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    Les États-Unis craignent une campagne de désinformation le jour des élections

    Des responsables américains s'inquiètent que de fausses informations et des rumeurs soient propagées sur les réseaux sociaux et que des résultats falsifiés soient relayés par la presse.

    SAN FRANCISCO - Aux États-Unis, de nombreux articles se sont inquiétés, les élections approchant, que les machines et les logiciels utilisés pour voter puissent être piratés le jour de l'élection, le 8 novembre. Mais des experts de suivi électoral et des responsables du gouvernement américain ont expliqué à BuzzFeed News qu'ils craignaient tout autre chose: la propagation de rumeurs sur les réseaux sociaux et de résultats non officiels diffusés le soir du vote –deux éléments qui peuvent influencer la manière dont est perçu-e le/la candidat-e élu-e.

    Déstabilisation depuis la Russie

    Des experts de la sécurité nationale américaine expliquent à BuzzFeed News qu'il est bien plus probable (et plausible) qu'un gouvernement étranger comme celui de la Russie essaie d'influencer l'opinion publique le soir de l'élection en attaquant la crédibilité des résultats. Ces techniques de désinformation pourraient inclure la publication de faux articles de presse ou la propagation de rumeurs sur Twitter selon lesquelles les résultats seraient truqués. De fausses sources pourraient également essayer d'influencer les résultats officieux annoncés par les médias nationaux.

    «Les campagnes de désinformation, créer le doute sur les résultats des élections, voilà quelque chose que nous avons vu la Russie faire par le passé. Il est commun pour la Russie de s'attaquer aux points faibles du système électoral», analyse un responsable de la sécurité nationale américaine basé à Washington. Il a demandé à garder l'anonymat car il n'est pas autorisé à parler à la presse:

    «Pourquoi se fatiguer à changer les résultats de vote officiels quand vous pouvez faire en sorte qu'un organisme de presse rapporte des résultats erronés à propos d'un État-clé, ou si vous pouvez rendre viral un faux article, prétendant que les élections ont été truquées dans un État-clé?»

    La Russie a déjà été accusée d'essayer d'interférer dans les élections américaines en piratant la convention démocratique et en divulguant des milliers de mails pour tenter de nuire à la campagne de la candidate démocrate Hillary Clinton. Mais durant les mois après le piratage, une campagne plus subversive a tenté d'influencer ce qui se raconte sur internet.

    «Les rumeurs peuvent être très dangereuses»

    Des trolls professionnels, soutenus par l'État russe, ont admis avoir créé et disséminé de fausses informations pour soutenir Trump et condamner Hillary. Des dizaines de milliers de bots, des robots automatiques, capables de rendre certains sujets populaires sur Twitter, ont été déployés pour répandre des hashtags tels que #Trumpwon (Trump a gagné) après chaque débat. Utilisés le 8 novembre, des outils de ce genre pourraient suffire à créer le chaos chez les électeurs qui ont déjà lu un bon nombre d'articles prétendant que les élections seraient faciles à truquer ou à hacker.

    «Ce que les responsables des élections feront cette année, ce sera veiller particulièrement à ce qui se passe sur les réseaux sociaux», explique Merle King, directeur exécutif au Centre des systèmes d'élection de l'université d'État de Kennesaw dans l'État de Géorgie aux États-Unis:

    «Les rumeurs qui naissent, les accusations, peuvent être très dangereuses. Si, par exemple, une fausse rumeur se répand selon laquelle un certain bureau de scrutin est fermé et que les gens ne vont donc pas voter là-bas, ce sera quelque chose auquel nous ferons très attention.»

    En plus de la manipulation des médias en ligne, les experts sont attentifs aux tentatives pour influencer les premiers résultats non officiels publiés dans les heures suivant la fermeture des bureaux de vote. Les experts qui étudient les procédés et les systèmes de scrutin sécurisés déclarent que pirater en masse les votes serait extrêmement difficile à organiser, nécessitant des centaines de pirates dans différents États. De même, truquer les machines avant le vote est peu probable étant donné qu'elles sont fréquemment vérifiées par des employés de chaque parti. Les résultats officiels, qui ne sont divulgués qu'une semaine après le vote, sont méticuleusement vérifiés et délivrés à la main dans chaque État.

