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    À Marseille, «un viol était en train de se produire silencieusement sous nos yeux»

    Trois femmes qui buvaient un verre en terrasse dimanche après-midi racontent avoir été témoins d'un viol en pleine rue. La police a confirmé à BuzzFeed News qu'un homme avait été interpellé et placé en garde à vue.

    Marguerite Stern, Sophia Lilya Hocini et Elvire Duvelle-Charles expliquent avoir été témoin d'un viol, dimanche après-midi, en plein jour, à Marseille (Bouches-du-Rhône).

    Marguerite Stern, qui, comme son amie Elvire Duvelle-Charles, est une ancienne Femen, a partagé un texte sur Facebook dans lequel elle raconte l'agression.

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    «Ici à eu lieu un viol», écrit la travailleuse sociale en légende d'une photo d'un matelas posé derrière une poubelle.

    Dans son texte, elle raconte qu'elle et ses amies buvaient un verre en terrasse. Et décrit:

    «Un mec très chiant, probablement sans domicile fixe, avec une canette de bière à la main et un petit chien beige qui le suivait, a commencé à faire trop de bruit et à taper un scandale au serveur qui voulait le dégager. Il n'avait pas l'air bien. À un moment, il s'est même mis à pleurer. J'ai eu de la peine pour lui. Et deux minutes plus tard, il violait une femme.»

    «Je tiens à raconter ce qui s'est passé, mais j'ai du mal à l'écrire, tellement je suis encore choquée», précise-t-elle dans son texte. Avant de continuer:

    «C'est Elvire qui a remarqué qu'il se passait quelque chose d'anormal: l'homme était allongé sur la femme, et faisait des mouvements de va-et-vient. Si elle n'avait pas prêté trop d'attention à cette scène qui ressemblait au premier abord à une "simple" exhibition sexuelle, elle n'aurait pas remarqué que la femme semblait inconsciente.

    (...) Je me suis levée, et je suis allée voir de près le visage de cette femme dont les yeux étaient fermés. Je ne me rappelle plus de ce que j'ai dit au violeur qui s'est enfui. Je me rappelle seulement de son regard et de son sexe en érection. La bite d'un violeur. La femme a remonté son jean d'un mouvement de main, comme un réflexe, et est retournée à son coma. J'ai essayé de la réveiller, mais en vain.»

    Elle explique ensuite qu'elles ont appelé les pompiers, qui sont arrivés rapidement et ont réveillé la victime.

    «On s'est accroupies pour lui parler, pour lui raconter ce qu'on venait de voir, pour lui dire que les pompiers étaient là et que c'était pour son bien, parce qu'on pensait qu'elle avait besoin d'assistance. Elle ne se souvenait pas de la pénétration, mais seulement du fait que le mec avait essayé de l'embrasser. Dans ses propos, on a compris que ça n'était pas la première fois que ça lui arrivait.

    Quand on lui a dit que ce que cet homme avait fait était un crime puni par la loi, et qu'il pouvait être emprisonné pour ça, elle a répondu: "Ben alors y en a d'autres qui devraient aller en prison." On a essayé de la convaincre de porter plainte et de suivre les pompiers qui pouvaient l'emmener à l'hôpital pour qu'elle voie un médecin qui pourrait attester du viol. Elle était décalquée, choquée.»

    Elle précise que la police est arrivée à son tour, qu'une patrouille a pu arrêter l'homme en question avant de repasser devant le bar, où les trois amies ainsi qu'un serveur du bar Les Danaïdes ont pu confirmer à la police qu'ils le reconnaissaient.

    «Entre temps, la femme a été embarquée de force comme si c'était elle la coupable, parce que le violeur avait été retrouvé. (...) L'un des pompiers a dit que si elle ne consentait pas [à les suivre à l'hôpital], elle allait "se prendre une piqûre dans les fesses, et voilà". Heureusement pour cette femme qu'elle ne l'a pas entendu. Je ne m'étendrai pas sur la façon dont on l'a embarqué, mais je tiens quand même à souligner qu'il n'y a rien de nouveau sous les cocotiers : la façon dont on traite les femmes victimes de violences sexuelles est toujours aussi inappropriée.»

