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    Un prof de philo de Yale mondialement connu accusé de harcèlement sexuel

    L’un des philosophes les plus influents de notre époque est accusé d’avoir harcelé sexuellement des étudiantes et d’avoir abusé de sa position pour les manipuler afin d’avoir des relations sexuelles.

    Thomas Pogge, qui enseigne l’éthique et la philosophie à l’université Yale, dont il dirige le Global Justice Program, est un intellectuel renommé, connu pour son combat acharné pour la défense des plus pauvres. Il occupe également d’autres postes au sein d’établissements prestigieux dans le monde entier. D’après ses propres estimations, il a donné 34 séminaires doctoraux, 1218 conférences dans 46 pays et supervisé 66 thèses de doctorat.

    Mais d’après une plainte déposée il y a peu devant la justice fédérale américaine, le professeur se serait servi de sa renommée et de son influence pour contraindre des jeunes femmes à des rapports sexuels. Une de ses anciennes étudiantes affirme avoir été sanctionnée professionnellement après avoir refusé ses avances.

    Dans les années 90, une étudiante de l’université Columbia, où Thomas Pogge enseignait alors, l’a accusé de harcèlement sexuel. En 2010, Fernanda Lopez Aguilar, fraîchement diplômée de Yale, l’a accusé de harcèlement sexuel et de s’être vengé en la recalant d’un poste d’enseignant-chercheur qu’il lui avait offert. En 2014, une doctorante inscrite dans une université européenne l'a accusé de lui avoir fait miroiter, à elle ainsi qu’à d’autres jeunes femmes, des opportunités professionnelles dans le seul but d’initier un rapport sexuel.

    L'université de Yale est au courant de toutes ces allégations –et d’autres encore– depuis des années. Lorsque Fernanda Lopez Aguilar a signalé à l’université le harcèlement sexuel pratiqué par Thomas Pogge, Yale lui a proposé 2000 dollars (1800 euros) en échange de son silence, a-t-elle dit.

    Un comité a par la suite reconnu l’existence de «preuves concrètes» que Thomas Pogge avait manqué de professionnalisme et agi de manière irresponsable, constatant de «nombreux incidents» au cours desquels l’enseignant a «échoué à respecter les critères du comportement éthique» attendu de lui. Pourtant, d’après un compte-rendu disciplinaire, le comité a estimé que les «preuves n’étaient pas suffisantes pour l'inculper de harcèlement sexuel».

    Yale a reçu des témoignages de profs et d'étudiantes d'autres établissements, mais décidé de ne pas rouvrir le dossier.

    Récemment, Yale a reçu des lettres venant de professeurs et d’étudiantes d’autres établissements, qui font part de leur inquiétude et fournissent des preuves supplémentaires de la présumée conduite inappropriée de Thomas Pogge, demandant à l’université de réexaminer les plaintes reçues. «Ça me brise de le cœur de devoir dire ça, mais il est clair que Thomas utilise sa réputation pour viser injustement des personnes qui lui font confiance et l'admirent et qui –une fois victimisées– sont trop intimidées par sa réputation et son pouvoir pour parler», a par exemple dit Christia Mercer, une ancienne collègue de Pogge à la fac de Columbia.

    Yale a estimé que ces accusations ne relevaient pas de sa compétence et qu’elle ne rouvrirait pas le dossier. Thomas Pogge y dirige toujours le Global Justice Program et enseigne la philosophie ainsi que les relations internationales sur le campus de New Haven, dans le Connecticut.

    Les plaignantes accusent Yale d’avoir violé le Titre IX, qui engage la responsabilité des établissements scolaires dans le maintien d’un environnement scolaire non-hostile en éradiquant le harcèlement sexuel, ainsi que le Titre VI, qui interdit la discrimination raciale, au motif que Thomas Pogge s’attaquerait spécifiquement à des étrangères de couleur qui savent moins comment gérer les dynamiques de pouvoir aux États-Unis. La plainte contient des centaines de mails et de retranscriptions de leurs conversations privées avec le professeur, auxquels BuzzFeed News a eu accès.

    Les rumeurs au sujet de Thomas Pogge vont bon train depuis la publication d’un essai à charge par une ancienne petite amie. Les allégations le concernant ont déjà fait le tour des départements de philosophie du monde entier. Après un premier article de BuzzFeed News sur les accusations portées contre Thomas Pogge, certaines de ses conférences prévues en Chine et en Australie ont été annulées.

    Ces accusations soulèvent des questions essentielles sur la façon dont les universités gèrent la dynamique de pouvoir entre les membres du corps enseignant et les élèves. Mais leurs implications sont également philosophiques. Peut-on lutter sans relâche contre les inégalités de pouvoir dans le monde tout en abusant du sien? Une discipline qui s’est construite sur la tentative de définir une société juste –et qui souffre d’un vrai problème de diversité– peut-elle ignorer ces problèmes?

    Contacté à plusieurs reprises, Thomas Pogge n’a pas donné suite à nos sollicitations. Il a néanmoins répondu à certaines de ces allégations dans un communiqué.

    Traduit par Nora Bouazzouni