    Le FBI est aux aguets

    Et le gouvernement américain est aux aguets et prêt à protéger ces résultats officiels. «Nous prenons extrêmement au sérieux tout acte de piratage du système électoral de ce pays», déclare le FBI dans un communiqué envoyé par mail à BuzzFeed News. «Le FBI surveille ce que font les acteurs, quelles sont leurs activités et le but de leurs actions. Ce travail est en cours.»

    Toutefois, les résultats officieux, qui sont souvent communiqués le soir de l'élection par les chaînes de télévision et les sites d'information grâce à des données de votes réunies par les agences de presse comme l'Associated Press, sont souvent la première indication du vainqueur des élections. Et ces résultats, analysent les experts, ne sont pas aussi sécurisés.

    «Rapporter les résultats le soir des élections est devenu considérablement plus compliqué depuis que les journaux, télévisions et radios ont réduit leur nombre de journalistes et leur infrastructure au cours de la dernière décennie, explique Merle King. Les médias, dit-il, exploitent de plus en plus les mêmes données pour essayer de prédire vers quel parti un État penchera, plutôt que d'avoir leurs propres journalistes sur le terrain, faisant des interviews à la sortie des urnes et obtenant leurs propres informations. Les médias ont, plus que jamais, un intérêt particulier à ce que le système de couverture de la nuit électorale et des résultats fonctionne.»

    La Russie a déjà faussé les élections dans d'autres pays. Pour les experts en cybersécurité, ce sont des exemples de ce que les États-Unis pourraient vivre la semaine prochaine.

    Des virus informatiques en Ukraine

    Pendant les élections présidentielles de 2012 en Ukraine, les experts en cybersécurité pensent que des pirates russes ont tenté de fausser les totaux de votes par ordinateur. Leurs cyberattaques, qui ont commencé quatre jours avant l'élection du 25 mai, ont d'abord ciblé les ordinateurs d'élection centraux et ont effacé des fichiers clés qui ont rendu le système de décompte des votes utilisé en Ukraine inutilisable. Les pirates se sont ensuite vantés sur internet d'avoir réussi à détruire le système de scrutin ukrainien, ce qui a créé la panique parmi la population.

    Les équipes du gouvernement ukrainien ont réussi à réparer leur système, mais ils ont découvert qu'un autre virus avait été installé sur les ordinateurs de la Commission d'élection centrale seulement 40 minutes avant la publication des résultats. Le virus aurait permis aux pirates d'attribuer la victoire au candidat ultra-nationaliste Dmytro Yarosh, plutôt qu'au vrai vainqueur Petro Poroshenko, selon une enquête du Christian Science Motor. Il est intéressant de noter qu'au moins une agence de presse russe, Channel One, qui appartient à l'État, a continué à déclarer Yarosh vainqueur avec 37% des voix (c'est ce pourcentage exactement qui avait été programmé dans le virus). Le matin suivant, des attaques DDoS ont touché les systèmes ukrainiens, effaçant le décompte final des votes pendant des heures, ce qui a donné lieu à des accusations de fraude électorale et de faute.

    Et pendant les élections parlementaires dans l'État balkanique de Monténégro il y a seulement deux semaines, le candidat retenu a presque perdu contre une coalition pro-russe. Au cours de la campagne électorale, la Russie avaient été accusée de financer des candidats de l'opposition, et de créer des médias afin de promouvoir ces candidats. Selon NBC News, un membre officiel de sécurité nationale de l'administration Obama explique que la Russie a lancé une campagne de désinformation prétendant que des irrégularités auraient été remarquées pendant le scrutin et que des personnes décédées auraient même été inscrites sur les listes électorales. Or, ces déclarations sont semblables à celles faites récemment par la campagne Trump.

    «Nous nous attendons à ce qu'ils fassent des choses similaires ici, explique l'agent anonyme à NBC. Mais ils prendront tout ce qu'ils peuvent pour cible, comme les infrastructures de vote, ou ils inventeront de fausses histoire sur le Parti démocrate qui aurait intentionnellement manipulé les résultats. C'est ça leur truc.»

    La Russie a nié s'être immiscée dans les élections en Ukraine, au Monténégro et aux États-Unis.