    Elle conclut:

    «Même nous, féministes, nous avons été surprises, nous avons mis un moment à réaliser qu'un viol était en train de se produire silencieusement sous nos yeux, sur la place publique, en pleine après-midi, alors qu'on étaient tranquilles, calées à la terrasse d'un café populaire.»

    Son amie Sophia Lilya Hocini a également écrit un texte sur Facebook pour raconter ce qu'il s'est passé. «Tout cela pour vous dire, un viol, à 16 h 30, dans le centre-ville. Le combat est encore long...», se désole-t-elle.

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    Contactée par BuzzFeed News, Marguerite Stern précise qu'elles étaient installées en terrasse du Grand Bar du Chapitre, en face du square Stalingrad, dans le premier arrondissement marseillais.

    Elle explique avoir voulu partager son texte sur Facebook pour «parler de ce sujet du viol et montrer qu'il est possible de réagir».

    «Ce qu'il s'est passé nous montre que le viol peut se produire dans plein de situations, y compris dans celles qui peuvent nous sembler banales, sur la place publique. Que parfois on est témoin d’agressions, et que si l'on n'y prête pas attention, on pourrait les laisser passer. Or, ce serait de la non-assistance à personne en danger.»

    «Il faut casser le mythe du viol qui aurait systématiquement lieu dans une ruelle sombre à 3 heures du matin, avec un couteau sous la gorge», renchérit Elvire Duvelle-Charles, journaliste et réalisatrice, qui fait partie du collectif féministe 52.

    Les trois amies expliquent à BuzzFeed News avoir été choquées par la manière dont la police et les pompiers ont traité la femme agressée.

    «Il y a plein de choses qui m’ont choqué dans ce qu’il s’est passé», avance Sophia Lilya Hocini, journaliste pour une association d'éducation aux médias et qui tient le blog féministe la robe rouge. «Les forces de l’ordre ont essayé de minimiser ce qu’il venait de se produire, en disant "qu’il était peut-être juste en train de se frotter", alors que ça remettait nos témoignages en question. Les pompiers n’ont pas très bien parlé à cette femme, ils ont parlé de lui faire une piqûre ou de la menotter. Non, on ne met pas des menottes à une victime. Le viol est un crime. Ce n'était pas du tout considéré avec la gravité avec laquelle ça devrait être considéré.»

    «Je pense que, comme c’étaient deux SDF bourrés, c'était comme si c’était plus "acceptable", comme si on devait s’y attendre», regrette Elvire Duvelle-Charles.

    Christophe, le serveur des Danaïdes, un bar voisin, est lui aussi intervenu pour faire fuir l'homme. «J'avais vu cette femme le matin, en train de dormir», affirme-t-il à BuzzFeed News.

    «Je suis allé voir deux fois si ça allait. Elle dormait, donc elle ne répondait pas. Et à un moment donné je lève la tête et je le vois lui, sur elle, clairement en train de faire des mouvements de pénétration. J’ai jeté des verres dans sa direction. Il a sorti son sexe et a remonté son pantalon et s’est barré.»

    Le serveur estime qu’«il y a clairement eu pénétration» et précise avoir déjà vu l’homme dans le quartier.

    Contactée, la direction départementale de la sécurité publique confirme qu’«un individu a été interpellé par une équipe de police et qu’il a été placé en garde à vue».

    Margerite Stern et Elvire Duvelle-Charles ont été entendues lundi après-midi par la police, tandis que Christophe dit devoir s'y rendre vendredi.

    Mise à jour

    Mardi soir, le préfet de police a indiqué que l'homme avait été déféré et mis en examen, rapporte Le Figaro.fr.