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Comment l'évacuation de l'église Sainte-Rita a été instrumentalisée en 8 étapes

Huit étapes pour comprendre comment des militants d'extrême droite, mais aussi des élus, ont utilisé l’événement à des fins politiques.

L'évacuation de plusieurs dizaines de personnes qui occupaient l'église Sainte-Rita (15e arrondissement de Paris) mercredi 3 août au matin, a été récupérée sur les réseaux sociaux, notamment dans le milieu de la «catosphère» et de la «fachosphère», pour exprimer un mécontentement face au gouvernement ou pour dénoncer un supposé laxisme devant certaines mosquées.

Voici comment:

Étape 1: Éviter de rappeler le contexte

Très tôt, ce mercredi 3 août, de nombreux internautes ont dénoncé la venue des policiers dans l'église Sainte-Rita qui ont délogé plusieurs personnes se trouvant à l'intérieur. Pour ce faire, ils ont massivement relayé les photos des gens se faisant expulser du lieu, faisant ainsi du hashtag #SainteRita le sujet le plus discuté sur Twitter.



En légende, on a ainsi pu lire que «la fermeture de l'église Sainte-Rita est une honte», ou que le gouvernement «envoie les CRS pour aider à détruire l'église (...) au moment où le journal de Daech titre "break the cross" - "briser la croix"», ou encore qu'en «France, il est plus facile de détruire une église que de fermer une mosquée salafiste».

L'évacuation demandée par... l'association «des Chapelles catholiques»

La majorité ne précise pas en revanche que c’est la propriétaire du terrain, l’association des Chapelles catholiques et apostoliques, qui a obtenu l’évacuation de l’église. D'après nos informations, l'association est toujours propriétaire du terrain situé au 27 rue François Bovin et donc de l'église, connue pour pratiquer le rite gallican –non attaché au Vatican. Et ce, depuis plus de 20 ans. Mais l'association a signé une promesse de vente en vue d'une réhabilitation immobilière sur le terrain. Le député-maire du 15e arrondissement, Philippe Goujon, ainsi que d'autres personnalités politiques comme Frédéric Lefebvre,se sont opposés depuis plusieurs mois à la démolition.

Les travaux devaient débuter en octobre 2015 mais des fidèles et des militants ont investi les lieux pour empêcher ça. Après plusieurs recours judiciaires, l'association des Chapelles catholiques et apostoliques a alors obtenu par ordonnance du TGI en janvier 2016, leur expulsion. «Dans le cadre de l'exécution de cette décision de justice, le préfet de police a accordé l'autorisation du concours de la force publique à l'huissier requérant afin de l'assister ce jour dans sa mission et remettre ainsi les locaux à l'usage du propriétaire», a indiqué la préfecture de police ce mercredi dans un communiqué.

Étape 2: Éviter de rappeler qui sont les défenseurs de Sainte-Rita




Les internautes et politiques qui ont dénoncé cette action policière ont surtout évoqué «l'évacuation de fidèles», avec l'image de l'abbé traîné par les CRS. Mais la plupart des personnes présentes dans l'église n'étaient pas de «simples fidèles». Comme l'avait révélé une enquête de Street Press, ce lieu est squatté depuis octobre par la «crème de l'extrême droite». En plus du mouvement complotiste du «14 juillet», on trouve des ex-mégrétistes, les fondateurs du site islamophobe Riposte laïque, des animateurs de Radio Courtoisie, des «soraliens» ou des cathos ultra-conservateurs.

«Des personnes d'extrême droite, voire fasciste»

Ce mercredi, le groupe d'extrême droite Action française avait ainsi envoyé des militants (certains cagoulés) à l'intérieur de l'église pour empêcher l'action des policiers.

Ce matin les étudiants de l'AF défendaient #SainteRita contre la république #DefendsTonEglise

Des jeunes hommes habillés en treillis militaire auraient «déclamé des paroles antisémites toute la nuit avant la messe», affirme un témoin interrogé par Libération.

«Il y a clairement une récupération de la part des squatteurs, concrètement les personnes qui ont squatté illégalement le bâtiment sont de mouvance d'extrême droite, voire fascistes. Cette récupération est limite», dit à BuzzFeed News Johann Fourmond, porte-parole de la société Garibaldi, la société immobilière détentrice du permis de construire.

Étape 3: Relayer des informations erronées



L'un des principaux arguments avancés pour dénoncer l'évacuation de cette église est le fait qu'elle doit être rasée pour construire un parking. Là encore, c'est une information lacunaire qui laisse penser qu'un élément du patrimoine parisien est détruit pour un parking.

Pas de protection patrimoniale pour l'église


Il est utile de savoir tout d'abord qu'en 2010, la commission du Vieux Paris (dont la mission est de conseiller la maire pour la protection du patrimoine parisien tant sur le plan historique, archéologique, architectural et urbain) a jugé l'église comme ceci:

«L'architecture néogothique très tardive et sans qualité particulière, spatiale, décorative ou constructive, ne mérite pas de protection patrimoniale.»

Concernant le projet qui doit remplacer l'église, il ne s'agit pas d'un simple parking. «Ce projet verra la construction d'une vingtaine de logements, et selon les règles de la ville de Paris, il y aura un pourcentage de logements sociaux, puis un parking pour les résidents de ces logements, mais pas un énorme parking comme certains ont pu le dire», explique Johann Fourmond.

Pas de messe officielle

Enfin, beaucoup se sont aussi émus de voir des CRS débarquer en pleine messe ce mercredi. Une messe officieuse si l'on en croit la préfecture de police qui indique que ce sont «des occupants sans droit ni titre» qui ont investi les lieux. «L'église n'est pas consacrée ni dédiée au culte depuis la cessation de cette propriété.»


