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    Sur la dalle d'Argenteuil, Juppé rate sa rencontre avec les habitants

    Onze ans après Sarkozy, Juppé voulait montrer un autre visage de la droite. Il a déçu les Argenteuillais qui n'ont pas pu l'approcher.

    Alain Juppé voulait montrer sa différence. Montrer qu'il pouvait faire mieux que Nicolas Sarkozy et sa sortie virile sur les «racailles». Mais, perdu au milieu des journalistes et de ses soutiens, le candidat à la primaire n'a pas su aller à la rencontre des Argenteuillais qui gardent un goût amer de sa visite.

    C'est ici, sur la dalle, que Nicolas Sarkozy avait prononcé, sous les huées, une phrase qui l'avait suivi pendant toute sa campagne:

    Pour trancher avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé est venu le matin. Au programme: promenade sur la dalle, visite d'une médiathèque et d'une mairie de quartier, et réunion publique dans un salon de thé tout proche. Le tout sous l'œil de dizaines de journalistes venus couvrir l'événement.

    Après avoir arpenté la dalle, Alain Juppé a visité une mairie de quartier, toujours sous l'œil de dizaines de caméras. Puis, c'est dans un salon de thé, Le Jad, qu'il a présenté son «diagnostic pour les banlieues», devant une vingtaine d'élus et de militants venus de toute l'Île-de-France. Le but: présenter les résultats de plusieurs mois de consultation auprès des habitants d'une centaine de «quartiers populaires» répartis dans toute la France.

    Les Argenteuillais à l'écart

    Journalistes, soutiens, militants, tous étaient présents pour suivre Alain Juppé. Ne manquaient finalement que les habitants d'Argenteuil eux-mêmes. Difficile de les trouver, un mercredi matin à 10h, comme nous l'a expliqué Malek Scalbert, 21 ans et militant au Parti socialiste:

    «Je ne sais pas pour qui il nous prend, mais nous à 10 heures du matin, on travaille. Dans la réalité, les Argenteuillais sont pas là.»

    Dialogue entre le staff de Juppé et un habitant du quartier qui voulait interpeller le candidat #AJArgenteuil

    Buzzfeed

    En marge de l'attroupement créé par la venue d'Alain Juppé, la déception était palpable chez les habitants de la dalle. Comme Farid, Argenteuillais «depuis 40 ans», beaucoup restent indifférents aux promesses faites par les candidats:

    «Depuis dix ans, ils ont changé la façade, mais pas le fond. Ici, on organise une cérémonie pour inaugurer un escalator. Vous vous rendez compte? On inaugure un escalator. Voilà le niveau de cette ville. Alors si vous croyez qu'Alain Juppé va changer quelque chose...»

    Même constat pour Hocine, sympathisant socialiste. «Rien ne change jamais ici», résume le quinquagénaire. «Les impôts augmentent en permanence alors que les gens n'ont pas de travail. Moi j'ai une petite maison, je paye plus de 3000 euros de taxes. Comment vous voulez faire?» demande Hocine.

    Beaucoup évoquent l'état de dégradation du quartier. Les services publics, comme La Poste, et les commerces fermés, le manque de moyens de la police et le délitement du lien social.

    Malek était venu pour parler de ces sujets avec Alain Juppé.

    «Les commerces ont fermé, il n'y a plus de lien entre les gens ici. Prenez le commissariat, il n'est pas tout le temps ouvert. Il faut prendre rendez-vous pour déposer une plainte. Quand ma boîte aux lettres a été fracturée, j'ai dû porter plainte dans un autre commissariat parce que celui-ci était fermé. On ne voit pas de policiers ici.»

    Indifférente au raffut que cause la visite d'un candidat à la primaire de la droite, Karine fume une cigarette devant l'agence BNP dans laquelle elle travaille depuis cinq ans. Elle qui a voté Hollande en 2012 n'a pas de mots assez durs pour qualifier les candidats à la présidentielle:

    «C'est des guignols. On se croirait au théâtre de Guignol. Ça fait cinq ans que je travaille ici, j'ai vu l'augmentation du nombre de dossiers de surendettement. Aujourd'hui, une fois payées les factures, les gens ont 400 euros pour tenir le mois. Comment voulez-vous qu'ils fassent?»

    En suivant Alain Juppé de loin, nous faisons aussi la rencontre de Larbi. Déçu du PS comme des Républicains, lui n'a rien à dire à Alain Juppé:

    «Attendez, ce n'est pas à moi de lui parler. C'est lui qui vient chez nous, c'est lui qui devrait avoir des choses à nous dire. Alors, qu'est-ce qu'il veut nous dire? On ne sait pas. Pourquoi il est venu ici? On ne sait pas. Est-ce qu'il cherche des électeurs? Est-ce qu'il veut écraser Sarkozy? Quel est l'objectif? La dalle d'Argenteuil, c'est devenu La Mecque. On y vient en pèlerinage parce qu'il faut le faire. La dalle, c'est un pèlerinage.»

    Dans l'entourage d'Alain Juppé, le malaise est palpable, même si on se satisfait, comme Éric Lagel, coordinateur national de l'initiative d'Alain Juppé pour les banlieues, que la rencontre se soit bien passée:

    «Il y avait quand même trois représentants d'Argenteuil parmi les personnes présentes dans le café. C'est vrai qu'on aurait aimé que plus d'habitants aient accès à Alain Juppé, mais la pression des journalistes était très forte. On le regrette.»

    Deux heures après son arrivée, Alain Juppé repart, toujours suivi par les caméras et les micros, et sous l'œil mi-curieux mi-désabusé de Sosa, 23 ans. Lui non plus ne se fait pas beaucoup d'espoirs:

    «Ça n'a rien changé pour nos parents, ça ne va rien changer pour nous non plus.»