Aller directement au contenu

    Charlie Hebdo: deux «experts» condamnés pour avoir diffusé l'identité des Kouachi

    Jean-Paul Ney et Pierre Martinet ont été jugés pour avoir diffusé l'identité des frères Kouachi. Ils ont été condamnés jeudi.


    Mise à jour le 12 octobre: Pierre Martinet et Jean-paul Ney ont été condamnés à une amende de 3000 euros par le tribunal correctionnel de Paris ce mercredi, pour avoir diffusé les identités des auteurs de l'attentat contre Charlie Hebdo, lors de leur fuite en janvier 2015. Ils ont été déclarés coupables de recel de violation du secret de l'enquête. Les policières poursuivies pour l'envoi de ce cliché ont été relaxées.


    De l'aveu même du parquet, il est plutôt rare que des consultants ou journalistes soient poursuivis pour avoir diffusé des informations. Mais le procureur de la République, François Molins, n'avait pas accepté que la révélation de l'identité des frères Kouachi, le 7 janvier 2015, fasse «disparaître tout espoir de surprise» dans la traque des terroristes de Charlie Hebdo.

    «On vous tient enfants de putains»

    Mercredi 6 juillet, devant la XVIIe chambre du palais de justice de Paris, ce sont deux «experts», pour le moins controversés, qui ont été jugés pour «recel de violation du secret professionnel». Pierre Martinet, ancien de la DGSE reconverti dans la sécurité privée et Jean-Paul Ney, reporter aujourd'hui indépendant, surtout connu pour ses sorties virulentes sur les réseaux sociaux.

    Quelques minutes après la tuerie à Charlie Hebdo, à 12h10, la police récupère la voiture des terroristes dans laquelle est retrouvée la carte d'identité de Saïd Kouachi. À 13h47, la photo de cette carte est diffusée au sein de la brigade criminelle, puis au sein de la police en général tout au long de la journée. À 20h22, le site complotiste Wikistrike (qui ne sera pas inquiété par la justice) la publie.

    Jean-Paul Ney la diffuse sur Twitter à 20h42. Il publie un document interne à la brigade criminelle (la diffusion nationale d'urgence) accompagné de la photo de la carte d'identité et de ce message: «On vous tiens enfants de putains» (sic). En plus de l’identité des Kouachi (alors recherchés par la police), il divulgue le nom de Mourad H., 18 ans, qui sera pendant 24h accusé à tort d’être complice des terroristes.

    Quatre minutes après, et alors que les autorités ont attendu trois heures du matin pour lancer un appel à témoin, Pierre Martinet poste à son tour ces documents de l'enquête sur sa page Facebook.

    «Je voyais que d'autres diffusaient, donc je rediffuse»

    Devant les juges, Pierre Martinet n'est plus vraiment cet «expert chevronné», ancien des renseignements que l'on pouvait voir sur de nombreuses chaînes d'info. Il assure ne pas avoir eu ces documents de policiers: «Je les ai publiés car ils étaient déjà sur les réseaux sociaux.» Devant les enquêteurs, il s'est même défaussé sur Jean-Paul Ney qui lui aurait «fourni ces documents». Pour sa défense, il affirme aussi ne pas vérifier toutes les informations qu'il diffuse:

    «Dès l'instant où c'est sur les réseaux, je rediffuse. Je n'ai pas pensé à l'exactitude des documents, je voyais que d'autres personnes diffusaient, donc je rediffuse. (...) Je ne suis pas journaliste ni consultant, les médias demandent juste mon expertise (...) Si j’avais eu les documents en off par une source policière, je ne les aurais jamais diffusés.»

    La juge rappelle, réquisitions téléphoniques à l'appui, que ce 7 janvier, beaucoup de médias sollicitaient pourtant l'expertise de Martinet: «On a vu que vous étiez en contact avec beaucoup d'organes de presse, l'AFP, etc.»

    Mais si Pierre Martinet assure s'être contenté de relayer les identités des terroristes, l'enquête montre qu'il a échangé à 53 reprises via son téléphone avec une fonctionnaire de police de Marseille. Également poursuivie pour violation du secret de l'enquête, Stéphanie D, cette jeune admiratrice des écrits de Pierre Martinet, a nié devant le tribunal avoir envoyé les identités des Kouachi. Deux MMS provenant de son portable ont toutefois été envoyés quelques minutes avant le post Facebook de Martinet. Corinne O., une autre policière de Brest, est également poursuivie et a admis devant les juges avoir envoyé des documents au consultant «seulement pour demander confirmation». «Faut les flinguer», avait alors répondu l'ex-agent après avoir reçu les noms des terroristes.

