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    Un mois de suspension avec sursis pour la médecin qui ne veut «pas de femmes voilées»

    BuzzFeed News publie la vidéo d'une généraliste revendiquant le droit de ne pas soigner les femmes voilées. Le parquet avait classé l'affaire, mais le Conseil de l'ordre a décidé d'un mois de suspension avec sursis.


    Mise à jour le 28 octobre: L'audience de la chambre disciplinaire du Conseil de l’ordre de Rhône-Alpes s'est tenue le samedi 3 septembre. La médecin qui ne voulait «pas de femmes voilées» dans son cabinet a écopé d'un mois de suspension avec sursis, a-t-on appris vendredi 28 octobre.

    D'après nos informations, elle est sous le coup de deux autres procédures devant le Conseil de l'ordre. Joint par BuzzFeed, l'avocat de la victime, Me Maati, s'est dit satisfait de cette décision: «D'après la jurisprudence de ce Conseil de l'ordre, cette sanction est grave, même si c'est du sursis.»


    Info BuzzFeed News - Le 12 mai prochain, une médecin généraliste filmée en train de revendiquer le droit de ne pas soigner les femmes voilées passera en conseil de discipline devant l'ordre des médecins. Elle était également poursuivie en justice, mais le parquet a décidé de classer la plainte.

    Les faits ont eu lieu il y a un an. Le 16 juin 2015, Fatima, qui a demandé à ce que son prénom soit modifié «pour garantir sa sécurité et celle de ses enfants», se rend chez son médecin en Isère pour des problèmes de tension.

    «J'avais une très faible tension depuis quelques jours, je suis allée aux consultations sans rendez-vous, mais le docteur habituel était en congé. C'est sa remplaçante qui m'a reçue», témoigne cette mère de quatre enfants. La docteure Marie, dont nous avons aussi modifié le prénom, la reçoit pour l'examiner.

    Musulmane, Fatima porte un petit foulard rose pour couvrir ses cheveux, mais précise «l'avoir retiré une fois installée dans le cabinet». Elle raconte la suite:

    «La médecin semblait un peu pressée. Elle m'a pris la tension sans relever ma manche et ne m'a pas examinée davantage alors que je voulais comprendre pourquoi je me sentais mal depuis un moment.»

    «Je ne veux plus de femmes voilées en France»

    Selon elle, le docteur Marie a rédigé une ordonnance pour prescrire de l'Heptamyl, un médicament censé lutter conte l'hypotension. «Sauf que j'ai tout de suite précisé que j'étais intolérante à ce médicament, mais elle ne voulait pas me préscrire mon médicament habituel et m'a dit: "Ça vous fera 23 euros"», dit Fatima.

    C'est là que la discussion s'emporte. La docteure aurait déchiré l'ordonnance et dit à Fatima que de toute façon «elle n'aime pas les femmes voilées». La patiente sort alors son portable et lui demande de pouvoir filmer la scène. La médecin accepte et ne semble pas dérangée:

    BuzzFeed News a visionné l'intégralité des vidéos prises avec le téléphone portable de Fatima et en a sélectionné une partie, en masquant le visage des protagonistes. 

    «Je vous en prie, surtout. Surtout portez plainte, au moins qu'on médiatise un peu la chose.» «Pourquoi», lui demande Fatima: «Parce que je ne veux plus de femmes voilées en France», répond-elle.

    «Elle m'a accusée de ne pas avoir voulu payer la consultation, mais à aucun moment je n'ai dit que je ne voulais pas payer. J'ai juste voulu comprendre pourquoi elle refusait de me prescrire mon médicament habituel.»

    Pour regarder la vidéo >> cliquez ICI

    L'examen de son fils bâclé car sa mère est voilée

    Dans une seconde vidéo, la médecin reconnaît tous ses propos discriminatoires:

    «- Je vous ai dit de ne (pas) me donner du l'Heptamyl, vous m'avez dit de ne pas être voilée dans votre cabinet madame?

    - Voilà. Je maintiens. Je maintiens.

    - Vous maintenez quoi madame?

    - Je maintiens que j'ai dit que je ne voulais pas de femmes voilées dans mon cabinet.

    - Et pourquoi ?

    - Parce que c'est un signe ostentatoire religieux, c'est illégal.»

    Au fil de la discussion, le médecin insiste sur son refus de soigner les femmes voilées alors même que la loi autorise toute citoyenne à porter le voile dès lors qu'elle n'est pas une fonctionnaire dans le cadre de son travail et lorsqu'il ne s'agit pas d'un niqab ou d'une burka. La patiente lui a également fait remarquer à plusieurs reprises qu'elle «bafouait le serment d'Hippocrate».

    Lorsque Fatima lui oppose qu'elle est Française, la généraliste répond «pas vraiment non». Elle ajoute en regardant la patiente voilée:

    «Vous êtes un scandale pour toutes les femmes (...) oui, si j'étais installée, oui, ce serait marqué sur ma porte (le refus des femmes voilées, ndlr).»

