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    Fantasmes et stéréotypes sur Hasna Aït Boulahcen, la «femme terroriste»

    La couverture médiatique de celle présentée à tort comme une «femme kamikaze» dit aussi beaucoup de choses sur nous.

    Hasna Aït Boulahcen, une Française de 26 ans, est morte dans l'appartement visé par l'assaut du Raid à Saint-Denis cinq jours après les attentats du 13 novembre.

    Celle qui a d'abord été présentée à tort comme la «première femme kamikaze de France» a vite suscité une curiosité exacerbée des médias et du grand public. Vendredi 20 novembre, son nom était plus recherché sur Google que ceux d'Abaaoud ou d'Abdeslam.

    La presse s'est rapidement interrogée sur le profil de cette jeune fille «entre vodka et niqab», son chapeau de cow-girl et ses états d'âmes.

    Au passage, certains publieront de fausses photos de la défunte, en niqab ou dans un bain moussant. Ces photos représentent en fait Nabila, une jeune monitrice d'auto-école qui habite au Maroc et qui n'a rien à voir avec les attentats de Paris.

    Pourquoi un tel emballement autour de la seule figure féminine au tableau? «D'abord parce qu'elle avait été présentée comme kamikaze», estime Elodie Mandel, responsable éditoriale de Closer.fr, qui a multiplié les articles sur la jeune femme:

    «Le fait que ce soit une femme nous a interpellé comme d'autres médias. C'est un personnage qui intrigue. (...) Les histoires qui touchent aux femmes touchent les lecteurs comme celle d'Hayat Boumeddiene, après Charlie Hebdo

    Notre perception de la «femme terroriste» n'est pas neutre, dit cependant Amel Boubekeur, chercheuse associée au Centre Jacques Berque à Rabat, spécialiste de l'islam politique:

    «D'abord, la médiatisation de son cas révèle une forme de psychose collective sur l'ennemi intérieur. Elle a été présentée comme une sorte de girl next door qui cache son jeu.

    Ensuite, on a pu voir que l'image de la femme voilée est toujours liée à la dangerosité et au terrorisme. Graphiquement, les photos où Hasna Aït Boulahcen a les cheveux au vent ont été associées à la liberté et celles où elle a un voile au terrorisme.

    Elle-même a d'ailleurs mis en scène son passage au voile comme si c'était un outil de gangsta rap. Mais est-ce que justement, en présentant le voile comme un élément de dangerosité, nous n'en ferions pas un élément de fascination pour des jeunes filles dans son cas?

    Par ailleurs, cela n'a choqué personne d'avoir présenté la photo d'une femme voilée -qui n'avait rien à voir- comme une terroriste. Cela traduit la peur du voile.»

    «Il y a eu une espèce d'onde de choc autour de cette femme qui est très intéressante», ajoute Céline Bardet, juriste spécialisée dans les questions de crimes de guerre.

    «Je comprends qu'elle suscite des interrogations, mais il y a une erreur fondamentale à penser que sous prétexte que la femme porte la vie, elle ne pourrait pas porter la violence mortifère ou être moins ouverte à la radicalisation.»

    Amel Boubekeur acquiesce:

    «On a l'image de la femme opposée à la guerre donc celles qui passent dans le conflit nous paraissent tout de suite plus monstrueuses. On a une lecture stéréotypée de la participation des femmes dans les conflits et pas une lecture politique. Or, leurs motivations ne sont pas forcément genrées. Ce qu'elles veulent, c'est aussi le pouvoir.»

    Dans le camp opposé aux terroristes, les femmes kurdes qui montent au front deviennent presque des icônes sur les réseaux sociaux pour leur féminité. Alors qu'elles étonnent peu au sein de la société kurde, où les femmes ont toujours eu un rôle important.

    BLOG: Meeting the #Kurdish women fighting #ISIS: https://t.co/n2jNvoK7xN

    Pour en revenir au terrorisme, voire une femme mêlée à des attentats est peu courant en France, mais beaucoup moins rare dans le monde, rappelle la juriste Céline Bardet:

    «Je travaille beaucoup sur les crimes de guerre et l'expérience, par exemple en Bosnie, prouve que les femmes peuvent être aussi barbares et cruelles que les hommes.

    (...) On a aussi des exemples récents dans le terrorisme et je ne serais pas étonnée de voir plus de femmes impliquées à l'avenir.

    Dans le cas de Boko Haram, les femmes restent aujourd'hui pour beaucoup des jeunes filles qui n'agissent pas en état de conscience, des victimes plus que des personnes pro-actives.

    En Irak, c'est moins clair. Il y a aussi des femmes très engagées dans le cadre de Daesh, et pas seulement des "femmes de".»

    La question de l'influence d'un tiers ou de «l'emprise» d'une drogue n'est pas illégitime, mais elle peut se poser aussi pour les terroristes de sexe masculin. En témoigne l'utilisation de drogues comme le Captagon.

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