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    Homophobie: BNP condamnée pour discrimination et harcèlement d’un salarié

    Info BuzzFeed News - Témoignages et mails à l'appui, un ex-cadre de la BNP dit avoir été harcelé parce qu'il était gay. Alors que la banque a gagné un premier procès et nie ces accusations, la cour d'appel de Paris vient de la condamner ce jeudi à verser plus de 600.000 euros à la victime.

    Mise à jour le 22 septembre avec la décision de la cour d'appel de Paris au bas de l'article
    • Dans une décision que BuzzFeed News a pu obtenir, le Défenseur des droits épingle la BNP, parce qu'un de ses employés a été «victime d'un harcèlement discriminatoire motivé par son orientation sexuelle».
    • D'après l'enquête de Jacques Toubon, le salaire annuel de cet employé gay était 21% plus faible que celui d'un collègue exerçant les mêmes fonctions.
    • La banque, elle, nie ces accusations et met en avant son combat pour lutter contre «toutes les discriminations».
    • La cour d'appel de Paris a infirmé le premier jugement jeudi 22 septembre et condamne BNP Paribas à verser à la victime plus de 600.000 euros.

    En principe, BNP Paribas lutte ardemment contre les discriminations dans le monde du travail. Le 6 octobre dernier, la banque a d'ailleurs signé la «Charte d’Engagement LGBT» de l’Autre Cercle qui vise à lutter contre l'homophobie et les discriminations liées à l’identité de genre.

    Mais d'après une décision du Défenseur des droits que nous avons pu obtenir, un cadre de la BNP a été harcelé et discriminé pour son orientation sexuelle.

    Cette enquête étayée de 15 pages, datée du 21 juin 2016, n'est pas encore rendue publique. Elle est destinée à la Cour d'appel de Paris qui devra confirmer ou non le jugement du Conseil des prud'hommes daté de septembre 2013 et qui avait débouté l'employé de la BNP, Nicola Rombi, de ses demandes relatives à la réparation de la discrimination dont il s'estime victime. Ce procès en appel avait lieu jeudi.

    «Êtes-vous une femme ou un homme?»

    Employé en CDI depuis 2004 au sein de BNP Paribas, Nicola Rombi travaillait dans le département Corporative Finance (rattaché à un pôle de la BNP appelé CIB) dans une équipe de 15 personnes environ jusqu'en 2012. Les locaux étaient situés non loin du siège social du groupe, à Paris.

    Ce chargé d'affaires accuse ses collègues et son supérieur hiérarchique d'avoir eu à son encontre des propos et des comportements «humiliants, dégradants et offensants». Selon lui, son homosexualité «explique la différence de traitement dont il s'estime victime en terme de rémunération par rapport aux autres salariés». Il affirme enfin avoir été contraint d'accepter un plan de départ volontaire en 2012. «Je suis très en colère et blessé par le traitement exécrable que vous m'avez infligé dans les dernières années et notamment en 2012», sont ses derniers mots adressés à BNP dans une enveloppe accompagnée de sa lettre de rupture du contrat de travail.

    Si le Conseil des prud'hommes l'a débouté, le Défenseur des droits a enquêté et constaté que «plusieurs éléments concordants montrent que M. Rombi a été victime d'un harcèlement discriminatoire motivé par son orientation sexuelle, lequel a abouti à sa marginalisation et a eu une incidence sur la façon dont sa rémunération a été décidée et l'a contraint à adhérer à un plan de départ volontaire».

    «BNP Paribas rembourse, au titre des frais «restaurant- employés», les consommations dans un club de strip-tease des Champs-Élysées.»

    Le Défenseur des droits a notamment pu consulter plusieurs mails destinés à Nicola Rombi. Le 18 juin 2009 par exemple, l'un de ses supérieurs lui écrit:

    «De quel sexe êtes-vous? Êtes-vous une femme ou un homme? Pour le savoir, regardez en bas! (...) Mais pas en bas de l'e-mail, andouille.»

    En 2010, William F., un collègue, envoie un mail à Nicola Rombi pour lui souhaiter «un joyeux anniversaire de la part de toute l'équipe».

    Le courrier comporte un montage photo avec un cliché de Rombi sur le visage d'un homme nu en caleçon, boulet au pied et accompagné d'une poupée gonflable. Toute l'équipe est en copie.

    D'autres mails consultés par le Défenseur des droits montrent que l'équipe de Nicola Rombi connaissait son orientation sexuelle et qu'elle s'en servait pour se moquer de lui.


    «Dans ces mails, on ne lui reproche pas explicitement d'être homosexuel, mais ce sont des allusions. Cela participe au climat sexiste et homophobe», précise auprès de BuzzFeed News l'avocate de Nicola Rombi, Maître Emmanuelle Boussard-Verrecchia.

    De simples «plaisanteries» pour la BNP

    Sollicitée par Jacques Toubon, la BNP balaie ces accusations en affirmant qu'elles ne sont «pas étayées par des éléments de faits laissant présumer l'existence d'un manquement de l'employeur». Pour la banque, il s'agissait simplement de «plaisanteries auxquelles M. Rombi aurait également participé». Problème: la BNP n'a pas été capable de prouver cela.

    «Pourtant, force est de constater que les courriels précités, étayés par plusieurs témoignages, sont des éléments de faits précis (...) qui laissent présumer l'existence d'un harcèlement discriminatoire», écrit le Défenseur des droits.

    «Le fait d'être homosexuel à BNP Paribas pouvait et peut encore se révéler très pénalisant.»

