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    Une journée pour tenter de changer l'image des femmes musulmanes dans les médias

    Le 27 mars, l'association féministe Lallab lance une première Journée internationale des femmes musulmanes. Une initiative pour «célébrer celles dont on parle souvent sans leur donner la parole».

    «Le temps d'une journée, on espère changer la narration des femmes musulmanes dans les médias.» C'est le souhait formulé par Sarah Zouak, cofondatrice de l'association féministe et antiraciste Lallab, pour la Journée internationale des femmes musulmanes célébrée le 27 mars. La chose est inédite. Pour la première fois en France, une initiative est lancée pour sensibiliser les médias aux représentations des femmes musulmanes qu'elles façonnent.

    L'association Lallab s'est inspirée des États-Unis, et plus précisément du média Muslim Girl qui a lancé en 2017 le #MuslimsWomenDay. Cette première édition américaine a été fondée par des féministes musulmanes avec pour but de «révolutionner l’image des femmes musulmanes» dans les médias américains. Et de permettre aux rédactions de tendre «le micro aux femmes musulmanes, le temps d’une journée, afin de faire entendre» leurs voix. C'est ce qu'entend faire Lallab en France.

    «Cette première édition est un point de départ parce qu’on sait que ce n’est pas en une journée qu’on va faire changer les choses», déclare Sarah Zouak lors de la présentation de cette édition. «Mais ça va devenir un rendez-vous annuel, et on espère travailler de plus en plus avec les médias pour faire changer ce traitement médiatique de l’intérieur.»

    Tout au long de ce mardi, Lallab a tweeté sur son compte des portraits de femmes musulmanes qui les inspire et a retweeté ceux envoyés par les internautes. Plusieurs médias (dont RTL, Cheek Magazine, Street Press) ont aussi relayé cette initiative. Mediapart a publié une tribune de soutien à cette Journée internationale des femmes musulmanes et le Huff Post a diffusé une vidéo de la coprésidente de Lallab qui explique en quoi consiste cette mobilisation.

    La veille, Lallab s'interrogeait sur le traitement médiatique des femmes musulmanes en France, devant une centaine de curieux réunis à Paris. Les invitées, exclusivement féminines, partageaient le même constat : les représentations des femmes musulmanes dans les médias français sont très souvent caricaturales et stigmatisantes.

    «Beaucoup d'ignorance chez les journalistes»

    Tout au long de ce débat, les invitées et le public se sont interrogés sur l'utilité ou non de créer son propre média pour «faire entendre des voix plurielles, peu représentées dans les médias traditionnel» ou sur la manière «dont il faut changer les mentalités dans les médias classiques».

    Sophia Aït Kaci, journaliste chez Acrimed, une association de critique des médias, a débuté son intervention en faisant un mea-culpa sur le traitement médiatiques des femmes musulmanes de son site. «En préparant cette intervention je suis allée dans les archives d'Acrimed et je me suis rendu compte qu’il y avait une grosse défaillance, même si on a traité un certain nombre de cas», explique-t-elle. «Mais au regard de toutes les affaires que j’avais en tête, en terme de faits de société, c’est sous-représenté chez nous.»

    Elle rentre alors dans le vif du sujet en évoquant le problème de certains unes d'hebdomadaires français, consacrées à l'islam et qui est souvent abordé sous le prisme de la menace et du terrorisme. Sophia Aït Kaci explique à quel point l'iconographie choisie, notamment dans le magazine Le Point, en dit long sur les représentations des femmes musulmanes.

    «Sur les unes consacrées à l'islam, les femmes musulmanes sont soit forcément voilées, ou alors elles portent un niqab, pourtant minoritaire en France. Et puis la femmes sont toujours énervées, elles font peur. Alors que les unes consacrées aux chrétiens sont jolies, les femmes bien éclairées, plus rassurantes», explique la journaliste. Elle précise que si les articles à l'intérieur de ces magazines sont plus nuancés que les couvertures, les couvertures aguicheuses «agitent la peur» et «attirent un certain lectorat».

    La docteure en sociologie Fatiha Ajbli, invitée aussi autour de cette table ronde, analyse : «Les médias mainstream qui sont des artisans de l’imaginaire travaillent avec une logique du spectaculaire et du sensationnel, car il y a un audimat et une pression derrière qui fait qu’ils ne sont pas intéressés par un islam ordinaire. Ils sont incapables de se défaire d’une vision très politisée de cette religion.» Elle estime que ces représentations se traduisent directement à travers ces unes sensationnalistes, où l'on privilégie «une imagerie du danger».

