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    Grossophobie, sexisme… «Voici» s’est déchaîné contre les femmes cet été

    En lisant les 13 numéros du magazine people publiés entre juin et août, on a assisté à un festival d'injures sur le corps ou les vêtements des célébrités.

    Mariah Carey est «une dinde» qui arbore une «silhouette à faire écarquiller les yeux». Le corps de Rihanna «offre plus de surface aux fans pour la toucher». Lena Dunham devrait porter «un masque de Kate Moss à la place de sa tête». Bella Thorne est «bien connue des habitués du bois de Boulogne». Quant à Madonna, elle est «une saucisse industrielle avec plein de trucs chimiques à l'intérieur»...

    Voilà quelques exemples d'expressions utilisées par le magazine people Voici, — qui se présente comme «la première marque people en France» pour qualifier les célébrités dans ses pages durant tout cet été. Dans les 13 numéros que BuzzFeed News a feuilletés, toutes les cases d'un bingo du sexisme sont cochées: grossophobie, body-shaming (le fait de se moquer de quelqu'un en raison de son apparence physique) et slut-shaming (le fait de chercher à humilier une femme en raison de sa vie sexuelle supposée débridée) sont monnaie courante. Sous couvert «d'humour», les célébrités féminines (certains hommes trinquent aussi, mais c'est plus rare) sont les plus souvent moquées. Au total, cet été, nous avons dénombré 25 remarques de ce genre adressées aux femmes, contre 3 pour les hommes. Les femmes sont raillées car elles ont pris du poids, car elles sont trop maigres, trop grosses, pas assez jolies ou trop vieilles, trop refaites ou pas assez parfaites, ou qu'elles ressemblent des prostituées, ce qui semble être infamant aux yeux de Voici.

    Voici, 2 juin 2017

    Dans ce numéro, l'actrice Amber Heard, qui a divorcé de Johnny Depp après avoir obtenu une ordonnance restrictive contre lui pour violences, est dépeinte comme une femme uniquement attirée par l’argent (comme elle l'a été dans de nombreux médias après son divorce). Sur une photographie, on voit la star marcher en portant la veste de son compagnon d’alors, le patron de Tesla, Elon Musk. Voici commente: «Amber est radieuse: le costume de femme de milliardaire lui va plutôt bien.» Et le magazine d’en rajouter une couche: «Sans voir le mal partout (ce n’est pas notre genre), espérons juste qu’il n’a pas laissé une liasse de billets dans une poche.»

    Voici, 9 juin 2017

    Comme souvent, les femmes ayant eu recours à la chirurgie esthétique sont la cible de la rédaction. La star de télé-réalité Khloé Kardashian, dont «la principale occupation dans la vie» est de se faire «gonfler les lèvres» est ainsi comparée à un canard.

    Voici,16 juin 2017 

    Dans ce numéro, la rédaction en profite pour moquer le corps de l'actrice américano-britannique Emily Blunt, qui apparaît en maillot de bain sur un bateau: «Si Emily s'est offert des apéros champagne sur le pont du bateau, à part la plongée, elle n'a pas trop forcé sur le sport... Alors évidemment, le résultat n'est pas très joli, mais au moins pendant ses vacances, elle se sera bien détendue.»


    Voici, 23 juin 2017

    Fin juin, David Caruso, l'acteur vu dans la série Les Experts, a l'honneur du magazine en raison de sa prise de poids. «Le roux tourne mal. Depuis qu’il ne joue plus dans Les Experts: Miami, le rouquin qui remontait ses lunettes noires avec classe a perdu de sa superbe. En surpoids, le teint rougeaud et portant tranquilou des chaussettes dans ses sandales, il ne ressemble plus à rien.»

    Voici, 30 juin 2017

    Pour les journalistes de la rédaction, la mannequin Zahia Dehar ne sera jamais qu'une ancienne prostituée dont la jupe est trop courte: «Messieurs ne regardez plus la photo et répondez à cette question: Que tient-elle à la main? (...) Après avoir mangé une glace comme seule une spécialiste sait le faire, elle est passée dans un puissant courant d’air qui a envoyé valser les 8 grammes de tissu qu’elle portait.»

    Voici, 7 juillet 2017

    Dans ce numéro, la chanteuse Mariah Carey, prise en photo en train de se baigner en Israël, est qualifiée de «dinde marine». Le journaliste se dit aussi «soulagé qu'elle se baigne [dans la mer Morte, NDLR] — avec sa teneur en sel qui ferait flotter une enclume— parce qu'avec tous ses bijoux, ailleurs elle coulerait à pic.»