    L'une des collègues de Nicola Rombi, responsable au sein d'un département de la BNP, a témoigné auprès du Défenseur des droits:

    «Il (Nicola Rombi) est venu (me) parler début 2011 car il était très bouleversé de ce qui se passait autour de lui dans son équipe. À l'époque, Nicola Rombi m'a dit que l'un des analystes (...) était allé le voir pour l'informer du fait que William F. (un collègue) l'avait interrogé et voulait avoir la confirmation de son homosexualité.»

    Le 6 avril 2012, en plein litige sur le plan de départ volontaire, la médecine du travail relève que Nicolas Rombi est sujet à un fort stress et fait l'objet d'un suivi médical «suite aux décisions prises par la hiérarchie».

    Quand BNP louait des services de strip-tease

    Face aux justifications de la BNP qui nie toute discrimination, le Défenseur des droits estime dans sa décision que «les propos et remarques homophobes sont de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement». Il relève également qu'il faut ajouter à cela le fait que certains éléments «confortent les hommes hétérosexuels dans des postures sexistes» qui favorisent «un climat de travail hostile aux salariés homosexuels».

    Nicola Rombi a ainsi prouvé que BNP Paribas rembourse, au titre des frais «restaurant-employés», les consommations dans un club de strip-tease des Champs-Élysées et qu'il est arrivé qu'elle loue des services de strip-tease à l'occasion de pots de départ.

    Ci-dessous par exemple, la copie d'une demande de remboursement d'un collègue de Nicola Rombi. La personne a dépensé 240 euros au «Sport Bar», qui est en réalité le nom fiscal du célèbre «Hustler club». D'après l'avocate qui cite son client, «c'est une pratique courante» au sein de la BNP.



    Cette ambiance sexiste au sein de l'entreprise est également étayée par plusieurs mails que s'envoient certains collaborateurs. L'un daté de 2009 par exemple et intitulé «double rubber» pour «double préservatif», restitue un message pornographique laissé par une prostituée à un collaborateur de la banque.

    Être homo à la BNP «peut se révéler très pénalisant»

    Interrogée, la déléguée du personnel au siège social de la BNP, Elisabeth Assogba, va encore plus loin en affirmant que plusieurs salariés lui ont fait part «de propos dénigrant les homosexuels, de remarques déplacées et homophobes». Elle ajoute:

    «Le fait de ne pas être dans la norme, d'être homosexuel à BNP Paribas pouvait et peut encore se révéler très pénalisant, entraîner une mise à l'écart de l'intéressé.»

    En plus des remarques homophobes, Jacques Toubon estime que «ce harcèlement discriminatoire» a aussi eu pour incidence une baisse de la rémunération fixe et variable, «non justifiée par des éléments objectifs».

    En 2011 par exemple, Nicola Rombi accusait un retard sur son salaire annuel de 21% par rapport à celui d'un collègue exerçant les mêmes fonctions.

    Le Défenseur des droits a également constaté que ce harcèlement a vicié son consentement lorsqu'il a accepté le plan de départ volontaire.



    «Je suis très ému par cette décision»

    Contactée par BuzzFeed News, la BNP dit ne pas pouvoir s'exprimer sur cette affaire tant que la décision de la Cour d'appel n'a pas été rendue (le délibéré a lieu le 22 septembre). La banque a tenu à nous rappeler son engagement «très actif» pour lutter contre «toutes les discriminations». En plus de la charte signée en octobre dernier, le service communication rappelle que BNP a obtenu plusieurs récompenses pour son engagement pour la communauté LGBT. Elle a par exemple gagné le 2e prix de l'entreprise la plus inclusive pour cette communauté en 2015.

    BNP n'a pas souhaité nous confirmer si l'entreprise remboursait par exemple les consommations de ses employés dans des clubs de strip-tease ou si comme l'a déclaré une déléguée du personnel, il peut être «très pénalisant» d'être homosexuel et de travailler pour cette banque.

    Également joint par BuzzFeed News, Nicola Rombi ne préfère pas faire de pronostic sur la décision de la Cour d'appel mais se dit soulagé:

    «Je suis très ému par la décision du Défenseur des droits car cela fait quatre ans que je suis en procédure contre la BNP qui ne cesse de nier. À force, j'en venais à douter de la réalité de ce que j'avais subi.»

    Sollicité, le cabinet de Jacques Toubon a précisé ne pas pouvoir commenter une décision «pas encore rendue publique».

    Mise à jour le 22 septembre: BuzzFeed News a pu se procurer la décision de la cour d'appel rendue ce jeudi. Elle infirme le jugement en première instance, et condamne la BNP à verser à Nicola Rombi plus de 600.000 euros. Cela comprend des compensations pour ses rémunérations non perçues et des dommages et intérêts. M. Rombi devra, lui, rembourser environ 200.000 euros à la BNP car la somme correspond à ce qu'il a reçu dans le cadre de la «convention litigieuse».

    «Il ressort de ces éléments que seul ou avec d’autres, M. Rombi (a été) l’objet deremarques à caractère sexuel, qui, pour certaines, en toute certitude, le stigmatisent pour son orientation sexuelle», dit notamment la cour qui précise toutefois que l'orientation sexuelle de l'employé «n'a pas fait obstacle à sa promotion en qualité de "director"». Mais son homosexualité a représenté un obstacle pour percevoir ses bonus (rémunérations variables).

    «Je suis satisfait du délibéré et je remercie encore une fois le Défenseur des droits pour m'avoir soutenu. J'espère que cela aidera d'autres victimes à protester contre ce type d'abus. C'est bien que BNP Paribas signe la Charte d'engagement LGBT, il ne lui reste plus qu'à la respecter», réagit Nicola Rombi.