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    Refus de faire cours à des filles voilées? L'IUT de Sceaux s'explique

    Une enseignante a été accusée de refuser de faire cours à des filles voilées, mais plusieurs témoignages recueillis par BuzzFeed News nuancent cette version des faits.

    La polémique a démarré après la publication du tweet d'une étudiante de l'institut universitaire de technologies à Sceaux dans les Hauts-de-Seine. Selon elle, une enseignante de droit aurait été huée par de nombreux élèves en amphitéâtre après avoir refusé de donner cours en présence de filles voilées.

    Après ce message, des centaines de tweets d'indignation ont été postés et un article du Figaro, reprenant le témoignage d'étudiants, a été publié.

    Devant l'IUT mercredi 16 septembre, quelques étudiants ont «vu l'emballement sur Twitter», mais ne savent pas tout ce qui s'est passé. Une seule chose est sûre, selon ces élèves: l'enseignante a pris à part une étudiante voilée au début du cours.

    Une étudiante de GEA2 (gestion des entreprises et des administration de première année), présente au cours magistral de droit privé de mercredi et qui souhaite conserver l'anonymat «pour ne pas avoir de problèmes avec la direction», livre plus de détails:

    «Nous avions cours de 8h à 10h, mais lorsque l'enseignante est arrivée, elle est allée parler dehors à une étudiante voilée qui était assise au premier rang. Elles se sont absentées plus de 10 minutes. Lorsque la prof est revenue, elle a été huée puis elle a dit "le cours n'aura pas lieu" et a quitté l'amphi».

    Jérôme (le prénom a été modifié) également présent à ce cours, confirme ce témoignage et poursuit:

    «Je pense que l'enseignante de droit a été huée surtout parce que nous nous étions tous levés super tôt pour rien du tout. Après, quelques uns sont allés voir la fille voilée pour savoir ce qui avait été dit. On sait que c'était à propos de son voile, mais on ne sait pas exactement ce que la prof lui a demandé. Finalement le cours a repris comme si de rien n'était et la fille voilée, qui n'était pas la seule dans l'amphi d'ailleurs, est restée.»

    Le cours a finalement eu lieu et l'élève y a assisté, voilée.

    En plus de ces deux témoins, nous avons contacté deux autres élèves par téléphone, mais aucun d'eux ne sait exactement ce que l'enseignante a demandé à la jeune fille. Certains assurent que la professeure a déclaré «être féministe» et voir dans le voile «un signe de soumission», quand d'autres démentent cette version.

    L'article du Figaro assure par ailleurs que l'enseignante visait non pas une seule étudiante voilée mais plusieurs, et qu'elles n'ont au final pas assisté au cours. Nous n'avons pas pu savoir si d'autres élèves étaient concernées, mais l'étudiante voilée qui a discuté avec l'enseignante a, elle, assisté à l'intégralité du cours selon les étudiants rencontrés ainsi que la direction de l'IUT.

    Un membre du BDE (bureau des élèves) précise que cette étudiante «est plutôt réservée» et qu'elle «ne souhaite pas avoir de problèmes, ni trop ébruiter l'histoire». Selon une autre de ses camarades, «elle a plutôt tendance à dire qu'il n'y aucune polémique et qu'on ne lui a pas demandé d'enlever son voile».

    L'étudiante concernée n'a pas souhaité nous parler.

    Interrogé, le secrétariat a d'abord nié les faits, parlant «de rumeurs infondées», avant que la responsable des GEA2 admette:

    «Il y a eu une discussion entre l'enseignante et une étudiante car elle lui demandait de mettre son voile d'une manière différente. Elle voulait que l'étudiante laisse au moins entrevoir son cou. Mais le cours n'a pas été interrompu.»

    Un autre membre de l'équipe pédagogique ajoute:

    «Nous sommes très attachés à la loi et il y a plein d'étudiantes voilées, ce qui n'a jamais posé de problème. Un examen a même été déplacé pour qu'il ne coïncide pas avec l'Aïd-el-Kébir (une fête religieuse musulmane, ndlr). Le voile est autorisé à la fac comme dans les IUT, personne ici n'a demandé à une étudiante de l'ôter».

    Une autre étudiante voilée scolarisée depuis 2 ans à l'IUT nous a dit que «l'établissement a toujours respecté les musulmans et qu'il n'y a jamais eu de souci avec le port du voile».

    Interrogée par BuzzFeed France, l'enseignante de droit n'a pas souhaité commenter cette affaire.

    Le directeur de l'établissement Jean-Gilles Mbianga, a accepté de nous rencontrer ce jeudi, après avoir convoqué l'étudiante et eu l'enseignante au téléphone. Il confirme la version de son secrétariat:

    «Je vais publier un communiqué de presse, mais je me suis entretenu avec l'étudiante et avec l'enseignante et je peux dire que les versions sur les réseaux sociaux sont fausses. Même l'étudiante se dit étonnée par ces affabulations. Lors de ce cours de mercredi, la professeure de droit et l'élève ont discuté de manière informelle en dehors de l'amphi. C'était une discussion courtoise et privée, où en effet elle demandait à l'élève de dégager son cou. L'étudiante a refusé et c'est son droit, mais l'affaire est close.»

    Jean-Gilles Mbianga confirme aussi que l'enseignante a bien souhaité interrompre son cours avant de se raviser. Selon lui, cette décision n'était pas liée au refus de l'étudiante de modifier sa façon de porter le voile:

    «Lorsque l'enseignante est entrée, elle a été huée. C'était plus une question d'amour propre, elle s'est ressaisie puis a repris son cours. D'ailleurs elle donne des cours à d'autres filles voilées et il n'y a jamais eu de problème. Et l'étudiante le confirme.»

    Dans les deux cas –que l'enseignante ait demandé à l'élève de retirer son voile ou de modifier sa façon de le porter– le directeur concède que ces injonctions ne sont pas justifiées.

    En effet, il n'existe aucune interdiction générale du port du voile dans les IUT, qui sont systématiquement rattachés à une université. Et le règlement intérieur de cet établissement le confirme, puisque seuls les «actes de prosélytisme sont interdits».

    Le directeur conclut:

    «C'est un faux procès que les gens font à l'IUT. Je suis extrêmement vigilant à appliquer la loi et cette enseignante qui travaille avec nous depuis des années également. Mais je vais identifier et convoquer la fille qui a posté le premier tweet pour lui expliquer l'impact que peuvent avoir les réseaux sociaux et la sensibiliser là-dessus».

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