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    Loi travail: comment le web a pris de vitesse les syndicats

    C'est, pour l'instant, surtout sur le web que la mobilisation prend, notamment via une pétition signée plus de 600.000 fois.

    Ce vendredi 26 février, la pétition contre la loi travail a dépassé les 600.000 signatures, une semaine après son lancement. «C'est du jamais-vu», indique à BuzzFeed Benjamin des Gachons, directeur de Change.org France.

    «Cette pétition bat un certain nombre de records sur notre plateforme. C'est la pétition la plus signée de l'histoire de Change.org France.

    C'est aussi la pétition qui a obtenu le plus de signatures le jour de son lancement, avec 53.000 signatures le 19 février, et qui obtient le plus de signatures par jour en moyenne. Actuellement, elle représente à elle toute seule 20% du trafic vers notre site. À l'échelle mondiale, c'est la pétition Change.org la plus partagée ces 10 derniers jours.»

    Une mobilisation éclair

    La pétition, lancée dès le lendemain de la publication du texte dans la presse, est accompagnée d'un site -«Loi travail: non merci!», largement relayé, qui incite les internautes à interpeller les ministres sur Twitter.

    À l'origine de cette mobilisation: on retrouve une quinzaine de personnes et plus particulièrement Caroline de Haas et Elliot Lepers, qui s'étaient déjà fait remarquer avec des campagnes de mobilisation en ligne comme Macholand.

    Pour expliquer ce succès, le directeur de Change.org met en avant l'efficacité des pétitions en ligne, qui «permettent aux citoyens d'agir très rapidement, en réaction à l'actualité».

    «Il y a eu un effet boule de neige. Il y a aussi la caisse de résonnance des médias: on a observé un pic de signatures après le passage de Caroline de Haas sur le plateau du Grand Journal.

    Les opposants à la loi travail ont «bien su utiliser la possibilité d'envoyer des mises à jours aux signataires, pour les mobiliser, avec des "call to action" simples et clairs», juge-t-il.

    Ainsi, mardi 24 février, un message envoyé à tous les signataires proposait de participer à «une avalanche de tweets et de posts» grâce à la plateforme Daycause.

    L'attaque des YouTubeurs

    Depuis mercredi 24 février, une autre initiative en ligne mobilise les internautes: un collectif de YouTubeurs, dont Klaire fait Grr, Bonjour Tristesse, Usul ou Dany Caligula, a publié une vidéo dans laquelle ils dénoncent le projet. En moins de deux jours, la vidéo a déjà été vue près d'un million de fois sur Facebook et partagée plus de 29.000 fois.

    Là encore, on peut remarquer la rapidité de l'exécution. «On a commencé dimanche soir et on a bossé comme des tarés pour sortir la vidéo mercredi» confie à BuzzFeed Dany Caligula.

    «On avait remarqué qu'on faisait souvent, chacun de notre côté, des vidéos sur les mêmes sujets, avec un fond politique. On avait donc déjà un peu discuté, on avait une vague idée de collectif. Ce projet de loi a agi comme un catalyseur.

    Là, on s'est dit qu'on pouvait agir concrètement et qu'on pouvait donner une impulsion pour que les gens s'expriment, pour que ça aille au-delà.»

    Le collectif propose aux internautes de raconter leurs mauvaises expériences au travail avec le hashtag #OnVautMieuxQueÇa.

    ça avance sur #onvautmieuxqueca, j'espère qu'on pourra mettre en avant vos témoignages vidéo dès demain !https://t.co/nLkFXzDfvL

    «On est très contents de voir que ça a pris tout de suite. On reçoit des tonnes de messages. Les gens ont un vrai besoin de s'exprimer, il suffisait juste d'allumer l'étincelle» commente Dany Caligula.

    Pour Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence, qui analyse les conversations sur le web, «ce qui est intéressant avec cette vidéo, c'est qu'il s'agit d'un nouveau public qui prend la parole sur le sujet. Ce ne sont pas des blogueurs politiques, ce sont des influenceurs d'autres domaines qui vont sensibiliser leur audience sur ce sujet-là.»

    Comment expliquer le succès de ces actions en ligne?