    «Je suis journaliste, pas blogueur, pas buzzeur»

    À la barre, Jean-Paul Ney tient un discours bien différent pour montrer qu'il est «un maillon essentiel du système démocratique». Il se vante de travailler pour de nombreux médias, d'enseigner dans des écoles de journalisme et d'avoir «20 ans de travail intense, sur le terrain»: «Je suis journaliste, pas blogueur, pas buzzeur.» Les yeux tournés vers le banc des journalistes, il nous lance:

    «La première mission, c’est de vérifier ses informations, mais pas en allant sur Wikipédia et BuzzFeed. Mon métier, c’est pas de faire un RT et de faire le buzz. Non, moi je contacte. 20 ans de terrain.»

    Ce reporter, dont le parcours professionnel est régulièrement remis en cause, est aujourd'hui boudé par la plupart des médias à l'exception d'i24News. La juge liste sont casier judiciaire plutôt chargé:

    • Vol avec violence sans ITT en 2000: 120 heures de travaux d'intérêt général)
    • Menaces de mort réitérées en 2004: 1 an de sursis, mise à l'épreuve et injonction de soins psychologiques
    • Vol et appropriation d'un secret de défense nationale (pour un article): 1 an et 3 mois de sursis avec mise à l'épreuve
    • Diffamation contre un particulier en 2008: 5000 euros d'amende

    Devant le tribunal, Jean-Paul Ney assume avoir diffusé ces informations qui auraient selon lui «permis de neutraliser les terroristes». «Je ne donnerai jamais le nom de mes sources, je suis prêt à aller très loin pour ça, à mentir –mais je ne le ferai pas», ajoute-t-il en expliquant avoir «publié l'info après l'avoir vérifiée et obtenu trois feux verts (de ses sources)». Et d'ajouter, quitte à froisser encore davantage la procureure déjà très agacée:

    «Le fameux journaliste qui a divulgué la photo d'Abdelhakim Dekhar, (le tireur de Libération), c'est moi. J'ai forcé le parquet à faire un appel à témoin et ils ont pu l'interpeller (...) Grâce à cela, il y aura un procès. Vous voyez, le maillon démocratique ? C’est ça.»

    Parce qu'il est journaliste, le parquet n'a pas tenté de chercher les sources de Jean-Paul Ney et l'a seulement auditionné. «Il a décidé de diffuser des pièces policières, c'est son choix, mais il doit assumer la responsabilité aujourd'hui», a-t-elle considéré en rappelant que, se sachant recherchés, les Kouachi auraient pu mener des actions encore plus graves pendant leur cavale.

    Mise en danger d'un individu

    Le parquet s'appuie sur l'article 10 de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui précise que la liberté de la presse peut être soumise à «certaines formalités, conditions ou restrictions» notamment pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles lorsqu'elles mettent en jeu la défense nationale.

    Dans son réquisitoire, la procureure rappelle que l'identité d'un innocent à l'époque (Mourad H.) avait également été diffusée et que «certaines personnes auraient pu avoir la même idée que Pierre Martinet», c'est-à-dire de le «flinguer». Elle recadre Jean-Paul Ney après avoir promis de «rester calme»:

    «Je pense qu'il faudrait être moins donneur de leçon ou expliquer comment le parquet devrait communiquer et les enquêteurs faire leur enquête. Et parfois, il faudrait savoir rester chacun dans son rôle (...)

    M. Jean-Paul Ney nous parle de la protection personnelle dont il a fait l'objet (il a assuré devant les juges avoir eu une protection rapprochée après avoir été menacé, ndlr), il a donc une petite idée de l'aspect dangereux des terroristes. Mais dans ce cas précis, ce n'est plus grave, il considère pouvoir diffuser ces informations même si cela met en danger d'autres personnes.»

    Le syndicat Alliance a reconnu être l'auteur de fuites

    Les conseils des deux policières et des deux «experts» ont tous plaidé la relaxe. «Il n’y a qu’une seule violation du secret professionnel, c’est celle commise par les policiers de la brigade criminelle», estime l'avocat de Pierre Martinet interrogé par le site Épris de justice. Celui de Jean-Paul Ney affirme que les autorités ont perdu le contrôle de la diffusion des informations ce 7 janvier et met en avant les principes régissant la liberté de la presse.

    La procureure requiert 3000 euros d'amende pour les deux «experts». Deux mois de sursis sans inscription au casier judiciaire B2, contre les deux policières.

    Si ces deux fonctionnaires sont poursuivies, le parquet a reconnu ne pas avoir pu identifier le premier auteur de ces fuites. Mais de nombreux témoignages de policiers ont montré que les éléments secrets de l'enquête Charlie Hebdo avaient largement fuité au sein de toute la police. «Ça circulait sur tous les téléphones des policiers et on les recevait soit de nos syndicats, soit de collègues», a témoigné un agent devant l'IGPN.

    L'enquête a effectivement permis de souligner la responsabilité du syndicat de police Alliance (dont certains membres ont été entendus par l'IGPN) qui aurait largement violé le secret de l'enquête. «Ils se sont embrouillés dans leurs explications, mais ils n'ont pas contesté avoir envoyé "pour rendre service" les identités des terroristes», a rappelé la juge. La décision sera rendue le 12 octobre 2016.