    Deux pages plus loin, le magazine s'en prend à l'actrice Lindsay Lohan et sa «peau de chagrin». Voici juge «utile de préciser quelle vient d'avoir 31 ans, parce que ça ne se voit pas (sans être méchant, on aurait plutôt parié sur beaucoup plus…): un visage marqué, un corps tout mou, une peau grisâtre et prématurément vieillie…» Et d'ajouter: «Les abus de toutes sortes pendant des années, ça se paie. Avec des agios dans son cas.»

    Voici, 13 juillet 2017

    Une semaine après, c'est l'actrice Kourtney Kardashian qui fait les frais du sexisme de la rédaction. Voici répond à un lecteur qui trouve «mesquin» que le journal ait parlé la semaine précédente des «boutons et points noirs» de la célébrité. «Ça ne vous gêne pas de vous arrêter comme ça au physique et à l'apparence?», interroge-t-il.

    Apparemment fiers d'eux, les journalistes persistent et signent: «Comment voulez-vous que cela nous gêne. Elle-même, comme ses sœurs, mise tout sur l'apparence, la surface, le superficiel. Si elle avait bâti sa notoriété sur son immense connaissance de la littérature mondiale, on ne manquerait pas de la reprendre si elle dit que Le Rouge et le Noir est de Stephen King.»

    Plus loin, l'hebdomadaire se moque de la tenue de la rappeuse Iggy Azalea, qu'il juge «saucissonnée». «Mais ça doit être aussi facile à mettre qu'un gant de vaisselle à un bûcheron», ajoute le magazine pour moquer les formes de la chanteuse.

    Voici, 21 juillet 2017

    Cette fois, Voici livre un festival de blagues sur l'alcoolisme supposé du mannequin Kate Moss. Et sur son corps «mou» gavé de pizzas reginas...

    Dans ce dossier sur les stars qui font du sport, les hommes ne sont pas non plus à l'abri du fat-shaming. Aux côtés des photos de célébrités au ventre rond, on lit: «Eux, ça ne leur ferait pas de mal» de faire du sport. Le magazine ajoute: «Du coup, pas de bol, de leurs plastiques canons ne restent que des bouées.»

    Voici, 28 juillet 2017

    Décidément, Mariah Carey est une des cibles favorites du magazine. «Elle envoie du lourd», prévient le titre de l'article à propos de l'un de ses derniers concerts à Las Vegas, dans le Nevada.

    «Lors du dernier show de sa résidence au Caesars Palace, la diva arborait une silhouette à faire écarquiller les yeux. L’effet est d’autant plus saisissant qu’elle semble ne pas avoir adapté ses tenues de scène en conséquence. Elle fait ce qu’elle veut bien sûr, mais pour ses danseurs, ça commence à ressembler à de l’haltérophilie. Leur patronne n'écrase pas que la concurrence.»

    Voici s'en prend même aux inconnues. Vue en compagnie de Chris Martin, le leader de Coldplay, une femme est critiquée pour sa maigreur. «Elle semble peser 10 kilos mais ça ne veut pas dire qu’il prend cet amour de vacances à la légère», constate l'auteur-e de ces lignes. Puis ajoute: «Ils font bien de s’asseoir: un coup de vent et la demoiselle s’envole».

    Dans ce même numéro pourtant, Voici écrit en réponse à une lectrice: «Si même les filles se mettent à juger les filles uniquement sur leur apparence, on n’est pas sortis de l’auberge.»

    Voici, 4 août 2017

    Dans ce numéro un joli bingo contre les transgenres, les prostitué-e-s et les Brésiliens à l'occasion d'une brève sur l'actrice Bella Thorne. «Chiquita do Brasil, bien connue des habitués du bois de Boulogne», lit-on dans une rubrique consacrée à l'une de ses tenues.

    Voici, 11 août 2017

    Pourtant défendue face aux critiques sur son corps dans un autre numéro, Rihanna est cette fois violemment attaquée sur son physique. Dans un article intitulé «un effet bœuf», le magazine commente les formes de la chanteuse:

    «L’avantage par rapport aux années précédentes, c’est qu’on la voit mieux, de plus loin, et qu’elle offre plus de surface aux fans pour la toucher. L’inconvénient c’est que la culotte et le soutien gorge ont coûté environ deux fois plus que cher que l’an dernier.»

    Toujours dans le body-shaming, le magazine s'en prend ensuite à l'actrice Nicole Kidman, prise en photo lors d'un dîner. «Double choc! Elle s’est nourrie, ce qui ne doit pas lui arriver souvent», plaisante le magazine.

