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    Martin Luther King n’était pas le doux rêveur que tout le monde célèbre aujourd’hui

    La journaliste et réalisatrice Rokhaya Diallo livre son point de vue sur les combats de Martin Luther King, le militant des droits civiques devenu, depuis son assasinat il y a tout juste 50 ans, une véritable icône dans le monde entier.

    Ce 4 avril 2018, le monde commémore les 50 ans de la tragique disparition de celui qui est sans doute le militant des droits humains le plus célèbre et le plus révéré au monde. Rares sont les figures si unanimement saluées. Où que l’on regarde sur le spectre politique, il semble impossible de trouver une seule voix critique à l’adresse du pasteur dont la voix profonde résonne encore à nos oreilles.

    Hommage unanime, de Manuel Valls à Eric Ciotti, en passant par Jean-Marc Ayrault 

    Aux États-Unis, Martin Luther King est l'une des rares personnes à laquelle est consacré un jour férié national. Il est aussi le seul non-président à avoir un mémorial dans le parc National Mall de Washington. En France, il n’est pas une seule personnalité politique qui ne se réclame pas de son «rêve» et ne salue sa démarche «non-violente». En ce jour, son nom est clamé sur un spectre d’une largeur surprenante. De Manuel Valls à Eric Ciotti, en passant par Jean-Marc Ayrault, Brigitte Macron et Xavier Bertrand, tout l’échiquier politique semble mobilisé pour la mémoire du pasteur, y compris des personnalités qui se montrent habituellement très hostiles aux minorités de France.

    Il y a 50 ans jour pour jour #MartinLutherKing était assassiné à Memphis. Son combat résonne de manière vibrante en ces jours tragiques où la France pleure les destins croisés d'#ArnaudBeltrame et de #MireilleKnoll. Hommage à ce grand homme qui a marqué l’histoire de l’humanité. https://t.co/ypT2krb9nc

    Aux yeux de tous.tes, Martin Luther King est un quasi-saint, un être irréprochable. Si les hommages qui affluent de tous bords pourraient laisser croire qu'il était un militant consensuel et aimé de tous.tes, la réalité est tout autre. Il est difficile de l’imaginer mais au moment de sa mort, le révérend était une des personnes les plus honnies des États-Unis. Un sondage réalisé par Gallup en 1966 montrait que les deux tiers des Américains avaient une opinion défavorable à son égard.


    Martin Luther King n’était pas un gentil naïf qui rêvait les yeux ouverts.

    On a surtout retenu de Martin Luther King le discours qu’il a prononcé à l’issue de la marche sur Washington, le 28 août 1963. Et c’est en particulier l’énonciation de son «rêve» qui a marqué les esprits, son rêve de voir ses «quatre jeunes enfants vivre un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés par la couleur de leur peau mais à la mesure de leur caractère». Le fait de «rêver» entretient l’image d’une figure douce, et surtout passive. Comme s’il se plaçait dans l’attente du rétablissement de la justice qui ne bouleverserait pas l’establishment. Mais la non-violence n’est pas la passivité ni l’absence d’idées subversives.

    Martin Luther King n’était pas un gentil naïf qui rêvait les yeux ouverts. Il était un homme politique, un véritable penseur, un fin connaisseur de la pensée politique dont les prêches avaient des échos marxistes bien avant qu’il n’accède à une renommée nationale. Son engagement en faveur de l’égalité entre Noir.e.s et Blanc.he.s était ancré dans de profondes convictions politiques. Son activisme avait commencé dans le Sud auprès des mouvements ouvriers avec l’appui de leaders syndicaux. Ce sont les Noirs des milieux populaires qui empruntaient les lignes de bus qui discriminaient les Noirs et c’est dans l’une d’elles que Rosa Parks a refusé de céder sa place à un passager blanc. Grâce à une longue campagne de boycott contre ces compagnies de transport organisée avec le soutien des classes ouvrières, celles-ci ont été contraintes d’abandonner leurs pratiques racistes.

