Aller directement au contenu

    Lancement de Komitid, un site pour «montrer toutes les facettes de la communauté LGBT+»

    Dans un contexte morose pour la presse homo, ce nouveau site veut réussir à construire un modèle économique viable. Lancement prévu le 23 avril.

    À peine quinze jours après l’annonce de la liquidation judiciaire de Têtu, le magazine gay historique, un petit nouveau fait son apparition. Il s’agit de Komitid.fr, un site «LGBT+», c’est à dire lesbien, gay, bi et trans mais pas que, le symbole «plus» permettant de s’ouvrir à d’autres minorités, comme les personnes intersexes, par exemple.

    Komitid a déjà timidement montré le bout de son nez sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, et Instagram) avec quelques posts pour piquer la curiosité des internautes. Mais le site se lancera officiellement le 23 avril en fin d’après-midi pour les cinq ans de l’adoption de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe.

    À quelques jours du lancement, BuzzFeed News a pu rencontrer la rédaction pour en savoir plus sur ce projet encore très secret. Dans les locaux de la porte de Montreuil, à la frontière de Paris, l’ambiance est plutôt décontractée. Question décoration, un rainbow flag pendu sur l’armoire, des licornes, et des boutades queer gribouillées sur des petits papiers. À l'exception du rédacteur en chef âgé de 56 ans, l’équipe est très jeune, de 24 à 33 ans.

    «Nous voulons devenir le médias de référence sur ces sujets», explique Jean-Benoît Richard, le rédacteur en chef. Mais si l’ambition est bien là, l’équipe reste relativement modeste : six personnes, le rédacteur en chef et cinq journalistes. Une équipe paritaire et qui compte bien adopter dans ses papiers une écriture égalitaire, incluant notamment la règle de proximité.

    Des articles «qu'on ne trouve pas ailleurs»

    Le nom du site, un peu énigmatique au premier abord, a été trouvé par le plus jeune des rédacteurs. «J’écoutais la chanson Committed to the cause de The Radio Dept», explique Philippe Peyre. «Lors des brainstorms, on s’était dit qu’on pouvait "phonétiser" les noms qu’on trouvait.» Committed, du verbe anglais «s’engager», devient donc ainsi Komitid. «C’est une notion qui nous parlait. C’est l’engagement, la responsabilité vis-à-vis des lecteurs», complète le jeune picard.

    Côté ligne éditoriale, la rédaction met en avant trois grands axes. Tout d’abord, une couverture de l’actualité de la communauté LGBT, en France ou à l’étranger, tout ce qu’il y a de plus classique, de la politique au sport, en passant par la culture. «Mais on ne veut pas se limiter à ça», décrit Maëlle Le Corre, l'une des journalistes. Komitid veut aussi produire des articles «avec une forte valeur ajoutée», sur des sujets que les internautes «ne trouveront pas ailleurs».

    «On parle tout le temps de "la communauté LGBT", mais on ne sait jamais trop ce que c’est, c’est très nébuleux. Notre idée c’était d’aller chercher toutes les petites facettes de ce grand ensemble, montrer toutes les individualités, la diversité, les points de vue différents…», détaille-t-elle.

    Viendront s’ajouter aux articles de courts formats vidéos, face caméra, comme on en voit désormais un peu partout sur Facebook, et dont l’équipe espère qu’ils toucheront «la communauté LGBT + et au-delà» sur les réseaux sociaux.

    «Écrire les articles qu'on aimerait lire»

    Le jour où nous rencontrons l’équipe, Anne-Laure Pineau, une ancienne de Causette, travaille sur une grosse enquête sur les parcours trans, tandis que Fabien Jannic-Cherbonnel, passé par RFI et Slate, vient de finir un article sur l’impact du Brexit sur les personnes LGBT au Royaume-Uni. Côté pop-culture, on trouvera sur le site une analyse du queerbaiting — le fait de suggérer, sans jamais assumer, des relations homosexuelles dans une œuvre de fiction pour attirer de l'audience – dans Harry Potter ou encore une vidéo de la chanteuse Juliette qui égrène ses airs préférés.

