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    Jérusalem a une application de taxis «casher»

    L'application permet à ses clients de demander un chauffeur qui ne conduit pas durant chabbat, en strict respect de la loi juive. Certains jugent cette application raciste.

    JÉRUSALEM. En appuyant simplement sur un bouton à Jérusalem, vous pouvez désormais demander un taxi avec un siège pour bébé, une boisson fraîche, des fleurs, ou encore un chauffeur «casher».

    David Shmuel, 60 ans, est l'un de ces chauffeurs qui travaillent avec Gett, une application de taxis née en Israël et la plus populaire du pays. David Shmuel n'est pas casher selon la définition des rabbins, mais fait partie du parc de taxis «casher» de Gett (Gett Mehadrin), qui propose à ses clients de demander un chauffeur qui ne conduit pas durant le chabbat, du vendredi soir à la nuit de samedi, en strict respect de la loi juive.

    «C'est comme le lait au supermarché,» explique David Shmuel à BuzzFeed News durant un trajet en taxi à Jérusalem, en pleine nuit de juillet. «Il y a plein d'options. Certains préfèrent un type particulier... par exemple casher.»

    Une option jugée raciste par certains

    Gett a lancé le parc de taxis Mehadrin en mars. L'application n'est disponible qu'en Israël et sur les 6700 chauffeurs qu'emploie Gett dans le monde, on compte désormais près de 1000 chauffeurs Mehadrin depuis août, d'après Iris Hermon, directrice marketing pour Gett en Israël. L'entreprise accepte tous les chauffeurs, peu importe l'origine, la religion ou le sexe, et comporte quelques chauffeurs arabes, bien qu'Iris Hermon ait refusé de donner un chiffre exact. Au niveau national, Gett Mehadrin représente 20% des courses mensuelles, dont la majorité a lieu dans et en périphérie de Jérusalem, selon Iris Hermon.

    D'après les personnes que nous avons interrogées, ce nouveau service est totalement raisonnable, complètement raciste, ou quelque chose qu'elles ne pensent pas utiliser en ce moment. Cette nouveauté s'est aussi fait un nom parmi quelques chauffeurs qui en parlent comme de l'option «chauffeur juif», dans une ville définie par des cycles de divisions religieuses et raciales.

    «C'est raciste», opine Ahmed Abu Tir, un habitant de Jérusalem-Est et chauffeur pour Gett. Comme tous les chauffeurs palestiniens interrogés, il en parle comme de l'option «chauffeur juif».

    Ahmed Abu Tir sait que contrairement à Gett, de nombreuses compagnies de taxis de Jérusalem-Ouest n'emploient pas de chauffeurs arabes, ou envoient un chauffeur juif sur demande, même si c'est illégal. Pourtant, lorsque sa femme lui téléphone, il n'aime pas répondre en arabe s'il transporte un passager juif: il a peur que celui-ci devienne soupçonneux.

    Gett a déclaré à BuzzFeed News qu'affirmer qu'il y avait là discrimination était hors de propos.

    «C'est une question de service», a expliqué Iris Hermon. «Nous traitons tous nos chauffeurs de la même façon.»

    Les pressions des Juifs ultra-orthodoxes

    D'après Iris Hermon, Gett a développé l'offre Mehadrin en réponse aux commentaires de ses clients. Cet arrangement, continue-t-elle, s'inscrit dans le mode de vie actuel à Jérusalem: si Gett ne proposait pas l'offre Mehadrin, alors les importantes communautés ultra-orthodoxes au fort pouvoir politique de la ville les boycotteraient, comme c'est déjà le cas pour la plupart des entreprises ouvertes durant chabbat.

    Uber, lancé en 2014 en Israël, ne possède pas de parc de taxis répondant aux besoins spécifiques des ultra-orthodoxes. Actuellement, la loi israélienne interdit le populaire système UberX, grâce auquel un chauffeur immatriculé peut utiliser sa voiture privée comme taxi.

    De plus, Gett et Uber n'opèrent pas dans les territoires occupés de la Palestine, où Israël n'a pas encore alloué aux entreprises de télécommunication palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza assez de débit pour avoir leur propre accès au réseau 3G.

    Le système de transport, reflet des divisions

    La population actuelle de Jérusalem est divisée ainsi: un tiers de Juifs ultra-orthodoxes, un tiers de Juifs laïcs et un tiers de Chrétiens et de Palestiniens musulmans, souvent appelés «Arabes»par les Israéliens. Jérusalem, désignée comme capitale par Israël malgré les objections de la communauté internationale, est largement partagée entre l'Ouest juif et l'Est palestinien.

    Le système de transport de la ville reflète la plupart de ces divisions politiques et religieuses. Aujourd'hui, l'Est palestinien possède un système de bus et des compagnies de taxis qui servent ces communautés, tandis que dans l'Ouest, quelques Juifs ultra-orthodoxes ont promu un système de bus avec ségrégation selon le sexe. Globalement, Jérusalem-Ouest et son système de transport cessent toute activité durant chabbat et les fêtes juives.

