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Consentants, même à moins de 15 ans : pourquoi la justice française est-elle en retard ?

L’acquittement d’un homme poursuivi pour viol sur une mineure de 11 ans réinterroge sur la nécessité d’un âge minimum en dessous duquel un enfant ne peut être considéré comme sexuellement consentant.

L’affaire choque et pose de nombreuses questions : poursuivi pour viol sur une fille de 11 ans, un homme, qui avait 22 ans au moment des faits, a été acquitté par la cour d’assises de Seine-et-Marne. Celle-ci n’a retenu aucun des éléments caractérisant un viol dans la loi : selon les jurés, l’acte, suite auquel la victime est tombée enceinte, n’a pas été commis avec «violence, contrainte, menace ou surprise».

Violée à 11 ans. Enceinte. Verdict pour le violeur : acquittement. France. 2017. Je vais vomir, je reviens.

Il y a un mois et demi, c’était le parquet de Pontoise qui, pour les mêmes justifications, décidait de poursuivre un homme pour «atteinte sexuelle» et non pour «viol» sur une mineure de 11 ans.

Deux décisions récentes qui posent question : faut-il inscrire dans la loi un âge minimum en-deçà duquel un enfant ne peut être considéré comme sexuellement consentant ? Interrogée à ce sujet, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, dit y réfléchir, alors qu’un flou juridique subsiste aujourd’hui. «Cela se jouera entre 13 et 15 ans», affirme-t-elle, tandis que le Haut-Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) préconise de fixer un âge minimum de consentement à 13 ans. Mais la France en semble pourtant loin, contrairement à d’autres pays européens.

«Une personne, même mineure, est présumée consentante»

En France, la majorité sexuelle, fixée à 11 ans en 1832, a été repoussée à 13 ans en 1863, puis à 15 ans en 1945. En l’état actuel, un acte sexuel «sans violence, contrainte, menace ni surprise» entre un adulte et une personne de moins de 15 ans représente une «atteinte sexuelle», punie de cinq ans d'emprisonnement maximum (sauf circonstances aggravantes).

Consentement présumé

À l'inverse, «pour les viols et les agressions sexuelles, une personne, même mineure, est présumée consentante», explique Catherine Le Magueresse, juriste et ex-présidente de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Autrement dit, pour faire qualifier un acte sexuel d'agression sexuelle ou de viol, il appartiendra à la victime de prouver qu'elle n'était pas consentante, et ce qu'elle ait 12 ou 20 ans. Or, le consentement n'est pas défini en tant que tel dans la loi : pour ce faire, le ministère public devra mettre en avant l'absence de «violence, contrainte, menace ou surprise».

Pourquoi la majorité sexuelle n’a-t-elle pas été automatiquement appliquée aux viols et agressions sexuelles, au lieu de ne prendre en compte que les «atteintes sexuelles» ? «Cela reflète les préjugés de l’époque, selon lesquelles les filles ont tendance à mentir. Il ne faudrait pas, par conséquent, leur permettre d’attaquer n’importe qui pour viol. Au départ, le seuil pour l’atteinte sexuelle était de 11 ans, car au-delà les filles deviennent des séductrices, c’est bien connu !», ironise Catherine Le Magueresse. Et d’ajouter : «La France est un peu un dinosaure de ce point de vue-là.»

Le «dinosaure» a depuis un peu évolué, fait remarquer le HCE dans son avis du 5 octobre 2016 : «À partir de 2005, la Cour de cassation a retenu que la surprise ou encore la contrainte étaient constituées pour les très jeunes victimes mineures en raison de leur défaut de discernement. Dans le droit fil de cette jurisprudence, la loi du 8 février 2010 a introduit l’article 222-21-1 qui permet au juge de se fonder sur la différence d’âge entre une victime mineure et l’auteur des faits pour caractériser la contrainte». Encore faut-il préciser que, dans l'affaire à l'origine de la décision de la Cour de cassation, en 2005, «les enfants avaient entre 18 mois et 5 ans...», commente Catherine Le Magueresse.

Le HCE nuance également : «En revanche, la question de l’établissement d’une présomption d’absence de consentement de l’enfant victime d’un acte sexuel n’a jamais été abordée, ni a fortiori le seuil d’âge en dessous duquel un-e enfant n’est pas en capacité de consentir. Or de nombreux pays du monde occidental, particulièrement sur le continent européen, ont posé dans leur législation une présomption irréfragable d’absence de consentement d’un-e mineur-e victime d’actes sexuels.»

Une présomption de non-consentement fixée entre 12 et 16 ans

La plupart des pays qui nous entourent ont fixé un âge en-dessous duquel une personne est considérée automatiquement comme non-consentante.

L’Espagne qui était, avec le Vatican, l’Etat européen avec la majorité sexuelle la plus basse — respectivement 13 et 12 ans — a récemment reporté cet âge à 16 ans. Mais cela ne signifie pas que toute relation sexuelle avec une personne de moins de 16 ans est automatiquement qualifiée de «viol», puisque l’âge de la majorité sexuelle est bien supérieur à celui de la présomption de consentement, fixé à 12 ans.

Cet âge est également fixé à 12 ans aux Etats-Unis, tandis que la plupart des pays européens l’ont établi entre 14 et 16 ans. Il est de 14 ans en Autriche, en Belgique et Italie, de 15 ans en Islande et au Danemark, et de 16 ans en Suisse et aux Pays-Bas, détaille l’avis du HCE.

En Angleterre, toute personne ayant un rapport sexuel avec un jeune de moins de 16 ans — qu’il s’agisse de pénétration, de sexe oral ou de masturbation — est passible de poursuites criminelles.

L’exemple précurseur du Canada

De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada est particulièrement avancé sur cette question, met en avant Catherine Le Magueresse : dès 1992, le pays a ainsi modifié son code criminel pour donner une définition précise du consentement sexuel. Il énonce : «Le paragraphe 273.1(1) définit le consentement comme l'accord volontaire du plaignant de se livrer à une activité sexuelle. La conduite qui ne comporte pas d'accord volontaire à se livrer à une activité sexuelle ne constitue pas un consentement en droit.» Au-delà, le paragraphe suivant énonce les situations spécifiques où il ne peut y avoir de consentement d’un point de vue législatif :

  • l'accord est manifesté par des paroles ou par le comportement d'un tiers ;
  • il est incapable de le former ;
  • l'accusé l'incite à l'activité par abus de confiance ou de pouvoir ;
  • le plaignant manifeste, par ses paroles ou son comportement, l'absence d'accord à l'activité ;
  • après avoir consenti à l'activité, il manifeste, par ses paroles ou son comportement, l'absence d'accord à la poursuite de celle-ci.

En s’appuyant sur l’exemple canadien, «il faut non seulement instaurer un âge en-dessous duquel un enfant sera automatiquement considéré comme non-consentant, mais surtout revoir les définitions légales du viol et des agressions sexuelles», estime Catherine Le Magueresse. «La notion de consentement doit être inscrite dans la loi et basée sur un accord volontaire et libre», défend-t-elle. C’est également ce que préconise la Convention d’Istanbul, d’ailleurs ratifiée par la France en 2014.

«Beaucoup de pays basculent vers l’approche du consentement positif qui doit être recherché, comme aux Etats-Unis, où de nombreux États ont évolué sous les pressions populaires», met en avant Catherine Le Magueresse. Elle ajoute : «Au Canada et en Angleterre, les changements sont clairement dus à des mobilisations féministes.» A Paris, un rassemblement est prévu ce mardi 14 novembre, pour justement réclamer un réel changement de loi sur ces questions.