    «En fait, travailler ici, c’est écrire les articles qu’on aimerait lire, des articles par et pour les personnes LGBT+, qui sortent des sentiers battus. Comme ceux qu'on lit plus souvent en anglais, mais qui ne sont donc pas accessibles à tout le monde», résume Olga Volfson, une autre journaliste. La rédaction regarde sérieusement de l’autre côté de l’Atlantique et cite pêle-mêle, parmi ses lectures, Them, le dernier-né du groupe de médias Condé Nast au contenu résolument queer, les médias féministes Broadly, Bust, Bitch, ou encore le magazine gay américain historique, The Advocate.

    Il faut dire qu’en France, le climat est un peu morose. Ces dernières années n’ont pas été faciles pour la presse LGBT+ dans l’Hexagone, avec plusieurs titres disparus. Têtu a été placé en liquidation judiciaire une première fois en 2015 avant d’être relancé, et à nouveau placé en liquidation judiciaire en février 2018 (le titre pourrait encore être racheté par un repreneur). En 2012, c’est Lesbia qui mettait la clé sous la porte, suivi par le magazine lesbien La Dixième Muse en 2013 (avant de renaître, mais en format numérique, sous le nom de Jeanne magazine), puis par Yagg, le site LGBT disparu à l’automne 2016 (dont plusieurs anciens travaillent aujourd'hui pour le site d'actu de l'app de rencontre gay Hornet).

    Comment trouver un modèle économique viable, tout en fournissant du contenu journalistique de qualité ? C’est l’équation difficile à laquelle se heurtent généralement les médias communautaires. Si la crise de la presse n'épargne pas les médias LGBT+, ceux-ci sont en plus handicapés par le fait que certains annonceurs ne veulent pas placer leurs encarts publicitaires dans ces médias spécialisés.

    Un site «freemium»

    Pour tirer son épingle du jeu, Komitid compte sur les abonnements pour compléter les revenus publicitaires. C’est le modèle «freemium» : le site sera gratuit, mais une partie des contenus (les enquêtes, les reportages, les grands entretiens) seront réservés aux lectrices et lecteurs ayant payé un abonnement (4 euros par mois, ou 40 euros à l’année). Yagg avait pourtant déjà tenté de mettre en place des abonnements en 2015, mais sans succès. Reste à savoir si Komitid ne risque pas de connaître le même sort :

    «On se lance d’emblée sur ce modèle-là, alors que Yagg l’a fait en cours de route, dans une idée de survie, c’est à dire dans des conditions qui n’étaient pas favorables. C’est compliqué de communiquer uniquement sur la survie d’un média. Là, on part dans une dynamique beaucoup plus positive, c’est l’avenir qui est devant nous !», objecte Maëlle Le Corre, ancienne rédactrice en chef adjointe de Yagg.

    Le projet est né l’été dernier, au sein de Connection, une société de services en informatique spécialisée dans le développement d'applications multimédia en ligne. «Créée en 1983, la société gère annuellement plus de 90 millions de minutes de téléphonie, et ses plateformes traitent en émission ou en réception plus de 5 millions de SMS/MMS», vante le site de l’entreprise. Jean-Benoît Richard, également directeur de la publication, précise :

    «Il y avait l'envie d’investir de cette manière le web, pour étoffer notre savoir-faire. C’est aussi un projet qui a une dimension commerciale, c’est un pari économique que fait la société.»

    Pour justifier cette volonté de créer un média LGBT, Jean-Benoît Richard cite de précédents services de Connection destinés aux homos comme le site gaypride.fr, qui donne des informations sur les marches des fiertés, ou encore des chatlines et applications téléphoniques de rencontre gays. «Et puis, il y avait déjà un lien avec la presse. L'actionnariat de Connection est au capital de plusieurs entreprises de presse, comme Médiapart ou Causeur, et a aussi été au capital de Yagg et de Terra Eco. Autrefois, Connection se comportait plus comme un investisseur. Là, nous voulions concrétiser un projet de l’entreprise», ajoute-t-il. Le propriétaire de Connection, Thierry Wilhelm, est en effet connu pour ses nombreux investissements dans la presse.

    Komitid se donne deux ans pour réussir. Le rédacteur en chef ne veut pas donner d’objectifs chiffrés, mais il se montre confiant malgré les précédents échecs dans la presse LGBT+ : «C’est à nous de faire nos preuves, et on va travailler très fort pour y arriver.»