    Ensuite, la docteure Marie admet à Fatima qu'elle a bâclé la consultation de son fils quelques jours avant, justement parce que sa mère était voilée.

    Le parquet classe la plainte en novembre dernier

    Juste après cette altercation, Fatima se rend à la gendarmerie pour déposer plainte, mais est transportée d'urgence à l'hôpital après avoir fait un malaise.

    La plainte que nous avons pu nous procurer sera donc enregistrée le 17 juin à 14h50. Fatima fait retranscrire également aux gendarmes ses trois vidéos et donne l'attestation d'un autre docteur présent au cabinet la veille et témoin de la scène, qui a confirmé à BuzzFeed News le déroulé de la scène. Mais le 4 novembre dernier, le parquet de Chambéry, qui n'a pas donné suite à nos appels, décide de classer sans suite.



    Un lien entre voile et terrorisme pour la médecin

    La patiente a également signalé cet incident au Conseil national de l'ordre des médecins de l'Isère. Interrogée par le Conseil, la médecin affirme que Fatima refusait de payer la consultation, qu'elle était «voilée de noir et porteuse d'une grande robe noire informe» et «extrêmement agressive, me toisant avec des yeux pleins de haine».

    Dans les vidéos que nous avons consultées, à aucun moment la patiente –qui porte un voile rose sur un bandeau noir– ne se montre insultante.

    Dans son argumentaire envoyé à l'ordre des médecins que nous avons aussi consulté, le docteur reconnaît avoir dit à sa patiente «qu'elle était voilée, ce qui est illégal en France». «Son comportement me faisait craindre qu'elle n'appartienne à une mouvance terroriste», ajoute-elle. Elle conclut son courrier en liant un acte terroriste à «l'atmosphère» de la région:

    «Le 26 juin, à une trentaine de kilomètres de ce cabinet, un chef d'entreprise a été décapité par un de ses employés musulman, mécontent d'avoir été réprimandé, illustrant ainsi l'atmosphère délétère de cette région.»

    «Je ne comprends pas trop le Conseil de l'ordre»

    Le Conseil de l'ordre d'Isère qui a organisé une séance de conciliation a estimé après avoir visionné les vidéos, que lors de cette altercation «chacune des parties» a tenu l'autre pour responsable et a constaté «l'obstination» de la médecin, mais aussi «l'agressivité» de la patiente. Dans sa lettre, il n'évoque à aucun moment des propos éventuellement discriminatoires.

    La docteure passera tout de même devant la chambre disciplinaire du Conseil de l'ordre de Rhône-Alpes le 13 mai prochain, à «huis clos», «compte tenu du caractère médiatique potentiel» de l'affaire, précise le courrier de l'ordre.

    «Je ne comprends pas trop la réaction du Conseil de l'ordre», regrette Fatima: «Ils disent que j'ai été agressive, alors que selon moi c'est le docteur qui l'a été. Je ne l'insulte pas, mon seul tort est d'avoir parfois levé la voix car je me suis sentie vraiment humiliée». Elle ajoute:

    «Je ne voulais pas médiatiser l'affaire. j'ai attendu un an, j'ai refusé de donner la vidéo à certaines associations, mais lorsque le parquet a classé ma plainte et comme je ne sais pas si cette médecin sera sanctionnée, je crois que c'est la seule solution. Je veux juste que plus jamais aucune femme voilée ne vive ce que j'ai vécu.»

    De son côté, le président du Conseil national de l'ordre des médecins d'Isère explique à BuzzFeed News «qu'ils n'étaient pas là pour juger». Il ajoute:

    «Nous n'avons vu qu'une partie de la vidéo, on a refusé de regarder la suite. Nous n'avons pas retenu le caractère discriminatoire des propos. Nous avons tenté une conciliation, comme elle était impossible, c'est à la chambre disciplinaire régionale de trancher.»

    La docteure Marie, «connue comme le loup blanc»

    Contactée par BuzzFeed News, la médecin habituelle du cabinet qui s'était faite remplacer par le docteur Marie précise avoir immédiatement mis fin au contrat de remplacement après avoir été informée de ce qu'il s'était passé. «Je ne la connaissais pas, elle me remplaçait quelques semaines», explique-t-elle. Et d'ajouter:

    «Dès que j'ai été mise au courant de cet incident, par ma secrétaire qui était très choquée, j'ai mis fin à son contrat, ce qu'elle a d'ailleurs accepté. Je ne pouvais pas la garder, cela ne correspond en rien à mes valeurs.»

    Un médecin d'un autre cabinet de la région (qui souhaite garder l'anonymat) dénonce l'attitude du Conseil de l'ordre. «Cette docteure est connue comme le loup blanc ici. Ce n'est pas la première fois qu'il y des problèmes entre elle et ses patients. Je me demande pourquoi l'ordre des médecins n'agit toujours pas. Ce qui la sauve, c'est qu'elle fait des remplacements de courte durée un peu partout, mais tout ça est très grave», dénonce-t-il.