Étape 4: Rejeter la faute sur le gouvernement



S'il y a bien un mot qui est revenu régulièrement, c'est gouvernement. On ne compte plus les messages d'internautes l'accusant d'avoir osé expulser des fidèles de l'église. Des messages du type: «Le gouvernement préfère expulser les prêtres de nos églises, plutôt que de s’en prendre à l’islamisme», ou: «L'évacuation de Sainte-Rita est une honte pour un gouvernement qui les cumule quand d'autres priorités s'imposent. L'Histoire fera son travail» et encore: «Le gouvernement évacue l'église Sainte-Rita en traînant un prêtre par terre.»

Une décision judiciaire

Comme expliqué plus haut, cette parcelle privée détenue par l'association des Chapelles catholiques et apostoliques a été vendue au promoteur immobilier Lamotte. «Suite à la requête en référé liberté déposée conjointement par le propriétaire et le promoteur sollicitant l'exécution de cette ordonnance, le Conseil d'État a par ordonnance enjoint au préfet de police de délivrer le concours de la force publique», dit la préfecture.

Ce n'est donc pas le gouvernement qui évacue l'église. Quant à la mairie de Paris, elle n'est pas intervenue dans le dossier, «sauf pour accorder le permis de construire, ce qui est une décision plus technique que politique», nous a dit Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris en charge du logement et de l'hébergement.

Étape 5: Surfer sur l'émotion et l'actualité passée




Certains ont mis en parallèle les images du prêtre se faisant évacuer de force de l'église avec la mort du père Jacques Hammel, égorgé dans une église par des terroristes une semaine auparavant, pour surfer sur l'émotion suscitée par son assassinat.

Ce qui donne lieu à des phrases du type: «D'un côté on pleure un prêtre assassiné, d'un autre on les traine avec violence pour les chasser d'une église!» ou: «Une semaine après l'égorgement d'un prêtre, voilà comment la France traite les catholiques», ou encore: «Évacuation de l'église Sainte-Rita: l'image du prêtre traîné par terre est choquante et désastreuse après le prêtre égorgé. Où va-t-on?»

Étape 6: Prétendre ne pas avoir prévu le «coup médiatique»

Rencontré sur place par BuzzFeed News, l'abbé Jean-François Billot assure que le fait d'attendre les CRS smartphone à la main n'était pas prévu. Et qu'il ne pensait pas que les forces de l'ordre allaient mettre à exécution l'ordre d'expulsion:

«Oui c'est vrai que l'on savait que la police devait venir, les gens se le disaient, mais moi j'y croyais pas vraiment. Les gens ont filmé car on veut montrer ce qu'il se passe, montrer la réalité».

Une action annoncée la veille sur les réseaux sociaux

Sauf que l'association Sainte-Rita était au courant et semble même avoir organisé trois messes à la hâte pour attirer des soutiens. Sur son compte Facebook en effet, l'association a posté un message mardi soir pour demander de l'aide... pour «empêcher» l'expulsion.

L'appel aux soutiens a été notamment relayé par le sulfureux militant d'extrême droite Alexandre Gabriac ou par l'Action française. Sur Twitter, l'abbé Guillaume de Tanoüarn semble aussi au courant de l'opération décidée par la préfecture de police.


Enfin, un religieux traditionaliste, proche de l’Action française, a admis à Libération qu'il«savait qu’ils (les policiers, ndlr) allaient rentrer». «On avait préparé des sacs de gravats pour leur compliquer la tâche.»

Étape 7: Faire des comparaisons plus que douteuses



Sur ce point-là, c'est bien l'islam qui est en ligne de mire. Certains se demandent par exemple pourquoi la police utilise autant d'énergie à déloger des personnes d'une église alors qu'elle serait plus utile par exemple... pour fermer des mosquées. «Les CRS (la HONTE) sont moins ardents pour faire le même boulot avec les mosquées: la trouille certainement», dit cet internaute. «La France d'aujourd'hui: on détruit les églises et l'on construit des mosquées! nos politiques préparent l'avenir!», tweete celui-ci.

Le «grand remplacement» est visiblement en marche dans la tête de certains qui affirment que l'on détruit des églises pour construire des mosquées, comme là: «Incompréhension! Ce jour, en plein Paris, une église va être démolie, mais des mosquées se construisent» et encore là: «Le message est clair: le gouvernement détruit des églises et veut construire des mosquées.»

Rappelons une fois encore que l'église, dont l'accord d'évacuation a été demandé par une association catholique, va laisser place à des logements.

Étape 8: ... Y compris de la part des élus politiques

Et si l'on faisait des parkings sur l'emplacement des mosquées salafistes plutôt que de détruire nos églises ? #SainteRita MLP

#SainteRita. L’usage d’une telle force était-elle nécessaire ? Le Gvt se montre beaucoup moins zélé pour fermer les mosquées salafistes.

messe violemment interrompue SainteRita J'ai saisi @BCazeneuve qui n'est pas intervenu alors que ns sommes en deuil

#SainteRita évacuée par la force. Pendant que de nouvelles mosquées se construisent, l'Etat veut raser une église !


Que le Gouvernement s'occupe de démolir les mosquées salafistes plutôt que d'évacuer de cette façon une Église #SainteRita


J'invite le Gouv à fermer les mosquées salafistes avec autant "d'énergie",de "volonté" et de "rapidité" #SainteRita

CORRECTION

L'évacuation a été demandée par l'association cultuelle des «Chapelles catholiques et apostoliques». Une première version évoquait une association catholique, ce que nous n'avons pas pu nous faire confirmer.