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    Appels au viol contre Caroline De Haas: la justice «ne peut pas poursuivre»

    Info BuzzFeed News - Pour ne pas «laisser impunis des appels au viol» sur les réseaux sociaux, la militante féministe avait décidé de porter plainte. La justice a finalement déclaré ne pas pouvoir poursuivre les auteurs.


    Mise à jour le 02/01/17: Caroline De Haas a précisé sur Twitter lundi que «le magistrat a annoncé qu'il ne pouvait poursuivre, n'ayant pas réussi à identifier les auteurs». En colère, elle ajoute avoir dû «emprunter de l'argent (1500 euros, ndlr) pour le faire. Résultat: rien. Je ne serai pas dédommagée. Et les agresseurs dorment tranquilles».

    «Des milliers de messages d'insultes, des dizaines d'appels à me violer, à venir me "planter", à m'égorger. Et personne n'est condamné», regrette Caroline De Haas.

    Des milliers de messages d'insultes, des dizaines d'appels à me violer, à venir me "planter", à m'égorger. Et personne n'est condamné. (5)


    Publié le 30 mars 2016 — Caroline De Haas indique à BuzzFeed News qu'elle a porté plainte contre un tweet et un commentaire sur Facebook, qui incitent tous deux à la violer. Il s'agit d'une plainte pour «montrer que les appels au viol, c’est grave», dit elle.

    Les faits remontent à janvier dernier. Quelques jours après les agressions sexuelles du nouvel an à Cologne, la militante féministe tweete la phrase suivante:

    Ceux qui me disent que les agressions sexuelles en Allgne sont dues à l'arrivée des migrants : allez déverser votre merde raciste ailleurs.

    «Sur le coup, il n’y a pas eu de réaction», raconte Caroline De Haas, «mais Ivan Rioufol (éditorialiste du Figaro, ndlr) a retweeté mon message quelques jours après, et là je me suis pris une volée de trolls d'extrême droite». La fondatrice d’Osez le féminisme est attaquée sur Twitter et reçoit également des insultes sur son compte Facebook:

    «J'ai eu, en une seule journée, des centaines et des centaines de notifications avec des insultes. J’ai dû me déconnecter pendant trois jours tellement c’était violent. J’ai reçu des textos d’amis qui me disaient “ça craint” et me souhaitaient “bon courage” devant l’ampleur que ça prenait.»

    «Son adresse est facile à trouver»

    Voici quelques captures d'écran de ces réactions que l'on peut encore voir aujourd'hui sur Twitter, et dans les commentaires sous ce post Facebook.


    «Ces internautes se disent contre le viol mais ils appellent au viol», se désole celle qui fut conseillère de Najat Vallaud-Belkacem au ministère des Droits des femmes. Elle décide donc de saisir la justice, mais uniquement à propos de deux auteurs: un sur Twitter et un sur Facebook.

    «Il y aurait de quoi porter une centaine de plaintes. Mais comme je n'ai ni les moyens financiers ni le temps de le faire, nous avons préféré, avec mon avocat, sélectionner les pires messages.»

    «Va te faire violer par tes migrants»

    Les plaintes contre X, que BuzzFeed France a pu consulter, ont été enregistrées par le tribunal de grande instance de Paris le 16 février. Et les adresses IP des auteurs visés ont également été fournies à la justice.

    Une première vise deux commentaires sur Facebook d’un certain Jean Defrance (captures ci-dessous, données à BuzzFeed News par Caroline De Haas), pour «diffamation publique» et «provocation au viol».

    La seconde dénonce le tweet de Den LEM, pour «injure publique» et «provocation au viol».

    Caroline De Haas avait signé le manifeste «je déclare avoir été violée» de Clémentine Autain en novembre 2012. Elle expliquait alors que cette prise de parole publique avait été compliquée parce qu'il a «fallu que je prévienne mon entourage, et que j’évoque donc les faits que j’ai subis voici dix ans», mais qu'elle l'avait fait «parce qu’il faut dire stop. Les violences faites aux femmes ne font pas seulement mal, il faut en faire une lecture politique, comprendre qu’elles s’inscrivent dans des systèmes d’emprise et de dénigrement, dans une société où les femmes subissent encore une domination.»



    Contre «la banalisation d’un acte criminel»

    En 2013, la militante antiraciste Rokhaya Diallo avait déjà eu recours à la justice contre un tweet qui disait: «Il faut violer cette conne de Rokaya comme ça fini le racisme». L’auteur du message, un homme de 23 ans, a été reconnu «coupable d'injure et provocation non suivie d'effet au crime» en janvier 2014. Il a été condamné à 2000 euros d'amende (dont 1400 avec sursis) et condamné par ailleurs à verser à la cofondatrice de l'association les Indivisibles 1000 euros de dommages et intérêts.

    «J’ai décidé de porter plainte pour rappeler que les lois de la République s’appliquent aussi à Twitter», avait indiqué à l'époque Rokhaya Diallo dans L’Humanité. «À mes yeux, cette incitation publique à me punir de sévices sexuels en raison de mes prises de position n’a rien de virtuel. (...) Prendre la parole publiquement, comme je le fais, implique nécessairement l’exposition à des critiques, ce que j’accepte volontiers tant que cela s’inscrit dans les limites de la légalité. Ce que je refuse, c’est que la banalisation d’un acte criminel comme le viol reste sans réponse.»

    «Vous avez beau être blindée, c’est dur»

    Pour Caroline De Haas aussi, le but est de montrer «qu'il faut arrêter de relativiser». D'autant plus qu'elle se souvient très bien de sa réaction à la plainte de Rokhaya Diallo:

    «Je m’étais un peu dit "faut pas pousser, c’est les réseaux sociaux, c’est le jeu". C’est-à-dire que j’ai fait exactement ce que font énormément de gens en cas d’insultes et de violences sexistes: j’ai relativisé. Mais quand je l’ai vécu, j’ai pu voir à quel point c’était violent.»

    Et de poursuivre:

    «Des insultes sur les réseaux sociaux, j’en reçois tous les jours. Mais là, ce qui a changé, c’est l’ampleur en terme de nombre et de violence. Les gens donnent votre adresse, ça fait peur. Vous avez beau être blindée, c’est dur. Un appel au viol, c’est quelque chose qu’il ne faut pas laisser impuni.»

    Celle qui a lancé, avec d’autres, la pétition contre la loi travail estime cependant que «ce n’est pas facile de porter plainte». «Quand on a la possibilité de le faire, je pense que c’est bien de le faire. Mais je ne veux pas dire que toutes les femmes devraient porter plainte, chaque femme fait comme elle peut et comme elle veut.»

    Son avocat, Me Kevin Grossmann, s’était déjà occupé de la plainte de Rokhaya Diallo. Il précise à BuzzFeed News avoir été «satisfait» que l’accusé soit condamné mais «déçu du montant de la condamnation -même si ce n'est pas une surprise, car on est dans les standards de la 17e chambre».

    Selon l’avocat, «l'incitation au viol est une des infractions les plus sévèrement réprimées dans la loi sur la liberté de la presse, mais quand on arrive au tribunal, le juge condamne peu».