    C'est aussi une ville où les transports ont été le lieu d'actes de violence, des attentats-suicides palestiniens dans les bus israéliens il y a une dizaine d'années aux tensions plus récentes autour du tramway de Jérusalem, où différentes catégories de la ville se rencontrent tandis que le métro circule d'est en ouest.

    Dans un espace aussi tendu politiquement, les résidents affirment que les profilages raciaux et religieux sont aussi une chose très courante.

    Ahmed Abu Tir de Gett le ressent jusque dans les interactions les plus subtiles. Dans une compagnie de taxis où il a précédemment travaillé pendant trois ans, il se faisait appeler Amir plutôt que Ahmed: il explique avoir choisi un nom aux origines ethniques plus ambiguës, car les gens ne cessaient d'annuler leurs trajets avec lui à cause de son nom et de son allure distinctement arabe.

    Une cliente écartée par l'application

    Aujourd'hui, il ne peut pas faire ça avec Gett, chaque passager recevant son nom, sa photo, son numéro de téléphone, le modèle de sa voiture et sa plaque d'immatriculation à chaque commande. Il pense que ceci a un avantage: certains passagers juifs, pense-t-il, se sentent plus à l'aise pour voyager dans un taxi contrôlé par Gett. Comme de nombreux chauffeurs Gett, Ahmed Abu Tir travaille pour une compagnie de taxis de Jérusalem tout en prenant des clients par le biais de l'application, afin de maximiser son temps de travail. Cependant, après la violence de l'été dernier lors de la guerre à Gaza et notamment avec des attaques sur des chauffeurs de taxi arabes, il dit songer à quitter le métier.

    Herzel Moshe, 60 ans, affirme que lorsqu'il a rejoint Gett pour la première fois en 2012, il y «avait beaucoup» de problèmes de clients annulant leur course avec des chauffeurs arabes. Herzel Moshe conduit des taxis depuis plus de 30 ans et est aujourd'hui directeur à Jérusalem d'un petit bureau opérationnel pour Gett, collé à une station-service.

    «Au début, [Gett] était différent,» explique-t-il. «Comme je vous l'ai dit, de nombreuses compagnies refusaient les chauffeurs arabes, contrairement à Gett.»

    Aujourd'hui, selon lui, les annulations de course sont de moins en moins fréquentes et ce, grâce à deux changements. «Ils connaissent tous les chauffeurs», continue-t-il, désignant un chauffeur palestinien dans le bureau, un vétéran selon lui. «Ils disposent de l'option Gett Mehadrin».

    D'après Iris Hermon, la directrice marketing de Gett, les clients annulent leurs courses pour différentes raisons et il est impossible de savoir si les clients ont spécifiquement annulé des trajets avec des chauffeurs arabes, l'application n'ayant aucun moyen de le contrôler et l'entreprise ne faisant aucune distinction entre les chauffeurs arabes et les chauffeurs juifs. Si un client annule ses demandes de course de façon répétée, il crée un «mauvais karma» dans le système, explique-t-elle, ce qui pourrait à terme conduire à la suspension de son compte pour une durée donnée.

    La cliente a dit qu'elle annulerait ses courses avec des chauffeurs arabes. Gett a répondu ne pas vouloir la compter parmi ses clients.

    L'année dernière, Gett a fait les gros titres après avoir réprimandé une cliente se plaignant sur Facebook du nombre trop élevé de chauffeurs arabes dans ce service. La cliente a déclaré qu'elle annulerait toutes ses courses avec des chauffeurs arabes. Gett lui a alors répondu ne pas vouloir la compter parmi ses clients.

    Mais lorsque Gett a lancé l'offre Mehadrin en mars, les critiques et appels au boycott sont venus de la direction opposée.

    Plusieurs utilisateurs ont déclaré qu'ils arrêteraient d'avoir recours à Gett et ont reproché à l'entreprise d'être raciste envers les Arabes en créant un critère de chauffeur de taxi qui, en pratique, semblait créer une option «juive».

    Gett est alors passé à l'offensive, répondant que l'entreprise ne faisait qu'élargir son service pour répondre à des besoins religieux, et a rappelé à ses clients que n'importe quel chauffeur pouvait rejoindre le parc.

    Un utilisateur, en réponse à cette déclaration, a dit: «Ce n'est peut-être pas censé être raciste, mais il s'avère que ça l'est.»

    Herzel Moshe est moins perturbé:

    «C'est Jérusalem», dit-il pour expliquer le va-et-vient des tensions chez les taxis. «C'est Jérusalem, avec ses Juifs, ses Musulmans et ses Chrétiens. Ici, il y a des frictions».

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