    Au passage, un homme, le footballeur Ronaldo, trinque à son tour à propos de son poids: «Sur un yacht au large d’Ibiza, il se gave de chips, ceci expliquant assez logiquement cela. Quelqu'un pourrait tout de même lui indiquer qu’il n’est pas obligé de mettre tout le paquet dans la bouche avant de commencer à mâcher?»

    Quelques pages plus tard, l'actrice Jessica Alba, enceinte de 4 mois, a eu, selon Voici, le culot de porter des cuissardes: «Qu’est-ce qui lui prend tout à, coup, à quatre mois de grossesse de dégainer les cuissardes en cuir et la robe limite vulgaire qui froufroute.» Le magazine s'adonne ensuite au slut-shaming en qualifiant à demi-mots l'actrice Bella Thorne de prostituée: «Ne portez pas ça dehors, cette femme est une professionnelle.»

    À cette liste, il faut ajouter une insinuation sexiste qui vise l'actrice Amber Heard, présentée à nouveau comme vénale. Amber Heard s'est séparée du milliardaire Elon Musk, et Voici écrit: «Elle est très belle, il est très riche? D’habitude ça finit par un happy end, l’actrice est dévastée. Bah oui, elle se voyait déjà avec la carte platinum. Mais connaissant Amber, elle devrait rapidement rebondir.»

    Voici, 18 août 2017

    Encore un numéro riche en enseignements... Pourtant ça commençait plutôt bien. À un courrier des lecteurs qui critique le physique de Rihanna, Voici défend la chanteuse, juste huit jours après l'avoir massacrée... L'hebdo écrit: «Rihanna n’est ni mannequin ni sauteuse a la perche, elle peut faire ce qu’elle veut avec son poids. Quelle importance, tant qu’elle assure au niveau de la voix et des chansons? On s’inquiète de savoir si Beethoven avait le ventre plat et des pecs en béton?»

    Plusieurs pages plus tard, la rédaction consacre même un dossier, intitulé «Y a pas que la taille XS dans la vie», sur les femmes célèbres qui se fichent d'être minces. Toujours au sujet de Rihanna, on lit qu'«il ne fait plus bon s’adonner au body-shaming et ce n’est que justice», et que Mariah Carey est une «diva totalement divine». Celle-là même qui était moquée pour ses rondeurs et surnommée la «dinde» trois semaines plus tôt.

    D'ailleurs, Voici reprend immédiatement ses mauvaises habitudes. La chanteuse américaine Jessica Simpson est raillée pour avoir eu le ventre gonflé après un repas au restaurant: «Le 8 août en débarquant dans un resto de New York avec sa jupe en cuir, sa chemise nouée et son ventre plat, elle avait même fière allure. Mais deux heures plus tard, patatras. Après avoir repris sans doute du cassoulet et des profiteroles, Jessica avait l’air d’être enceinte de six mois. C’est le problème des déjeuners copieux, ça vous transforme un retour à la case bombasse en énorme bide.»

    Au sujet de Lena Dunham, photographiée avec un pull où figure le nom de Cindy Crawford, le magazine s'interroge: «Comment jouer les top models quand on n’a pas vraiment un physique de mannequin?» Puis il propose: «Avec un pantalon Adriana Karembeu à la place de son vieux jogging et un masque de Kate Moss à la place de sa tête, ce serait mieux quand même».

    On continue dans le body-shaming et la grossophobie. La chanteuse Nicki Minaj, surnommée «fesses sur pattes», a pour «mission» de «tenir au courant ses amis humains de l'état de ses fesses». Selon Voici, «il doit désormais manquer deux boules au bowling que fréquente son chirurgien».

    On lit ensuite pêle-mêle dans la rubrique «Gossips» que la femme d'affaires Paris Hilton est un «mélange entre une reine de la nuit et une fromagère hollandaise», que la chanteuse Katy Perry photographiée en moto «aime les mecs qui en ont une grosse», et que «d’après l’appli Mappy, Katy n’a plus sa culotte dans six minutes».

    Dans un article consacré à l'animatrice Karine Ferry on apprend que «certaines filles sont faites pour porter la doudoune, pas franchement le cas de Karine». Quant à l'actrice Elizabeth Moss, qui visiblement est un corps avant d'être comédienne, on apprend en l'espace d'une poignée de lignes qu'elle n'est «pas la plus jolie ni la plus célèbre», qu'elle a des «petits kilos au dessus du niveau de la norme hollywoodienne», mais aussi qu'elle possède un «physique vu dans la vraie vie».