    Pour Caroline de Haas, si la question des outils utilisés est importante, c'est avant tout la colère face à ce texte de loi qui explique l'ampleur de la mobilisation. «Il est hallucinant, il remet en cause notre dignité en tant que salarié. Donc ce n'est pas étonnant que les citoyens se mobilisent. Pour la déchéance de nationalité, les citoyens étaient mécontents mais, pour la grande majorité, ça ne les concernait pas directement. Là, on touche à notre vie quotidienne, c'est pour ça que ça fonctionne.»

    Même son de cloche pour Dany Caligula: «Le travail c'est le quotidien des gens. Et puis, il y a eu la loi Macron, la loi renseignement… Il y a un vrai mécontentement.»

    Reste qu'à travers ces actions, des citoyens ont su réagir beaucoup plus rapidement que les syndicats, qui apparaissent, en comparaison, un peu timides sur le sujet. La CGT a attendu mercredi 24 février pour annoncer l'organisation d'une journée d'action le 31 mars. Selon Libération, cette annonce, dans une note interne, a permis de rassurer une partie de ses adhérents qui trouvait la centrale peu offensive.

    Un appel à la grève générale «avec ou sans les directions syndicales» avait ainsi déjà été publié sur Facebook par trois militants. Il cumule déjà 27.000 «participants» et 45.000 personnes «intéressées». «Cet appel n'est pas à l'initiative d'une organisation. C'est un appel citoyen et militant» précise bien le texte de l'évènement.

    Le gouvernement semble avoir, lui, bien compris que la bataille se jouait pour l'instant sur le web. Jeudi 24 février, pour répondre aux critiques, Myriam El Khomri a laissé un commentaire directement sur la page de la pétition en ligne et le gouvernement a lancé un compte Twitter officiel pour le projet de loi.

    Las, l'initiative a massivement été moquée par les internautes.

    Bonjour Twitter, je suis le projet de #LoiTravail. On parle beaucoup de moi mais on me connaît mal. Et si on faisait connaissance ?

    Des syndicats dépassés par le web?

    Les syndicats seraient-ils en train de se faire doubler par ces mobilisations en ligne, comme semble le suggérer ce dessin?

    «Il ne faut pas opposer l'un à l'autre» avance William Matinet, président du syndicat étudiant l'Unef, qui a appelé à une journée de mobilisation dès le 19 février. «C'est un soutien, c'est une initiative qui va dans la même direction que nous.»

    Mais l'étudiant est bien conscient que, «puisque les jeunes se mobilisent sur le web, il faut que les syndicats le fassent aussi». Il décrit: «on voit que les nouvelles générations ont des formes d'action différentes des générations précédentes. On est un syndicat de jeunes et on est beaucoup plus connecté à ce qu'il se passe sur internet.» Le militant cite en exemple le Tumblr Ma salle de cours va craquer qui avait, selon lui, «bien marché».

    Du côté de la CGT, on s'estime dans les temps: «On n'est pas en retard dans la chronologie, le texte vient seulement d'être transmis au Conseil d'État» se défend Fabrice Angei, membre de la direction confédérale en charge du dossier.

    «Une lutte ça s'organise, ça prend du temps», avance-t-il. «Quand on veut construire un mouvement avec l'ensemble des organisations, il y a forcément des délais de validation qui sont plus longs qu'une expression de colère sur les réseaux sociaux.»

    Fabrice Angei insiste lui aussi sur la complémentarité des actions. «On n'est pas sur la même temporalité, chacun a ses registres d'action et ce n'est pas contradictoire.»

    Une réunion intersyndicale s'est tenue mardi 23 février. Un (maigre) premier consensus a été trouvé sur la demande du retrait du plafonnement des indemnités prud'homales.

    Un autre rendez-vous est prévu le 3 mars, mais les discussions entre les centrales ne s'annoncent pas simples. «On a des différences de tempo, il y a des syndicats qui considèrent qu'il faut d'abord discuter avec le gouvernement avant de se mobiliser, et d'autres, comme la CGT, qui considèrent que pour obtenir autre chose, il faut une journée d'action sans attendre le débat parlementaire» décrit Fabrice Angei.

    Reste que les mobilisations citoyennes augmentent la pression sur les syndicats. «Lors de la réunion intersyndicale de mardi, la pétition a été un argument que l'on a utilisé pour montrer qu'il y avait déjà des citoyens prêts à se mobiliser, et qu'il fallait se bouger» décrit le président de l'Unef.

    Fabrice Angei en est conscient: «le succès de cette pétition nous confère une grande responsabilité car on doit maintenant traduire un mécontentement en proposition de progrès social.»