    Fatiha Ajbli ajoute aussi que dans les médias mainstream, la femme musulmane est présentée soit «comme une victime qu'on doit sauver d'un islam dominant, soit comme une femme consentante dangereuse qui choisit de porter le voile, et qui, dans l'inconscient collectif, va envoyer le message selon lequel les femmes musulmanes vont repeupler la France avec leur voile.»

    L'éducation aux journalistes est primordiale pour la journaliste du site féministe Cheek Magazine, Myriam Levain. Issue de la presse féminine qui «ne voyait aucun interêt» à écrire sur les femmes musulmanes, elle a lancé Cheek Magazine avec d'autres femmes journalistes pour qu'on s'intéresse notamment à elles :

    «Quand on s’intéresse à une discrimination, on s’intéresse à toutes les discriminations, souvent aussi parce que les mécanismes sont les mêmes. Et on a vu qu'il y avait un vrai souci dans le traitement des femmes musulmanes, qui sont caricaturées et pas du tout représentatives. J’ai toujours été frappée de voir la différence entre ce qui s'écrivait à leurs sujets et mes copines musulmanes.»

    Myriam Levain l'a par ailleurs constaté en école, elle qui enseigne au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), à Paris. En janvier 2015, elle a fait travailler, avec une collègue musulmane – Myriam Levain est juive – ses étudiants sur les représentations des juifs et musulmans après les attentats de janvier 2015. «On a lu beaucoup de stéréotypes décrivant les deux communautés», dit-elle.

    Elle a ainsi ouvert une formation pour les journalistes, dont la première est prévue pour le mois d'avril au CFPJ, afin de sensibiliser les rédacteurs au choix des mots utilisés pour décrire les communautés. «On s'arrache les cheveux quand on regarde BFM-TV ou quand on lit Le Point. Beaucoup de journalistes pensent qu'ils savent faire, mais quand ils illustrent un article sur des femmes voilées en France avec une femme en niqab, c'est une grosse erreur.» Il n'y a aucun inscrit pour le moment.

    «Quand des musulmanes prennent la parole, on essaie de les faire taire»


    Entre deux tables rondes, des militantes de Lallab ont aussi parlé de leur propre expérience et des polémiques qui ont secoué cette jeune association. Fondée en 2016 par deux femmes, l'une musulmane (Sarah Zouak) et l'autre athée (Justine Devillaine), cette association de 250 bénévoles est composée d'une majorité de femmes musulmanes et d'«alliées», des femmes non-musulmanes qui partagent leurs valeurs féministes intersectionnelles. Selon Sarah Zouak, Lallab a pour mission «de produire un environnement, des ressources et des outils pour favoriser la liberté de chaque femme musulmane à définir son identité et son parcours de vie». Elle ajoute vouloir une France «où les femmes n’auront pas peur d’être discriminées, jugées ou violentées pour ce qu’elles sont».

    C'est en janvier 2017 que beaucoup ont découvert Lallab, lorsque leur coprésidente, Attika Trabelsi, a défendu son choix de porter le voile face à Manuel Valls dans l'«Émission politique». Son échange face à l'ex-Premier ministre, très critique sur le voile, a fait date. Mais il a aussi provoqué une vague de cyberharcèlement à l'encontre de ses militantes, selon la cofondatrice de Lallab :

    «On avait une femme musulmane qui porte un foulard et qui parle de féminisme pro-choix devant Manuel Valls. Lui, a sorti tous ses clichés de radicalisme, de femmes en Iran et de terrorisme.

    C'était un moment important pour nous, mais aussi le début des difficultés puisque il y a eu une campagne de cyberharcèlement qui a duré des semaines de la part de l'extrême droite et d'une gauche bien-pensante, hyper paternaliste, qui utilise souvent la laïcité non pas comme un principe de liberté, mais comme un principe d'exclusion.»

    Sarah Zouak rappelle aussi la dernière campagne de dénigrement, survenue l'été dernier, lorsque l'association a été privée de services civiques à la suite d'une mobilisation en ligne ainsi que de certains médias qui les ont, selon elle, «diabolisés».

    «Au début, on en rigolait, et puis on a vu les conséquences lourdes sur nos vies, notre santé mentale, et notre organisation puisqu’on a été privés de services civiques. On a passé du temps à perdre notre une énergie à écrire des communiqués pour prouver qu’on est pas des terroristes financés par les Frères musulmans, et qu'on a pas été crée par un imam...

    Mais comme cette stratégie ne marche pas, ils essaient de nous diaboliser et de nous présenter comme des femmes forcément dangereuses contre la République. Nous, on essaie juste de créer une société plus inclusive où des femmes peuvent être ce qu’elles veulent être.»