Aller directement au contenu

    Violences policières à Calais: le rapport qui accable le gouvernement

    Les violences contre les migrants ne cessent d'être dénoncées par les associations et institutions. Voici comment le gouvernement esquive toutes les accusations.

    (MàJ) Réaction de Jacques Toubon le 20/10

    Après les vives critiques exprimées par Bernard Cazeneuve sur le rapport de Jacques Toubon, le Défenseur des droits s'est défendu sur Europe 1 ce mardi. Ce dernier a notamment déclaré:

    «J'essaie de faire en sorte que la République tienne les promesses qu'elle a faites. Et pour l'instant, elle ne les tient pas pour tous, notamment pour les étrangers».

    Passage à tabac par des forces de l'ordre, attaques au gaz lacrymogène, destruction de matériel associatif, le rapport du Défenseur des droits sur la situation des exilés de Calais accable le gouvernement.

    Dans ces 85 pages publiées mardi dernier et intitulées «Exilés et droits fondamentaux : la situation sur le territoire de Calais», Jacques Toubon dénonce les conditions parfois déplorables des migrants et accorde une large place aux violences policières (à partir de la page 63...).

    Des migrants percutés par des voitures de police

    Grâce à de nombreux témoignages de membres d'associations et de médecins, des rencontres avec la préfecture et avec les forces de l'ordre, le Défenseur des droits a listé les violences policières auxquelles sont confrontés les exilés de Calais. Voici quelques exemples cités dans ce rapport:

    - Utilisation disproportionnée d'armes de force intermédiaires et de gaz lacrymogène
    - Harcèlement policier, violences verbales et abus de la force contre des migrants
    - Des migrants «percutés sur l'autoroute par des véhicules de police, leur occasionnant de graves blessures»
    - Des bénévoles victimes «d'actes de destruction par les forces de l'ordre d'appareils numériques ayant servi aux bénévoles à filmer les interventions de police, ou d'effacement des données enregistrées».

    Une vidéo mise en ligne en mai dernier par l'association Calais Migrant Solidarity illustre parfaitement le constat du Défenseur des droits. Elle montre des CRS brutaliser des migrants qui tentent de monter dans des camions.

    Voir cette vidéo sur YouTube

    youtube.com

    Le Défenseur reprend également les constatations de l'association Human Rights Watch qui relate dans un rapport publié en janvier, les abus décrits par les migrants. Izza Leghtas, chercheuse au sein de l'organisation, expliquait:

    «En novembre et décembre 2014, j'ai réalisé des entretiens longs avec quarante-quatre migrants dont trois mineurs. Dix-neuf m'ont déclaré avoir été maltraités au moins une fois par la police. Une maltraitance pouvant notamment signifier un passage à tabac. Huit avaient eu un membre cassé et vingt et un, dont deux enfants, avaient été aspergés de gaz».

    Aujourd'hui, un seul constat s'impose pour Jacques Toubon:

    «Le renforcement sans précédent du dispositif sécuritaire, s'il n'a aucun impact dissuasif sur la détermination des exilés à poursuivre leur parcours migratoire, emporte en revanche des violations multiples de leurs droits les plus essentiels, notamment du droit à la vie et à ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant».

    Les obstacles aux poursuites judiciaires de policiers

    Dans son rapport, Jacques Toubon ne peut que constater l'impunité des policiers coupables de violences. Parmi tous les membres d'associations que nous avons interrogés, aucun ne se souvient qu'un fonctionnaire de police mis en cause ait été condamné. Le Défenseur dresse la liste des obstacles aux poursuites judiciaires:

    - La grande mobilité des forces de l'ordre qui rend «souvent difficile, voire impossible», l'identification des fonctionnaires mis en cause;

    - la possibilité limitée pour les victimes de faire constater leurs blessures par un

    certificat médical à cause de difficultés d'accès à un médecin;

    - la méconnaissance de leurs droits par les migrants;

    - la banalisation des faits qu'ils subissent;

    Joint par BuzzFeed France, un membre de la plate-forme de service aux migrants (PSM) explique également que «rares sont les victimes qui osent porter plainte»:

    «Les personnes ont peur, elle ne veulent pas prendre le risque d'éventuelles représailles. Elles ont aussi connu de nombreuses violences lors de leur périple, pour elles, l'essentiel est de passer en Grande Bretagne».

    Et les représailles policières ne semblent pas rester au stade d'une simple frayeur. Clémence Gautier-Pongelard, juriste pour la PSM racontait au Monde cet épisode:

    «Il y a quelque temps, après des violences contre des migrants, une main courante a par miracle été acceptée, ce qui n'est pas souvent le cas. Mais, en représailles, les forces de l'ordre ont bloqué le parking proche de cette jungle et les passages pour la Grande-Bretagne ont été impossibles durant quelque temps».