    Si Martin Luther King était impopulaire à la fin de sa vie c’est parce que son engagement éminemment anticapitaliste était devenu prégnant dans sa prise de parole publique. Le pasteur s’était toujours montré farouchement opposé aux méfaits du libéralisme à l’américaine et notamment à son impact sur les plus pauvres. Peu avant sa mort, il avait initié la «Poor People Campaign» pour appeler à marcher à nouveau sur Washington et à dénoncer la misère qui sévissait dans les foyers américains les plus pauvres. À la fin de sa vie, c’est la question des classes sociales qui irriguait ses discours ainsi que la conviction selon laquelle les Américains pauvres avaient intérêt à faire front commun contre les méfaits du capitalisme, quelle que soit leur couleur.

    On aime à opposer le «gentil» Martin Luther King, à Malcolm X le «méchant » virulent à l’égard des Blanc.he.s. En réalité, l’opposition entre les deux hommes n’était pas aussi schématique

    Il n’a par ailleurs jamais caché son opposition farouche aux conséquences meurtrières de l'impérialisme des États-Unis à travers le monde. À son époque, sa plus grave manifestation était la guerre contre le Vietnam dans laquelle son pays s’était embourbée. Déclarant que les États-Unis n’avaient «pas d’intentions honorables au Vietnam», il était allé jusqu’à comparer la manière dont les Américains testaient les armes sur la population vietnamienne avec celle dont les nazis avaient effectué d’horribles tests sur les juifs. Cela lui avait valu des critiques jusque parmi les leaders des communautés noires.

    On aime à opposer le «gentil» Martin Luther King, à Malcolm X le «méchant » virulent à l’égard des Blanc.he.s. En réalité, l’opposition entre les deux hommes n’était pas aussi schématique. L’un et l’autre savaient qu’ils pouvaient jouer de leur complémentarité sur l’échiquier militant pour faire avancer leur cause commune.

    Et Martin Luther King n’était pas dupe quant aux failles de certains Blanc.he.s qui se présentaient comme des allié.e.s favorables aux avancées des droits des Noir.e.s. Emprisonné en 1963, pour avoir appelé au boycott et défilé pacifiquement dans les rues de la ville, il déplorait le frein que constituaient les «Blancs modérés» (se présentant comme les allié.e.s progressistes des minorités) dans l'émancipation des Noir.e.s.

    Il se disait «extrêmement déçu par le Blanc modéré» le conduisant «à la conclusion regrettable que le principal obstacle que rencontre le Noir dans son élan vers la liberté n'est ni le Ku Klux Klan, ni les ligues de défense des blancs, mais bien le blanc modéré, celui qui s'attache davantage à l'"ordre" qu'à la justice; qui préfère une paix négative, qui se réduit à l'absence de tensions, à une paix positive, qui est la présence de la justice». Il reprochait à ces Blanc.he.s de prétendre soutenir les objectifs des militant.e.s antiracistes mais contester leurs «méthodes» «de manière paternaliste» pensant pouvoir «décider des étapes par lesquelles un autre homme accédera à la liberté».

    Les mots du pasteur résonnent comme un écho de la situation actuelle en France, au moment même où des personnes majoritairement blanches cherchent à discréditer les modalités de luttes choisies par les minorités pour lutter contre le racisme qui les affecte pourtant en premier lieu.

    En réalité, le vrai Martin Luther King n’était pas la figure sainte et lisse que l’on salue sans jamais prendre la peine de réfléchir à son message. Il était un militant subversif, aux antipodes des idées simplistes et consensuelles qui lui sont habituellement associées. Si Martin Luther King avait été un militant aujourd’hui, nul doute que nombre de celles et ceux qui le saluent avec émotion aujourd’hui auraient été ses critiques les plus virulents, le qualifiant d’extrémiste ou de communautariste.


    Rokhaya Diallo a réalisé le documentaire “Les Marches de la Liberté” qui suit un groupe de jeunes américains en France 30 ans après la Marche Pour l’Egalité et 50 ans après le «rêve» de Martin Luther King. Il est désormais visible gratuitement sur Youtube.