur sa chaîne, sur le plateau de Pascal Praud. La boucle est bouclée.

    Là, on tient un truc 👌 #Morandini #Hulot

    Au milieu de tout cet emballement médiatique, c'est bien l'idée de rumeur qui reste. Ainsi, BFM-TV évoque le démenti de Nicolas Hulot «à la rumeur».

    VIDEO - Agression sexuelle: Nicolas Hulot dément la rumeur selon laquelle il aurait acheté le silence d’une jeune f… https://t.co/zqwxqloQtb

    Via Twitter: @BFMTV

    Le journal Ouest France évoque des «rumeurs de harcèlement à l'encontre de deux femmes» (alors qu'il s'agit en réalité d'une affaire d'accusation de harcèlement, et d'une affaire d'accusation de viol). Le site Purepeople titre quant à lui «Nicolas Hulot, sa femme et ses enfants : ses piliers bouleversés par la rumeur». De son côté, le président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, Christian Jacob, embraye sur LCP et fustige «la rumeur (...) insupportable». L'élu martèle par ailleurs qu'un homme politique n'est «pas là pour être le bouc émissaire de toutes les rumeurs». Nicolas Hulot lui-même, face à Jean-Jacques Bourdin, dira : «Moi j'ai peur de la rumeur mais il y a une chose dont je n'ai pas peur, c'est la vérité.»

    Si l'accusation portée contre Nicolas Hulot pour des faits de harcèlement sexuel est niée par les deux principaux concernés, l'accusation de viol portée dans l'Ebdo par «Marie» (dont le nom a été modifiée par le magazine) est, elle, bien réelle. Elle a mené à une plainte, déposée en 2008 et classée en raison de la prescription des faits incriminés, qui se seraient déroulés en 1997. Contacté pour en savoir plus, le parquet de Saint-Malo nous a simplement expliqué qu'il avait «eu pour directive de ne pas répondre aux journalistes». Au magazine, la victime déclarée explique : «J’ai tenu à ce qu’il sache la façon dont j’avais vécu les choses, et je lui ai fait savoir.»

    Via Twitter: @Vergnaud

    MISE À JOUR

    Ajout des propos tenus dans la soirée sur «Touche pas à mon poste» et de l'article du Parisien.