    Une absence de collaboration judiciaire «exceptionnelle»

    En plus de ces freins, le Défenseur des droits dénonce l'absence de collaboration du parquet (soumis hiérarchiquement à la ministre de la Justice Christiane Taubira). Dans les rares cas où la justice ouvre une enquête, le Défenseur évoques les multiples relances nécessaires pour qu'on lui transmette les procédures. Le parquet refuse parfois de communiquer ou reste injoignable par téléphone. Joint par BuzzFeed France, ce dernier n'a pas donné suite à nos appels.

    Pour une affaire de violences policières datant de juillet 2014 par exemple, le cabinet de Jacques Toubon a dû relancer deux fois le parquet avant d'obtenir une réponse, presque un an plus tard –à savoir dans le cas-précis, un classement sans suite.

    Contacté, le cabinet du Défenseur des droits précise à BuzzFeed:

    «Cette situation d'absence de transmission du parquet est exceptionnelle. Car sur d'autres sujets traités par le Défenseur des droits, la communication avec la justice est parfaitement fluide. Là, il y a beaucoup d'obstacles».

    Le gouvernement discrédite les ONG pour se défendre

    En plus des obstacles judiciaires, le gouvernement reste tout aussi muet sur la question. Interrogé à plusieurs reprises par BuzzFeed France sur les violences policières et plus précisément sur ce rapport, le cabinet du ministre de l'Intérieur Barnard Cazeneuve n'a pas souhaité nous répondre. Le responsable presse de Christiane Taubira a lui, justifié ainsi son silence:

    «Le ministère de la Justice ne s'exprime pas sur les affaires en cours. Je vous rappelle également que la ministre a fait inscrire dans la loi l'interdiction pour un garde des Sceaux d'intervenir dans les affaires individuelles en donnant des instructions.»

    Lorsqu'il s'est exprimé par le passé, le ministère de l'Intérieur a systématiquement balayé les accusations en défendant le travail des forces de l'ordre. En janvier dernier par exemple, après les graves accusations de Human Rights Watch, Bernard Cazeneuve avait publié un communiqué pour remettre en cause le sérieux des ONG:

    «Bernard Cazeneuve regrette que l'association Human Rights Watch n'ait pas pris la peine de vérifier les allégations de violences policières dont elle fait état dans un document diffusé aujourd'hui. La gravité des accusations publiques contre les forces de l'ordre formulées dans ce document aurait dû conduire l'association à entendre les responsables de la police sur des faits précis ou à saisir les services compétents».

    De son côté, le préfet du département du Pas-de-Calais avait «nié tout usage injustifié de la force par la police à l'encontre des migrants à Calais».

    Interrogée par BuzzFeed, Violaine Carrère, chargée d'études pour le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti) s'agace de ces réactions:

    «Je veux bien qu'on laisse entendre que les associations humanitaires mentent, mais là, cet argument n'est plus crédible. Ce sont des associations reconnues, et le travail des journalistes, du Défenseur des droits et l'existence de nombreuses vidéos attestent nos dires. Les violences policières sont extrêmement nombreuses et rien n'a changé depuis 2012».

    Également épinglé en 2012 par l'ancien Défenseur des droits Dominique Baudis, le ministère de l'Intérieur de Manuel Valls utilisait les mêmes méthodes:

    Face à ces arguments, le Défenseur des droits défend les méthodes de son institution en rappelant que son travail résulte «de nombreuses investigations, notamment l'audition de nombreux fonctionnaires de police, ainsi que l'exploitation de nombreux supports vidéo». Et cite un rapport du Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe qui déplore également l'inaction du gouvernement Valls.

    «Le moment n'est pas venu d'utiliser l'arme nucléaire»

    Malgré le silence ou les accusations du gouvernement, Jacques Toubon prévient qu'il se réserve «la possibilité de transmettre toute recommandation individuelle au ministère de l'Intérieur: une demande de rappel de ses obligations déontologiques à l'agent de sécurité concerné» et «une demande de sanctions disciplinaires à son encontre».

    En attendant, Jacques Toubon a demandé au ministre de l'Intérieur que les règles d'utilisation du gaz lacrymogène soient rappelées aux force de l'ordre et que l'ensemble des effectifs soient équipés de «caméras-piétons» pour «prévenir tout comportement déviant».

    Contacté, un proche du Défenseur précise à BuzzFeed France:

    «Le cabinet de Jacques Toubon n'a toujours pas eu de retours des différents ministères depuis la publicité du rapport, mais cela devrait arriver. Le Défenseur pourra en effet livrer des injonctions (courriers plus secs aux ministères), mais il n'en est pas encore là. Le moment n'est pas encore venu d'utiliser l'arme nucléaire».

    Réaction de Bernard Cazeneuve

    Comme l'a révélé le site AEF, Bernard Cazeneuve a vivement répondu au rapport du Défenseur des droits par courrier mercredi. Il évoque notamment un rapport qui ne récuse pas «les caricatures et les simplismes».

    Calais: la charge de Bernard Cazeneuve contre le rapport du Défenseur des droits http://t.co/umrZAdVb25 #abonnés

    Suivez-nous aussi sur Facebook et Twitter: