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    Comment les réfugiés essayent de retrouver leur famille grâce à Facebook

    BuzzFeed News s'est entretenu avec des réfugiés qui se servent de Facebook pour retrouver les proches dont ils ont été séparés en chemin pour l'Europe.

    «S'il vous plaît, j'ai besoin d'informations au sujet de cet enfant.

    Elle s'appelle Mena Falah Hasan, elle a 9 ans. Elle était sur un bateau percuté par un ferry le dimanche 20 septembre dans les eaux turques lors de sa traversée vers la Grèce.

    Est-ce que quelqu'un peut m'aider?»

    Il y a deux semaines, Mohammed Al-Amr postait ce message sur une page Facebook compilant des avis de recherche de réfugiés. Il demandait si quelqu'un avait vu sa nièce de 9 ans, Mena, photographiée ci-dessus. La fillette était palestinienne et venait de Bagdad, en Irak. Elle était sur un bateau traversant la Mer Égée entre la Turquie et l'île grecque de Lesbos, le 20 septembre. Cette route, des milliers de réfugiés l'ont empruntée ces derniers mois afin de fuir des pays déchirés par la guerre et de gagner l'Europe. Son père, Falah, avait été obligé de s'exiler en Suède avec sa famille, dont ses deux filles, Tabaruk et Mena, sa mère et sa sœur. La mère de Mena allait rester pour sa part à Bagdad, où elle espère sa fille en vie.

    Ce message fait partie des centaines postés sur la page Facebook Search and Find Refugees. En la faisant défiler, des visages d'hommes, de femmes, d'enfants, de familles, de jeunes et de vieux apparaissent. A côté des photos, des descriptions précisent les noms des personnes, leur âge et quand elles ont été vues pour la dernière fois au cours de leur périple vers l'Europe occidentale.

    Depuis que la crise des réfugiés s'est aggravée cet été, Facebook est devenu le principal canal de recherche pour ceux espérant retrouver leurs proches. Le réseau social compte désormais beaucoup de pages et de groupes, dont se servent des dizaines de milliers de gens. Toutes les heures, de nouveaux posts arrivent et les photos et les vidéos sont partagées des milliers de fois.

    «Mena et les autres sont montés sur un canot pneumatique avec 46 réfugiés», explique Al-Amr à BuzzFeed News. «Le canot a été percuté par un ferry avant d'arriver sur l'île. Il a coulé et beaucoup sont morts ou ont disparu. D'autres ont survécu, comme le père de Mena. Il a été blessé lors de la collision. Quelques jours plus tard, il a récupéré les cadavres de sa fille, Tabaruk, et de sa sœur. Il les a enterrées en Turquie, mais sa fille Mena et sa mère, elles, restent introuvables».

    Les messages sur cette page – comme sur les nombreuses autres dédiées à la crise des réfugiés – sont laissés par ceux qui, désespérés, sont à la recherche de leurs proches. Des proches qu'ils ont perdus lors de leurs traversée des frontières. Sur les pages Facebook, les annonces sont courtes, mais très fortes: elles sont écrites par des pères cherchant leurs enfants, des frères à la fratrie incomplète, des femmes séparées de leurs parents. De temps en temps, des humanitaires ou des habitants des pays d'accueil écrivent pour eux, en donnant des détails permettant de reconnaître le disparu.

    «Jafri, 19 ans, originaire du Pakistan, cherche son frère Muhammad. Ils ont été séparés par la police à Kelebia. Jafri a été placé dans le camp de Debrecen, en Hongrie, en juillet. Ils se font fait voler et sont arrivés en Hongrie sans argent ni téléphone. Il n'a plus eu de nouvelles de son frère depuis».

    «Khaled, 50 ans, originaire de Syrie, cherche désespérément sa famille: Naylem, 40 ans et leurs trois enfants, Mayas (12 ans), Omar (8 ans) et Obadia (6 ans). Ils ont été séparés à Röszke, au passage de la frontière. Il pense qu'ils ont été emmenés à Vienne».

    «Maintenant, qu'est-ce que je peux faire d'autre?»

    Le désir de venir en aide aux réfugiés – de la part d'Européens, mais aussi d'autres personnes fuyant elles-mêmes la guerre et la pauvreté – est manifeste. Sous chaque post, des internautes inquiets se demandent ce qu'ils peuvent faire, à part partager la photo. Dans de nombreux commentaires, on dit qu'on aimerait faire beaucoup plus, tout en pensant que le partage d'une image est déjà un acte de soutien. «J'ai partagé cette photo en arabe», dit un commentaire sous l'image de deux frères. «Maintenant, qu'est-ce que je peux faire d'autre?»

    Quand les temps sont désespérés, les gens s'accrochent à la moindre ressource capable de les secourir – et pour ceux espérant trouver refuge en Europe, l'internet est un choix évident. En fuyant de chez eux, beaucoup ont attrapé leur téléphone, en sachant pertinemment qu'il s'agissait là du seul lien vital capable de les guider vers une nouvelle vie, une vie plus sûre. Avec des téléphones, ils peuvent échanger des numéros, aller sur Facebook et WhatsApp pour trouver des informations et se suivre réciproquement sur Twitter, tant ce genre de connexion est susceptible de leur être cruciale. Ce qu'ils savent parfaitement.

    Ce que savent aussi les familles à la recherche de leurs proches sur Facebook, c'est que leurs chances de réussite sont très minces. Mais après des semaines, des mois et des années passés sous les bombes, à être déracinés, trimbalés de pays en pays et à lutter pour se trouver un nouveau foyer, leur optimisme ne peut que se fier à un inconnu qui, sur Facebook, va tenter de réunir leur famille et les aider à survivre.

    «Nous sommes à la recherche d'une femme, Zenap, 23 ans, et de son fils de 4 ans, Ferit. Ils projetaient d'aller en Allemagne via la Hongrie et l'Autriche. Après avoir été séparés, son mari l'a eue rapidement au téléphone et elle lui a dit qu'elle était arrivée en Autriche avec leur fils. Ensuite, la connexion a été interrompue et il n'a plus jamais eu de ses nouvelles. Qui sait comment retrouver sa famille?»

    Facebook est réputé pour être un site qui relie les gens entre eux aussi simplement que de manière sûre. «Tout nouvel inscrit sur Facebook rend le site meilleur en ajoutant une présence avec laquelle sa famille et des amis peuvent se connecter et se sentir plus proches», annonçait l'entreprise en 2009. En mars dernier, le site atteignait les 1,44 milliards d'utilisateurs actifs mensuels.

    Avec un si grand nombre d'utilisateurs, même trouver des connaissances peut se révéler être une tâche difficile. Et se servir du site pour retrouver des disparus n'est pas loin d'être une gageure. Sur Facebook, divers outils permettent de venir en aide aux victimes d'une catastrophe – il y a par exemple le «Contrôle d'absence de danger» grâce auquel les utilisateurs peuvent se définir comme «hors de danger» dans des zones touchées par des catastrophes naturelles. Un outil qui aura été très populaire, par exemple, lors du tremblement de terre au Népal en mai dernier. Récemment, Facebook a aussi promis d'offrir un accès à Internet gratuit dans de nombreux camps de réfugiés en Europe. Mais quelles sont les options qu'offre Facebook à ses usagers en cas de crise humanitaire, ou aux réfugiés qui ont perdu leurs proches?

    «Il n'y a qu'un clic de distance entre un réfugié et les autres utilisateurs»

    Ces derniers mois, les groupes dédiés aux avis de recherche des réfugiés ont connu une croissance exponentielle, et le paramètre de sécurité «public» permet un partage mondial à de nombreuses images. Ces groupes sont désormais des outils essentiels pour les réfugiés. Ils leur permettent de rester en contact les uns avec les autres, de partager des informations sur les pays dans lesquels ils projettent de s'installer ou ceux qu'ils traversent lors de leur périple.

    Mahmoud est l'administrateur d'un groupe dont l'objectif est de venir en aide aux réfugiés arrivant en Allemagne, notamment sur toutes les questions touchant à l'intégration. Il explique que son groupe – qui compte désormais 80 000 membres – est un «club» pour les Syriens. Sur cette page, ils peuvent discuter, partager leur histoire, des photos, des vidéos.

    «L'idée de ce groupe m'est venue en lisant des infos sur internet sur des Syriens entassés sur des bateaux de la mort à destination de la Grèce, des rafiots affrétés par des trafiquants d'êtres humains», explique Mahmoud. «Je ne voulais pas que ces Syriens se fassent exploiter. Je ne souhaite cela à personne».

    «Sur Facebook, il n'y a qu'un clic de distance entre un réfugié et les autres utilisateurs. Je cherche toujours des moyens positifs d'améliorer le monde. Je crois que le monde a pu nous aider grâce à Facebook et d'autres réseaux sociaux, et j'espère qu'il continuera de le faire».

    «Chers amis de Hongrie. La dernière fois que cet enfant a été vu, c'était il y a dix jours en Hongrie. Il est peut-être toujours là-bas. Sa famille est en Autriche, morte d'inquiétude. Ils ont deux autres enfants. S'il vous plaît, partagez cette photo. Ce garçon s'appelle Aeen, il a 2 ans et demi. Pour sa famille, la guerre n'est toujours pas finie. Merci de partager».

    «Ces frères viennent d'Afghanistan, Jawde (14 ans) et Selha (8 ans) ont perdu leurs parents en Macédoine durant des heurts entre la police et les réfugiés. Leur famille voulait aller en Allemagne. Leur père s'appelle Golmsakie. Si quelqu'un les cherche, merci de me contacter, ils sont en Hongrie»

    Ce n'est pas la première fois que des groupes Facebook apparaissent pour aider des réfugiés lors d'une crise humanitaire.

    En décembre 2013, quand les conflits s'étaient aggravés dans le Soudan du Sud, et avaient forcé des milliers de personnes à fuir vers les pays voisins, la Croix Rouge avait cherché des moyens de réunir les familles séparées au cours des violences. L'organisation humanitaire avait créé un site permettant aux internautes de poster des photos, et si jamais quelqu'un reconnaissait la personne sur l'image, il avait la possibilité d'alerter l'ONG en envoyant un message.

    Ce site et la page Facebook dédiée rassemblaient plus de 1600 photos d'adultes et d'enfants perdus, prises dans les camps de Gambella, en Éthiopie, et de Juba, au Sud-Soudan. In fine, plus de cent personnes avaient pu retrouver leurs proches. Depuis, l'organisation a soutenu, si ce n'est administré ce genre de pages, y compris celle nommée Search and Find Refugees, très populaire parmi les réfugiés d'Europe.

    Pour les réfugiés traversant l'Europe, une séparation peut être une épreuve des plus difficiles, précise Emily Knox, responsable du regroupement familial au sein de la Croix Rouge britannique.

    «La quête des réfugiés pourra durer des décennies et même ne jamais se terminer»

    «Pour beaucoup, le trajet est très dangereux et peut durer des semaines, des mois et même des années», ajoute Knox. «Le temps ne fait rien à l'affaire, ils veulent savoir ce qu'il est advenu de leurs proches. Les demandes les plus fréquentes que nous recevons datent de la Seconde Guerre Mondiale. C'est à ce niveau de gravité que seront confrontés les réfugiés actuels originaires de pays comme la Syrie. Leur quête pourra durer des décennies et même ne jamais se terminer».

    Knox qualifie ce genre de séparation de «deuil ambigu»:

    «Quand quelqu'un meurt, on sait ce qui s'est passé. Il y a des rituels, des processus qui aident à faire son deuil. Mais quand les gens sont séparés, ils sont dans l'inconnu, emprisonnés dans un entre-deux. Les proches qu'ils recherchent, jamais ils ne les auront réellement perdus».

    Quasiment deux semaines après sa traversée des eaux turques, Mena Hasan demeure introuvable. Si son oncle garde espoir, il sait que les chances de la retrouver sont très minces:

    «Je me rappelle combien elle adorait nager pendant les vacances d'été, sa passion pour les jeux vidéos qu'elle jouait sur mon ordinateur. Comment elle adorait aider à la cuisine. Ce sont mes plus beaux souvenirs. Sa mère ne vit que pour l'espoir de la retrouver vivante. Aujourd'hui, son père est parti à sa recherche en Turquie».

    Il dit avoir voulu partager sa photo pour «garder son souvenir intact», mais aussi pour venir en aide aux parents qui voudraient faire la traversée avec leurs enfants, leur faire comprendre que ce périple est très dangereux».

    «Ce que j'espère, quand on partage la photo d'un enfant disparu, c'est qu'on aidera des gens à trouver d'autres façons de venir en Europe».

    Traduit de l'anglais par Peggy Sastre

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