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    Ce livre scientifique pour enfants est accusé d'être sexiste

    «Ce texte reprend le cliché le plus basique du sexisme, qu'il justifie par des arguments scientifiques faux», explique à BuzzFeed News un psychiatre qui a critiqué le livre. L'éditeur, L'École des loisirs, plaide l'humour.

    Le Mystère de la vie est un livre d'un auteur hollandais paru en octobre 2016 à L'École des loisirs. Il s'agit d'un livre de vulgarisation scientifique qui s'adresse aux enfants de 9 à 12 ans.

    «Ce livre est unique. Il met à la portée des enfants curieux l’univers et les questions complexes que nous nous posons à son sujet. Drôle, limpide, éclectique, précis, rythmé, il pourrait bien, à lui tout seul, éveiller de nombreuses vocations scientifiques…», décrit le site de la maison d'édition.

    Si ce livre a obtenu quelques bonnes critiques dans la presse, plusieurs internautes ont tiqué sur un passage de l'ouvrage intitulé «Pourquoi les femmes sont-elles de plus en plus belles, et pas les hommes?»

    Le 8 décembre, cette internaute a posté une photo du passage en question, après être avoir feuilleté le livre dans une librairie. «Je me dis "oh, ça a l'air cool", décrit-elle dans son post, mais en le feuilletant je tombe sur la page que je vous mets en image. WTF!!!!!!!»

    facebook.com

    Ce passage du livre commence de la manière suivante: «Les hommes choisissent souvent les plus belles femmes, alors que les femmes tiennent moins directement compte de l’apparence physique d’un homme.» Avant de continuer:

    «Elles trouvent, par exemple, plus important qu’il soit intelligent, qu’il ait un bon travail ou qu’il excelle dans un domaine ou un autre. Les jolies femmes trouvent donc plus vite un homme et ont plus vite des enfants. Parmi ceux-ci, les filles sont en général de plus en plus jolies. Les hommes n’ayant pas particulièrement besoin d’être beaux, les garçons restent à l’image de leur père, c’est à dire pas terribles…

    Les femmes sont-elles plus intelligentes que les hommes parce qu’elles ne choisissent pas seulement en fonction de l’apparence physique ? Pas forcément. Les jolies personnes ont souvent un visage symétrique. Cela signifie que le côté droit de leur visage est l'image inversée du côté gauche. C’est également un signe de bonne santé. Les hommes choisissent donc les plus belles femmes afin d’avoir une descendance plus saine. Malin, non?»

    Le post de Flora Grimaldi a été partagé plus de 600 fois...

    Facebook: tomae75

    ... et plusieurs personnes ont interpellé L'École des loisirs à ce sujet sur Facebook.

    Facebook: ecoledesloisirs

    Le 8 novembre, le psychiatre Philippe Aïm avait déjà interpellé L'École des loisirs au sujet de ce livre, dans un post Facebook également publié sur le blog Les Vendredis intellos.

    Facebook: 10154237125140208

    Dans ce long texte, il explique que, son fils étant abonné à L'École des loisirs, il a reçu un petit fascicule qui reproduit quelques pages du Mystère de la vie afin d'en faire la promotion.

    Ce psychiatre écrit qu'il «n’en revient pas» de lire «les erreurs, inexactitudes et autres approximations sur la théorie de l’évolution».

    Au-delà des inexactitudes, il se désole des «messages sexistes» du livre et indique «qu’on a pas besoin d’être militant féministe pour manquer de s’étouffer en le lisant».

    Il évoque également une «illustration sur la page d’en face» très caricaturale (ci-dessous) qui «représente censément les critères favorisés par la sélection sexuelle».

    «Ce paragraphe du livre est très réducteur, il exclut complètement l'aspect social et psychologique des relations humaines», commente-t-il à BuzzFeed News. Et de détailler:

    «Il reprend le cliché le plus basique du sexisme, qu'il justifie par des arguments scientifiques faux. C'est d'autant plus problématique que le livre est destiné à des ados et des pré-ados, et donc à un public qui peut être un peu fragile sur le plan de l'image de soi, de la découverte des relations aux autres et de la sexualité.»

    Évoquant le texte de Philippe Aïm, un autre blog, LUcie & Co, s'est fait l'écho des critiques sur Le Mystère de la vie le 14 novembre.

    L'auteure y pointe plusieurs «erreurs factuelles» (comme, par exemple, le chiffre des globules rouges) et précise qu'elle «n'aime pas le sexisme insidieusement semé dans les textes sous couvert de faire s'interroger ou de faire rire».

    «Pour ma part, je suis terriblement déçue», conclut-elle.

    Le 16 novembre, L'École des loisirs a fini par répondre à Philippe Aïm, dans un texte signé par la «direction éditoriale» qui précise que ses remarques seront «transmises à l’auteur».

    L'École des loisirs précise que «cet album n’a aucune prétention à l’enseignement scolaire ou universitaire».

    La maison d'édition met en avant son souci d’être lu par des pré-adolescents, dont «les capacités d’assimilation exigent des ellipses, des simplifications et surtout un ton parfois un peu "décalé", voire humoristique». En revanche, elle ne répond pas aux accusations de sexisme.

    Contactée par BuzzFeed News, l'École des loisirs dit regretter que ces critiques se concentrent avant tout sur un seul paragraphe et met en avant l'humour:

    «C'est de l'humour, commente l'attachée presse. Sorti de son contexte, je peux comprendre que cela soit choquant, mais quand on lit le livre, on prend toute la mesure de l'humour qu'il y a dedans.

    Il ne faut pas s'arrêter à ce paragraphe-là. Il faut le lire pour se faire sa propre opinion. C'est vraiment deuxième, troisième degrés. Aux Pays-Bas, un pays très progressiste, les auteurs n'ont pas été critiqués. »

    Sur les imprécisions, elle avance:

    «Nous avons été critiqués sur le fait qu'il y aurait des imprécisions scientifiques, là c'est un autre problème. S'il y a une réimpression, on les corrigera, on les retravaillera.»

    Cet argument de l'humour ne convainc pas vraiment Philippe Aïm:

    «C'est écrit avec un style léger, mais l'auteur ne se moque pas de ce qu'il vient de dire, il n'y a pas d'autodérision. On sort de ce paragraphe en pensant que les hommes et les femmes se choisissent ainsi. Quant à la question de la vulgarisation, je reste persuadé qu'on peut dire de manière simple des choses tout à fait scientifiques.»