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    Comment fachosphère et complosphère tentent de noyauter «Nuit Debout»

    Parallèlement au mouvement «Nuit Debout» installé place de la République, certains médias proches de la sphère conspirationniste ou d'extrême droite tentent d'en profiter.

    Il est environ minuit ce jeudi 14 avril, lorsque le mouvement «Nuit Debout», place de la République à Paris, décide de couper la sono sur ordre de la préfecture. Mais juste avant de mettre fin à cette A.G, une dernière personne prend le micro. Pas pour lancer un nouveau débat ou pour parler de l'avenir du mouvement, mais pour faire sa promo:

    «Je vous invite à aller sur le site le Cercle des volontaires

    Les participants qui se sont déjà levés pour «trier les déchets», ou pour finir leur bière plus loin, n'ont pas vraiment réagi au profil de cet intervenant ou du site promu. Et pourtant, cela n'aurait assurément pas plu à la majorité de la place plutôt éloignée de la «complosphère» ou de la «fachosphère».

    Interview de Finkielkraut au Cercle des volontaires

    La présence du Cercle des volontaires, un «média non-partisan et résistant face au système» qui prône la «Réinformation» — ce concept chéri des conspirationnistes et théorisé par l'ex-FN Jean-Yves Le Gallou — a de quoi étonner au regard de son profil complotiste.

    Le site a également décidé de couvrir le mouvement «Nuit Debout» et a même réussi un joli coup samedi, lorsqu'il a capté la réaction d'Alain Finkielkraut juste après son expulsion de la place. Alors que les médias traditionnels ont pour habitude de ne pas reprendre le contenu de ce genre de sites, cette vidéo a largement été reprise et a été vue plus de 300.000 fois.

    Voir cette vidéo sur YouTube

    youtube.com

    Mais si le Cercle des volontaires a été plusieurs fois épinglé pour sa proximité avec l'extrême droite, ses dirigeants jurent être apolitiques. Pourtant, ils n'ont pas hésité à participer à la manifestation «Jour de colère» (notamment connue pour ses slogans antisémites) ou à relayer des clichés de la fameuse quenelle popularisée par Dieudonné. Après publication de cet article, Raphaël Berland, président de l’association du Cercle des volontaires, a dit à BuzzFeed News que le Cercle des volontaires n’a pas participé mais couvert «Jour de colère».

    #nuitdebout un type en AG"sinon je suis journaliste en ce moment au cercle des volontaires un média discrédité." et là ça coupe #tvdebout

    Joint par BuzzFeed News, Raphaël Berland avait d'abord accepté de nous accorder une interview pour expliquer sa stratégie s'agissant de «Nuit Debout». Après l'avoir déplacée à plusieurs reprises, il nous a finalement envoyé un SMS ce jeudi:

    «Excusez-moi, suite à l'agression de notre équipe hier soir place de la République, je vais devoir annuler ou décaler notre échange le temps de faire la lumière sur ces faits.»

    Des sympathisants de Soral s'incrustent à Lyon

    Parmi les médias d'extrême droite, Égalité et Réconciliation, autre site bien connu du milieu, a également approché le mouvement «Nuit Debout». Selon le site antifasciste Rebellyon.info, des membres du mouvement d'Alain Soral ont passé une vingtaine de minutes à «Nuit Debout Lyon» vendredi soir avant d'être expulsés.

    Depuis le début du lancement de ces débats nocturnes, plusieurs infiltrations de la fachosphère ou de certains complotistes ont donc eu lieu. Sylvain Baron, un célèbre «conspi», a par exemple réussi à prendre la parole en A.G pour livrer sa stratégie afin de «faire chuter un gouvernement».

    Le 2 avril dernier à Paris, il a en effet pu s'exprimer devant les «nuitdeboutistes» et proposer de rendre visite aux principaux médias, à commencer par Radio France. Ce bon coup est d'ailleurs relayé par MetaTv (une chaîne d'info issue du Cercle des volontaires), un site qui l'a interviewé le 19 avril pour évoquer le mouvement social.

    Problème: ce militant souverainiste bordelais adepte du décrochage de drapeau européen est notamment connu pour avoir empêché la destruction d'une église du 15e arrondissement de Paris accompagné du gratin intégriste et islamophobe français.

    Régulièrement interrogé par le Cercle des volontaires ou par l'agence Info Libre (un autre média conspi qui suit aussi de près «Nuit Debout» et qui relaie des appels à manifester), ce militant était aussi membre du «Mouvement du 14 Juillet», toujours proche de l'extrême droite et qui ambitionnait de prendre l'Élysée.

