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    Les mères lesbiennes pourraient être reconnues sans mariage

    Des associations défendent une alternative juridique qui permet aux mères sociales de faire reconnaître leur filiation sans mariage.

    Et s'il existait, pour les couples lesbiens, une autre solution que l'adoption pour faire reconnaître le lien de filiation avec leur enfant? C'est ce que pense les Enfants d'arc en ciel. Selon cette association homoparentale, les mères sociales pourraient faire établir leur lien de filiation grâce à la procédure juridique de la «possession d'état».

    Aujourd'hui, l'adoption par les couples de même sexe, permise par la loi sur le mariage pour tous, est présentée comme le seul moyen pour les couples homos de faire établir une filiation entre l'enfant et son deuxième parent. C'est dans ce but, beaucoup plus que pour des demandes d'adoptions d'enfants abandonnés, qu'est utilisée l'adoption par les couples de même sexe.

    Prenons l'exemple d'un couple de femmes ayant effectué une PMA à l'étranger ou une insémination artisanale. Pour établir un lien juridique entre l'enfant et sa mère sociale (par opposition à la mère biologique, qui a accouché et pour qui la filiation est donc déjà établie), un couple lesbien, s'il est marié, peut faire une demande d'adoption auprès de la justice. Si l'établissement de ce lien de filiation est si important, c'est que c'est lui qui permettra à la mère sociale d'exercer son autorité parentale, de faire hériter son enfant, ou encore de ne pas en perdre la garde en cas de décès de la mère biologique.

    Mais, selon les Enfants d'arc en ciel, l'adoption ne serait pas la seule solution et la procédure de la possession d'état pourrait, en principe, également être utilisée par les couples de femmes.

    Une procédure peu utilisée par les couples hétérosexuels

    Dans le cadre d'un couple hétérosexuel, il existe plusieurs solutions pour établir la filiation entre l'enfant et le père, les deux plus utilisées étant la présomption de paternité (dans le cas d'un couple marié) et la reconnaissance (dans le cas d'un couple non marié).

    Il est également possible de passer par la possession d'état. Peu utilisé,

    ce dispositif permet «la prise en compte de la réalité vécue du lien de filiation» explique le site du ministère de la Justice.

    Concrètement, le «prétendu parent» va demander à un-e juge de tribunal d'instance de dresser un acte de notoriété pour établir la possession d'état. Pour justifier sa demande, il va devoir réunir un ensemble de faits qui prouvent qu'il exerce bien un rôle de parent auprès de l'enfant et qu'il est reconnu comme tel par l'entourage. C'est-à-dire qu'il possède bien «l'état» de parent. Cette filiation est donc complètement déconnectée de tout lien biologique. D'où son utilité potentielle pour les mères sociales.

    «L'adoption ne résout pas tous les cas.»

    «Ce mode d'établissement de la filiation nous intéresse car l'adoption ne résout pas tous les cas», raconte à BuzzFeed France Nathalie Allain Djerrah, la présidente des Enfants d'Arc en ciel.

    «Pour adopter, un couple doit nécessairement être marié et certains couples n'en ont pas envie. Il y a une vraie atteinte à la liberté matrimoniale. Nous avons énormément d'adhérentes qui nous disent "on se marie pour adopter, on ne se serait pas mariées sinon".

    Autre cas où cela peut poser problème: les couples séparés.

    «La mère sociale ne va pas pouvoir faire reconnaître le lien juridique avec son enfant via l'adoption. Il y a beaucoup de cas de femmes séparées qui ne voient plus du tout leur enfant, car elles sont en conflit avec la mère biologique. On est vraiment face à des drames humains.»

    Selon la militante, il y aurait eu des cas de couples séparés qui, s'entendant toujours bien, auraient décidé de se marier afin de pouvoir obtenir l'adoption, et divorcer ensuite. «Des parents, qui ont à cœur de protéger l'intérêt de l'enfant, vont devoir s'orienter vers ce type de procédures», regrette-t-elle.

    «Notre but c'est de ne laisser aucun enfant au bord du chemin. Donc on travaille sur cette autre option par possession d'état qui pourrait être une solution à ces cas.»

    Thomas Linard, porte-parole de l'Inter-LGBT en charge des questions familles va dans son sens. Pour l'auteur de Filiation dès la naissance, où il expose sa proposition de loi pour réformer la filiation, «l'utilisation de la possession d'état par les couples de femmes est théoriquement possible dans les textes.»