    Voici, 25 août 2017

    Dans ce numéro estival, Voici est en roue libre. Dans le courrier des lecteurs, pensant faire de l'humour en répondant à une lectrice qui qualifie Madonna de «boudin», l'hebdomadaire écrit que ce propos est «méchant!» et s'amuse à trouver un autre qualificatif: «À la rigueur, une saucisse industrielle avec plein de trucs chimiques à l’intérieur.»

    Deux pages plus tard, c'est encore Lindsay Lohan qui s'en prend plein la figure. On voit l'actrice à la plage avec une bouteille d'eau à la main. On sous-entend tour à tour qu'elle est idiote et alcoolique: «Elle fait le double de son âge. Elle lit un livre! Elle boit de l’eau! Mais qu’est-ce qui lui arrive? On s’inquiète, quand même», lit-on.

    Mariah Carey, victime habituelle du magazine, n'est pas non plus épargnée cette semaine-là. Encore une fois, en raison de son poids. Commentant une photo de la chanteuse prise lors d'un concert donné à New York, Voici écrit: «Emmaillotée de paillettes dorées, elle enchaîne les mimiques sucrées et glamour — ou qui se veulent telles — dans les bras de son toy boy, Bryan, qui fait ce qu’il peut, le pauvre: les réceptions de l’ambassadeur sont toujours une réussite, mais cette année les rochers sont énormes.»

    On s'étonne alors de retrouver quelques pages plus tard un article consacré à l'actrice Gemma Arterton, qui dénonce les pressions d'un producteur hollywoodien pour qu'elle perde du poids. «Ce n'est pas l'actrice qui a des kilos en trop, c'est le producteur qui a une case en moins», annote Voici, qui ose: «Ils sont fous à Hollywood.»

    Contacté par BuzzFeeed News, Voici plaide l'humour

    Jointe par BuzzFeed News, la rédactrice en chef de Voici, Marion Alombert, explique que le magazine a «toujours fait extrêmement attention à défendre les femmes et à les montrer telles qu’elles sont, sans photos retouchées ni photoshopées.»

    Elle défend néanmoins le ton moqueur du magazine: «Il arrive que nous nous moquions gentiment, avec un certain plaisir, parfois non dissimulé, des stars que nous montrons tel-les qu’ils ou elles sont en vrai, loin des images parfaites et photoshopées que l’on voit partout ailleurs.»

    «Notre magazine a toujours mis en avant un ton humoristique, et nous le revendiquons.»

    Un «ton humoristique que nous revendiquons», et qui prouve que «le succès de Voici depuis plus de 30 ans démontre que nos millions de lectrices apprécient cette façon de traiter l’actualité des stars et qu'elles se retrouvent dans la vision de la femme que nous défendons», ajoute Marion Alombert qui, tout de même prudente, anticipe des excuses:

    «Si notre ton moqueur a pu heurter certaines sensibilités, nous en sommes désolés, ce n’était absolument pas dans notre intention.»

    Pour Sylvie Debras, docteure en sciences de l’information et spécialiste de l'analyse de la place et de l’image des femmes dans les médias, Voici fait preuve d'une «incitation à la haine sexiste particulièrement visible et grossière».

    «Les magazines se demandent si les femmes sont des salopes ou des putes, car on les soupçonne toujours d'être l'une ou l'autre.»

    Mais selon elle, Voici et la presse people de manière générale ne sont pas des exceptions dans le monde des médias. La mise en avant «systématique» des corps des femmes «est partout»:

    «On retrouve les mêmes mécanismes de mise en avant des corps des femmes au détriment de leur intelligence sur des sites d'informations… Très souvent, au sein des rubriques divertissement on trouve des diaporamas des célébrités les plus liftées, par exemple. C'est pareil en radio, comme dans les émissions écoutées par les plus jeunes où l'on rit des femmes et de leur sexualité.»

    La chercheuse estime enfin qu'on parle encore trop souvent des femmes en commentant leur corps, leurs formes, ce qu’elles mangent ou pas, leurs rides, la forme de leurs fesses, etc. Selon elle, «les magazines se demandent si les femmes sont des salopes ou des putes, car on les soupçonne toujours d’en être une». Des articles consacrés aux femmes comme actrices de leur vies, de leur choix, de leur carrière, il y en a peu», estime Sylvie Debras, qui regrette «ces images rétrogrades et fantasmées des femmes.»