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    Affiches censurées: «Il est capital d’avoir des campagnes VIH ciblant les gays»

    Les associations de lutte contre le sida expliquent pourquoi la campagne de prévention, censurée par certains maires, doit s'afficher partout.

    «Pour la santé publique et contre l'homophobie». Mardi 22 novembre, Marisol Touraine a annoncé sur Twitter qu'elle saisissait la justice «après la censure par certains maires» de la campagne de prévention du ministère de la Santé.

    Pour la santé publique et contre l'homophobie, je saisis la justice après la censure par certains maires de la campagne de prévention du VIH

    Cette campagne de prévention contre les infections sexuellement transmissibles (IST) et le VIH, élaborée par Santé Publique France (ex Inpes), met en scène, dans quatre visuels différents, des couples d'hommes. Et ce n'est visiblement pas du goût de tout le monde.

    La semaine dernière, certains opposants à la campagne se sont plaints sur les réseaux sociaux que les visuels soient affichés dans la rue, et non pas uniquement dans les lieux gays, ou encore qu'ils visent uniquement les hommes ayant des rapports entre eux. Un militant de La Manif pour tous a posté sur Twitter des photos de ces affiches vandalisées et d'autres ont appelé à leur retrait.

    Je dis quoi à ma fille de 8 ans ? #Vousêtesdesmonstres @MinSocialSante

    Pourquoi imposer, hors des "lieux ciblés", un type de campagne diffusant une conception trash du sexe H/H puis s'étonner des protestations ?

    C'est désormais chose faite dans plusieurs villes. Une dizaine de maires, sur les 130 où la campagne est visible, ont écrit à JCDecaux, lié aux villes par un contrat, pour demander un retrait de la campagne.

    Du côté des associations de lutte contre le VIH, on s'étonne un peu de cet emballement. «On s’était dit que certains pourraient réagir mais pas à ce point-là», commente Mikaël Zenouda, président d’Act Up.

    «D’autant plus que la campagne n’est pas super forte, les couples s’enlacent, il y a des jeux de regards mais c’est tout.»

    Pourtant, selon lui, «il est capital d’avoir des campagnes ciblant spécifiquement les gays. Il y a urgence, il faut parler à ce public, c’est le premier groupe touché par les contaminations.» Le site Sexosafe, dont la campagne de prévention fait la promotion, explique que «sur 10 personnes qui découvrent leur séropositivité chaque année, 4 à 5 sont» des hommes qui couchent avec des partenaires du même sexe.

    Au-delà des gays, toucher plus largement les «HSH»

    Dans le milieu de la lutte contre le sida, on parle de «HSH», soit des hommes ayant des rapport sexuels avec des hommes. Car ces derniers ne s'identifient pas forcément en tant que «gays», ils peuvent aussi être «bi» ou se définir en tant qu'«hétéro» même s'ils ont également des rapports avec des hommes, et ne fréquentent pas les lieux ou les sites gays.

    Christian Andreo, directeur général délégué d’Aides, décrypte:

    «Ces personnes qui ont une sexualité entre hommes ne fréquentent pas forcément les bars gays, mais par contre ils vont pouvoir voir cette campagne en attendant leur bus.»

    Dans cette polémique, c'est réellement «la représentation de l’homosexualité dans l’espace public qui pose problème» avance-t-il.

    «On a eu droit à tout et n’importe quoi comme arguments, sur le fait qu’elle faisait la promotion du libertinage, de l'adultère, qu'elle serait "stigmatisante pour les gays"... Ah bon? Ces visuels n’ont rien de choquants, il n’y a aucune tension sexuelle. Comment peut-on imaginer que des enfants soient choqués par deux hommes qui se tiennent par les épaules et sont en train de rire?»

    «L'épidémie flambe chez les gays, c'est là qu'il faut concentrer l'essentiel de nos efforts»

    Avant son lancement, la campagne avait tout de même suscité une certaine inquiétude du côté du gouvernement, visiblement conscient de la capacité de certains réseaux conservateurs à se mobiliser. Le ministère de la Santé a, dans un premier temps, demandé à Santé Publique France d'ajouter des visuels hétéros à la campagne... avant de revenir en arrière devant les protestations des associations de lutte contre le VIH et de valider une campagne 100% HSH.

    François Bourdillon, directeur général de Santé Publique France, s'était félicité de cette décision, en expliquant: «L'épidémie flambe chez les gays, c'est là qu'il faut concentrer l'essentiel de nos efforts.»

    Plusieurs précédents de campagnes censurées

    Ce n'est pas la première fois qu'un visuel de lutte contre le sida et le VIH fait polémique. Comme le rappelait le site Yagg il y a quelques semaines, depuis les début de l'épidémie, de nombreuses campagnes ont été censurées. Quelques exemples? En 1995, Elisabeth Hubert, ministre de la Santé du gouvernement Juppé, fait modifier une affiche évoquant une fellation, et provoque la colère d'Act Up. En 2001, Lionel Jospin annule une campagne jugée trop osée. En 2007, c'est le Bureau de vérification de la publicité qui refuse une affiche de l'Inpes représentant deux hommes sur un lit.

    «C’est parce que c’est lié à la représentation de la sexualité dans l’espace public, commente Christian Andreo. Vu les modes de transmission du VIH, si on veut faire des campagnes sur le sujet, on doit bien se frotter un peu à la question des sexualités.» Dans la dernière campagne gouvernementale, la sexualité est pourtant très discrète. «Mais il devient de plus en plus compliqué d’aborder certains sujets dans ce pays», se désole le directeur général délégué d’Aides.