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    Marche de la dignité: «Nous n'accepterons plus les crimes policiers»

    «On ne doit plus et on ne veut plus avoir peur de la police», demande Amal Bentounsi, l'initiatrice de cette marche.

    Cette «marche de la dignité et contre le racisme» organisée à Paris samedi repose sur une douleur: celle partagée par plusieurs familles qui ont en commun d'avoir perdu un de leur proche, tué par des membres des forces de l'ordre. Dix ans après la mort de Zyed et Bouna et la révolte dans de nombreux quartiers, cette marche voulait aussi rappeler «la dignité inhérente à tous et le refus d'être "une chose"», expliquent ses organisatrices.

    C'est Amal Bentounsi qui a eu l'idée de lancer ce mouvement pour susciter «une véritable prise de conscience politique». Fondatrice du collectif «Urgence notre police assassine», cette militante se bat contre les violences policières depuis la mort de son frère en 2012.

    «Depuis qu'il est mort je ne veux plus fermer les yeux»

    En fuite, Amine Bentounsi avait été tué par un policier un soir d'avril à Noisy-le-Sec en Seine-Saint-Denis. Alors que l'agent affirmait avoir ouvert le feu pour se défendre, l'autopsie a contredit sa version en révélant que le jeune homme avait succombé à un projectile tiré dans le dos.

    Cette lutte, c'est un «moyen de ne plus fermer les yeux», explique Amal Bentounsi à BuzzFeed France:

    «Lorsque mon frère avait des problèmes avec la police, j'avais beaucoup de mal à le croire, quand il me racontait par exemple qu'on le tabassait dans les commissariats. Pour moi, la police nous protégeait. Je me dis que je ne l'ai pas écouté à temps, mais depuis qu'il est mort je ne veux plus fermer les yeux».

    Après la mort de son frère, Amal Bentounsi a donc décidé de fonder un collectif et d'aider les familles de victimes «à se défendre et à tout faire pour que les crimes ne restent plus impunis». Seule dans son collectif au début, elle compte maintenant sur d'autres familles pour l'aider dans son «combat».

    D'après le collectif, qui recense «toutes les victimes de violences policières» depuis 2005*, il y a environ «15 personnes tuées par la police chaque année». Un chiffre contesté par les autorités, notamment parce que de nombreuses procédures de l'inspection des polices sont toujours en cours.

    Les blessés sont en tout cas multiples. Le 14 juillet dernier par exemple, trois garçons (Amine 14 ans, Bakary 16 ans et Tarik 26 ans) ont dit avoir été blessés par des tirs de Flashball ou de LBD40 alors que les règles qui interdisent de tirer au visage ou sur les parties intimes n'avaient pas été respectées.

    Le 16 octobre dernier, une vidéo amateure a montré deux policiers de la BAC frapper un homme menotté avant de le traîner à terre. Les deux agents sont également accusés d'avoir menti dans le P.V d'interpellation.

    Enfin, plusieurs associations et institutions condamnent les actions de la police. Un document publié en 2011 par Amnesty International dénonçait «des policiers au-dessus des lois», et le rapport publié le mois dernier par le Défenseur des droits fustigeait, lui, les violences policières contre les exilés de Calais.

    Avec d'autres membres du collectif, Amal Bentounsi tient une veille sur tous ces cas de violences et les recense sur son site:

    «Lorsqu'une famille est confrontée aux violences policières, on lui explique que nous sommes dans un État de droit et que la justice est impartiale. En réalité, les dossiers traînent ou sont classés sans suite. Notre rôle, c'est d'accompagner ces familles, de leur dire qu'elles peuvent se porter partie civile pour avoir accès au dossier, prendre un avocat...»

    Et d'ajouter:

    «On a toujours l'impression que ces violences sont des faits-divers ou des bavures. Or cela illustre une violence systémique que l'on doit combattre. Le but de cette marche de la dignité c'est aussi de dire que nous nous laisserons plus faire. Nous n'accepterons plus, ni les crimes policiers, ni le racisme, le sexisme, la négrophobie ou l'islamophobie. On ne doit plus et on ne veut plus avoir peur de la police.»

    Cette marche entre Barbès (18e arrondissement) et la place de la Bastille visait aussi à renouveler le genre en matière de lutte pour l'égalité. Et à désavouer quelques associations célèbres à l'instar de SOS Racisme (qui a selon le collectif dû faire machine arrière après avoir défendu la thèse religieuse dans l'affaire du maillot de bain de Reims) ou de la Licra (dont le président est accusé d'avoir minimisé les propos tenus par Nadine Morano sur la «race blanche»).

    Le @partisocialiste, la Licra , SOS Racisme On oublie pas, on pardonne pas #MarcheDeLaDignite

    Des soutiens et des slogans critiqués

    Sur le site «Urgence notre police assassine», la marche affichait des centaines de signatures (Rokhaya Diallo, Angela Davis, le groupe de rap IAM) des partis de gauche (EELV, le NPA, le Front de gauche, à l'exception du PS) et quelques soutiens controversés comme le Parti des indigènes de la République ou l'universitaire Tariq Ramadan. De nombreux internautes ont également dénoncé la présence de drapeaux palestiniens ou de banderoles appelant au boycott d'Israël.

    Amal Bentounsi se défend:

    «Certains voudraient nous discréditer en nous attaquant sur nos soutiens, c'est trop facile. Depuis le début, personne n'a censuré notre collectif, personne n'a voulu nous imposer ses idées, ce sont des soutiens et seulement des soutiens. On sait ce que l'on a vécu, on sait quel est notre combat, c'est ça l'essentiel. Mais à ceux qui nous critiquent, je leur pose une question: qu'est ce que vous avez à proposer de mieux?»

    Après avoir été des milliers (entre 3500 selon la police et 10.000 selon les organisateurs) à défiler samedi pour cette «marche de la dignité», Amal Bentounsi «promet de ne pas lâcher ce combat»:

    «Nous voulons qu'il y ait une véritable volonté politique, de droite ou de gauche, pour faire changer les choses. On a réussi à faire en sorte que des migrants rejetés deviennent des réfugiés, nous réussirons à bannir ces violences. Dans 10, 20 ou 30 ans, je ne veux plus de crimes policiers».

    *Précision sur le recensement des victimes par «Urgence notre police assassine»

    Dans son tableau des victimes de violences policières, le collectif retient Bertrand Nzohabonayo qui avait agressé trois policiers au couteau devant le commissariat de Joué-lès-Tours avant d'être tué de plusieurs balles par les forces de l'ordre le 20 décembre dernier. Ce choix est très critiqué notamment parce qu'une enquête ouverte par le parquet antiterroriste est toujours en cours.

    Le collectif se défend en précisant «qu'il y a eu beaucoup de mensonges dans ce dossier» et qu'«aucune preuve aujourd'hui n'existe pour dire que Bertrand a commis une attaque terroriste». Dans ce dossier, la famille de Bertrand Nzohabonayo conteste toujours la «version terroriste» et quelques témoignages avaient contredit la version du parquet.

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