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    Refus des banques de prêter au FN pour raison politique? L'intox frontiste

    Des cadres du parti, dont Marion Maréchal-Le Pen, assurent que les banques refusent de financer la campagne présidentielle du FN pour des motifs politiques. Une thèse que dément... le trésorier du FN.

    À Fréjus. Lorsqu'on demande à des cadres du parti pourquoi le FN souhaite à nouveau emprunter de l'argent à l'étranger, l'argument est «évident»: toutes les banques françaises refuseraient d'accorder un prêt pour financer la campagne présidentielle de Marine Le Pen. Le montant recherché s'élève à plus de 23 millions d’euros, dont 12 millions pour la présidentielle et le reste pour les élections législatives, révélait Mediapart.

    «Il y a un motif politique derrière cela»

    Mais en plus de constater ce refus, certains cadres du FN entonnent une petite chanson aux allures complotistes. Les banques françaises motiveraient leur refus pour des raisons politiques. «C'est pas impossible. On sait les liens qui existent entre la finance et la classe politique», remarque le secrétaire général du FN, Nicolas Bay, rencontré aux estivales du parti qui ont eu lieu ce week-end à Fréjus. Interrogée sur France Info, Marion Maréchal-Le Pen est encore plus catégorique:

    «C'est quand même particulièrement inquiétant. Je crois pas que ce soit l'inquiétude de ne pas être remboursées puisque nous avons quand même la garantie, je l'espère, de faire 5%. Donc manifestement, il y a un motif politique derrière cela. Aucune banque française n'a voulu jusqu'ici, financer la campagne présidentielle de Marine Le Pen. Ce qui pose un gros problème de respect démocratique.»

    À ces motifs politiques s'ajouteraient même des pressions de l'État sur la recherche de financements à l'étranger. «Si nous n’avions pas le sabotage de l’État français, ce serait déjà fait», accuse Bernard Monot, «stratégiste économique» de Marine Le Pen, interrogé par Mediapart. «L’État français joue un rôle déplorable. Nos intermédiaires nous disent "nos contacts ont reçu des pressions"», ajoute-t-il, malgré le démenti catégorique de l'Elysée.

    Banques et pouvoir se sont-ils alors ligués contre le parti d'extrême droite pour les contraindre à renoncer à un prêt bancaire? Quatre banques contactées par BuzzFeed News ont refusé d'aborder cette question. «La loi interdit aux banques de faire un commentaire sur ses clients ou prospects», répond BNP Paribas.

    L'intox du FN démontée... par le trésorier du FN

    Étonnamment, c'est le trésorier du Front national lui-même, également interrogé à Fréjus par BuzzFeed News, qui démonte les propos de son propre parti. «Les motifs des refus ne sont pas politiques, c'est surtout à cause du scandale des comptes de l'UMP», affirme Wallerand de Saint-Just, qui ajoute même qu'évoquer une «intervention de l'État» est une «accusation absurde»:

    «En revanche, je considère que les banques ont un rôle démocratique et doivent prêter de l'argent aux partis pour financer leur campagne. Si jamais elles financent d'autres partis, nous les dénoncerons publiquement.»

    Une directive après le scandale financier de l'UMP

    En mai dernier, le FN avait envoyé des courriers aux établissements bancaires français rapportait Europe1. Le parti avait aussi alerté la Fédération bancaire française (FBF) présidée par Frédéric Oudéa, par ailleurs PDG de la Société Générale, qui avait prêté 4 millions d'euros au FN pour les dernières élections.

    Joint par BuzzFeed News, un collaborateur de Frédéric Oudéa, qui souhaite rester anonyme n'étant pas autorisé à parler à la presse, nuance sérieusement les accusations du FN. «Marine Le Pen nous a envoyé un courrier pour que la FBF intervienne auprès des banques. C'est quelque chose que nous ne pouvons absolument pas faire», explique-t-il:

    «Le refus des banques de leur accorder un prêt ne s'appuie pas sur des raisons politiques, ce n'est pas désigné contre le FN. C'est simplement parce que les banques sont aujourd'hui soumises à une régulation accrue s'agissant des prêts à des personnes politiques.»

    Pour financer une campagne électorale, la commission exige que le candidat ouvre un compte à son nom ou au nom de son micro-parti (en l'occurence «Jeanne», pour Marine Le Pen), et l'autorise à recevoir dons ou prêts bancaires notamment.

    Or plusieurs directives renforcent les règles pour permettre aux banques de prêter de l'argent à ce que l'on appelle les personnalités politiques exposées (PPE). Les banques doivent entre autres mettre en place des contrôles particuliers pour ces PPE. Et ces règles, comme l'expliquait le Figaro, ont été encore renforcées après le scandale financier de l'UMP (l'affaire Bygmalion et les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy retoqués) et après le scandale Cahuzac. Depuis peu, le Code Monétaire et Financier oblige les établissements financiers à une plus grande vigilance, notamment sur les demandes de prêt des PPE françaises.

    Des soupçons sur le FN qui peuvent refroidir

    Par ailleurs, si les cadres du FN accusent l'Etat et les banques, ils oublient de rappeler les multiples enquêtes judiciaires qui pèsent sur des dirigeants du parti et qui peuvent refroidir certains prêteurs. Outre les nombreuses investigations financières portant sur les comptes de Jean-Marie Le Pen, le parquet de Paris a ouvert en avril une information judiciaire contre X pour «escroquerie en bande organisée» et «faux et usage de faux», visant les comptes de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen.

    Il y a quelques jours aussi, le Parlement européen a réclamé au parti européen fondé par Marine Le Pen le remboursement de plus de 500.000 euros de subventions. Cela faisait suite à une enquête sur le travail d'assistants parlementaires d'eurodéputés FN.

    Ces éléments peuvent aussi peser sur le refus des banques, selon un autre membre de la fédération bancaire qui précise qu'«il n'y a pas que l'équilibre des comptes qui est important, il y a d'autres critères d'appréciation». «Je ne peux pas dire les noms, mais il y a d'ailleurs d'autres partis qui essuient de nombreux refus de financement des banques», ajoute ce membre de la FBF.

    Pas de réponse positive pour EELV pour l'instant

    Si EELV ne fait pas la publicité de ses refus comme le FN, le parti, très endetté (à hauteur de 5,4 millions d'euros), ne sait toujours pas comment trouver le million d'euros dont il a besoin pour les élections législatives: «Pour l'instant, nous n'avons aucune réponse positive, mais nous cherchons d'autres solutions au-cas où on nous refuserait de l'argent», explique son trésorier Thierry Brochot.

    Le trésorier du PS, Jean-François Debat, dénonce la «victimisation habituelle du FN». «Leur problème de financement, c'est du pipeau. En réalité, ils cherchent à se couvrir car ils se financent à l'étranger et qu'ils ont vu les polémiques qu'ont suscitées leur prêt russe», accuse-t-il, avant de préciser que le PS ne devrait pas avoir de difficultés particulières. «Nous avons une cagnotte du parti et les garanties suffisantes pour obtenir un prêt».

    Côté FN, Marine Le Pen compte donc sur un prêt bancaire français ou étranger. Mais aussi sur Cotelec, l'association de financement de Jean-Marie Le Pen, comme l'a révélé Le Parisien. D'après nos informations, le FN n'exclut pas non plus la mise en place des fameux kits de campagne, qui intéressent pourtant la justice, pour les prochaines législatives.