    Enfin, selon un journaliste de Street Press, les Citoyens Constituants avaient installé un stand depuis le début de la mobilisation. Cette association est également accusée d'être liée à différents mouvements complotistes.

    Russia Today «remercié» par des étudiants de Paris 8

    Du côté de certains sites dits d'information non complotistes, mais également accusés d'accointance avec l'extrême droite, il y a le site internet Russia Today qui, dans sa version française, a aussi décidé d'accorder une large place à ce nouveau mouvement.

    Ce site d'info dont l'État russe est propriétaire, couvre au plus près les manifestations contre la loi Travail jusqu'à obliger les médias traditionnels à reprendre ses images. Au sein des reporters tout terrain de cette rédaction, on trouve notamment un certain Jonathan Moadab... ex-animateur du site le Cercle des volontaires.

    Joint par BuzzFeed, l'un des journalistes de Russia Today dément ce passé conspirationniste. Pourtant, les archives sur le Cercle des volontaires avec tous les anciens articles de ce journaliste, sont encore en ligne. Mais Russia Today nous l'assure, il n'y a pas d'agenda dans la couverture de ce mouvement social.

    «Nous n'avons pas de consigne particulière émanant de Vladimir Poutine. Nous faisons généralement des Periscope, et au sein des cortèges, lorsque cela nous est possible, nous demandons aux personnes participant à l'évènement la raison de leur présence», explique le journaliste. Et d'ajouter:

    «Par exemple, lors d'une manifestation sauvage, un étudiant de Paris 8 a été interpellé par la police... J'ai fourni mes images à ses soutiens qui m'ont remercié, m'assurant que cela allait les aider à organiser sa défense.»

    «Accepte-on de donner la parole aux fascistes?»

    Mais la présence de ce média dans les cortèges parisiens en agace certains. Le 14 avril dernier par exemple, l’un des journalistes de la chaîne a été pris à partie par plusieurs manifestants qui ont diffusé sa photo sur les réseaux sociaux afin de l’empêcher de filmer le rassemblement.

    Russia Today a d'ailleurs porté plainte et a même accusé le journal Libération d'être en partie responsable de ce «lynchage» en ayant qualifié ce site de «média préféré de la "fachosphère"». Malgré le portrait très étayé du quotidien, la chaîne dément toute proximité avec l'extrême droite.

    Cette présence des complotistes et des personnes ou groupuscules proches de l'extrême droite est un casse-tête pour le mouvement «Nuit Debout». Car si la majorité se présente comme étant apolitique, elle prône, dans ses combats, des valeurs clairement situées à gauche de l'échiquier politique.

    Alors faut-il laisser s'exprimer des personnes issues des milieux radicaux ou conspirationnistes? L'A.G place de la République débat souvent de la question qui a pris encore plus d'importance samedi avec l'épisode Finkielkraut.

    L'AG débat de savoir jusqu'où le mvt #NuitDebout peut inclure "Accepte-t-on que des fascistes prennent la parole?"

    Des consignes données aux organisateurs de «Nuit Debout»

    Le 13 avril dernier par exemple, certains participants exigeaient de refuser la parole «aux fascistes». Immédiatement, d'autres ont insisté sur l'aspect inclusif que devait avoir le mouvement et qu'il n'était pas pensable de «virer des gens».

    «Si on se lance dans cette démarche d'exclusion, il faudra déjà définir ce qu'est le fascisme et qui est fasciste et alors là bon courage», concluait un débatteur avant que les modérateurs ne décident de reporter la discussion à plus tard.

    «Tous les gens qui ne sont pas d’accord peuvent le dire, jusqu’au stade de la provocation», précisait au Monde une modératrice du mouvement pour expliquer les règles censées garantir la démocratie. Reste à savoir jusqu'où les complotistes et/ou la fachosphère parviendra à infiltrer «Nuit Debout».

    Mais s'agissant des sites douteux, la place de la République commence à s'organiser en établissant par exemple une typologie des médias et des comportements à adopter. La consigne officielle rapportée par Le Monde devient plus claire:

    «Les sites complotistes et les organes d’extrême droite trouveront porte close. Quant aux médias à actionnariat privé, ils sont reçus avec prudence.»

    Mises à jour le 22 avril: Le journaliste de Russia Today interrogé, admet finalement avoir bien publié des articles sur le Cercle des volontaires. «Je n'ai pas démenti mon passé au Cercle des volontaires, juste ne pas y avoir "travaillé"», précise-t-il sur Twitter.

    Par ailleurs, le président de l’association du Cercle des volontaires Raphaël Berland nous a contactés après publication de cet article et dit que le Cercle des volontaires a couvert mais pas participé au «Jour de Colère», nous avons ajouté son démenti.