    Désaccords sur l'interprétation des textes juridiques

    Ainsi, les Enfants d'arc en ciel pointent que les différents écrits concernant la possession d'état dans le Code civil ne la réservent pas aux couples hétérosexuels.

    Mais si ce recours leur semble possible dans les textes, son succès ne peut être garanti: un-e juge peut très bien refuser de constater la possession d'état. Car les analyses juridiques divergent. Contactée par BuzzFeed, la Direction de l'information légale et administrative (Dila) n'est pas du même avis que l'association. Selon elle, «dans le cas d'un couple homosexuel, la filiation du "second parent" ne peut être établie que par adoption». Pour justifier son point de vue, cette direction s'appuie sur l'article 6-1 du Code civil, qui dispose que:

    «Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe.»

    Les textes concernant la possession d'état se trouvent en effet dans le titre VII du livre 1er du Code civil.

    Mais pour Maître Sara Khoury, sollicitée par les Enfants d'Arc en ciel sur cette question, cet «argumentaire paraît erroné». «La filiation par possession d'état est une filiation "sociale" ou "sociologique" qui ne découle ni du mariage des parents, ni d'une adoption.» Selon l'avocate, peu importe donc que le code civil précise que le mariage et la filiation adoptive confèrent les même droits aux couples homos «à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier». Car, de toute façon, «le mariage et la filiation adoptive n'ont aucun effet sur l'établissement de la possession d'état».

    «Les services juridiques de la Dila semblent avoir des difficultés à penser l'homoparent en dehors du couple marié et à voir l'homoparent social comme un simple parent social. Le renvoi systématique à sa condition de conjoint ou d'ex du parent légal est une vision qui n'a rien de juridique.»

    L'avocate avance un autre raisonnement juridique:

    «La question réelle est de savoir si la loi permet de créer un lien de filiation entre un enfant et une personne qui s'en prétend le parent, en sachant qu'elle n'a aucun lien biologique avec l'enfant. Peu importe son orientation sexuelle ou les relations qu'elle entretient ou aurait entretenues avec l'autre parent. Indiscutablement, sous certaines conditions, la possession d'état le permet.

    Le fait d'être ou d'avoir été en relation amoureuse ou sexuelle avec le parent légal de l'enfant n'est pas une condition à l'établissement d'une filiation par possession d'état, ce qui rend complètement indifférente l'orientation sexuelle du parent qui revendique la filiation.»

    Elle précise qu'avant la loi sur le mariage pour tous, la reconnaissance d'une filiation par possession d'état entre un enfant et son homoparent social était bloquée par le fait que le droit français n'admettait pas la possibilité d'avoir deux branches paternelles ou maternelles. Mais, pour elle, «désormais ce verrou a sauté». Thomas Linard détaille de son côté que l'établissement de la possession d'état n'est, par contre, pas possible en cas de GPA «qui, contrairement a la PMA pour les couples de femmes, a été explicitement interdite par la loi».

    Des mentions contestées sur les sites gouvernementaux

    Si, selon eux, la loi ne stipule pas que les homosexuels sont exclus de la reconnaissance de possession d'état, c'est pourtant bien le cas sur les fiches pratiques du site du ministère de la Justice et du site service-public.fr. Toutes deux spécifient que la possession d'état «ne concerne pas les couples homosexuels».

    Nathalie Allain Djerrah regrette ces mentions et explique que son association en a demandé le retrait au ministère de la Justice. «Notre demande remonte à 2014. Nous avons discuté de ce point avec les trois conseillères successives en droit de la famille de Christiane Taubira et elles nous ont assuré être de notre avis. On nous a affirmé que la chancellerie faisait la demande pour retirer la mention, mais elle est toujours là.»

    Une conseillère de Christiane Taubira a même écrit le 9 décembre 2015, dans un mail que BuzzFeed a pu consulter, que «le retrait de la mention ne devrait pas poser de difficulté juridique» et qu'une demande a été faite auprès «des services compétents». Sans suite pour l'instant.

    La présidente des Enfants d'arc en ciel précise tout de même que, si la possession d'état pour les homoparents permettrait une filiation hors mariage, elle ne réglerait pas tout. «Notre objectif final c'est une reconnaissance volontaire en mairie, donc non judiciarisée. Car, à partir du moment où il y a l'intervention de la justice, les parents sont soumis à l'arbitraire judiciaire et on continuera à avoir des inégalités entre les familles, selon le juge».

    Contacté par BuzzFeed et relancé à de nombreuses reprises, le ministère de la Justice n'a pas répondu à nos questions.